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28 novembre, 2018

Les terrains sont-ils du capital?


Dans leur livre « Rethinking the Economics of Land and Housing », les auteurs Josh Ryan-Collins, Toby Lloyd et Laurie Macfarlane affirment que la manière dont les économistes traitent les terrains, c’est-à-dire comme un facteur de production similaire au capital, est inappropriée en raison des caractéristiques particulières de ces actifs. Ces caractéristiques font en sorte que les prix guident mal les décisions quant à l’utilisation optimale des terrains, ce qui a des conséquences socio-économiques importantes.
Les terrains ont des caractéristiques uniques qui les différencient des autres facteurs de production que sont la main d’oeuvre et le capital.
– Ils sont immobiles, donc ne peuvent être déplacés là où la demande est plus forte.
– L’offre est inélastique, donc une hausse de prix n’est pas compensée par une augmentation de l’offre.
– Ce sont des actifs quasi-éternels, qui ne se déprécient pas et donc ne nécessitent aucun investissement pour être maintenus (sauf pour contrer l’érosion des terrains riverains).
En outre, plus la productivité économique d’une région, d’une ville ou d’un quartier augmente, plus la valeur des terrains y augmentera, sans que les propriétaires aient eu à investir le moindre sou. Les terrains peuvent aussi s’apprécier lorsque des infrastructures (publiques ou privées) sont construites à proximité (pont, autoroute, transport en commun, télécommunications, égoûts, etc), sans investissement requis de la part du propriétaire. L’allongement de la ligne Jubilee du métro de Londres en 1999 a fait augmener la valeur des terrains situés dans un rayon de 1,000 verges des stations de 13 milliards de livres sterling.
De plus, l’augementation de la masse monétaire par l’expansion du crédit fait en sorte de gonfler les valeurs foncières, encore une fois sans investissement requis par le propriétaire, lequel est par conséquent protégé de l’inflation.
Plus le PIB augmente dans une région (que ce soit par une hausse de la productivité, la croissance de la population ou une expansion du crédit), plus les propriétaires fonciers peuvent s’enrichir sur le dos des producteurs en augmentant leurs loyers ou en leur vendant leurs terrains à des prix reflétant cette activité économique accrue. Autrement dit, les propriétaires fonciers capturent des rentes économiques. Cette rente diminue les profits qui pourraient être utilisés pour hausser les salaires ou financer des investissements.
Le droit naturel à la propriété
Selon John Locke, la propriété privée des terrains a précédé l’apparition de l’état et est donc indépendante de celui-ci. L’humain a donc un droit naturel à la propriété foncière lorsqu’il « mélange son labeur » à celle-ci (en bâtissant une maison, en érigeant une clôture, en labourant le sol, etc). Voir ceci.
Cependant, Locke croyait que pour que cela soit valide, il fallait une quantité suffisante de terrains pour tous (i.e. la clause lockéenne), ce qui était évidemment le cas au 17e siècle, mais est de moins en moins vrai de nos jours. Impossible de « mélanger son labeur » à la terre s’il n’y en a plus de disponible, ce qui empêcherait l’accès à de nouvelles propriétés foncières.
Ceci dit, les règles de zonage imposées par les gouvernements limitent la quantité de terrains disponibles. Comme les terrains sont sujets à l’expropriation, les propriétaires fonciers ont toujours été fortement impliqués dans le système politique de manière à préserver leurs intérêts. Les propriétaires résidentiels interfèrent souvent dans les décisions de planification locales de manière à préserver la valeur de leur propriété foncière. Ce sont les fameux problèmes « NIMBY » (not in my backyard), qui limitent la disponibilité des terrains à de nouveaux utilisateurs.
La spéculation et la création de monnaie
Selon l’auteur, les économistes ont généralement mal compris le rôle du système bancaire et de la création de monnaie, et plus particulièrement leur interaction avec le marché des terrains.
Les hypothèques ont pris une part grandissante de la dette totale au cours des dernières décennies. Les banques adorent prêter avec une propriété en garantie car les terrains sont des actifs fiables (en raisons des caractéristiques uniques énumérées précédemment), ce qui permet aux banques de limiter leurs pertes en cas de défaut. De plus les hypothèques ont des échéances longues, permettant de maximiser les marges et la création de monnaie à partir de dépôts à court terme.
Les lignes de crédit hypothécaires permettent de maintenir un niveau de consommation artificiellement élevé en favorisant l’endettement des ménages. Elles permettent donc de donner l’apparence d’une économie en croissance et en santé, mais au prix d’une fragilité accrue.
Au Royaume-Uni, l’immobilier résidentiel représente dorénavant 58% de la richesse nette totale et il s’agit du segment ayant cru le plus rapidement depuis 1950. Mais cette augmentation de valeur ne reflète que la rareté accrue devant une demande croissante propulsée par la dette et la création de monnaie. Cette richesse ne résulte pas d’une hausse de la productivité.
Comme ce sont les plus riches qui détiennent le plus de terrains, ce sont eux qui ont capturé la majeure partie de cet enrichissement, résultant en une hausse des inégalités de richesse.
Les auteurs affirment que la thèse de Thomas Piketty concernant les inégalités néglige de considérer les différences entre la richesse, le capital et les terrains. Ce dernier mesure le capital comme étant la somme de tous les actifs, qu’ils soient productifs ou non. En fait, la majorité de la hausse du ratio richesse/PIB a été causée par des gains en capitaux sur les terrains. Si on exclue ces gains en capitaux, le ratio a diminué significativement plutôt qu’augmenté.
Les auteurs pensent donc que les terrains sont une cause primordiale de la hausse des inégalités de richesse décriée par Piketty et tant d’autres.
Les solutions…
Il faudrait tout d’abord éliminer les subventions et politiques qui font en sorte de pousser le taux de propriété à la hausse, comme ce fut le cas aux États-Unis avant la Grande Récession. Ces politiques font en sorte de gonfler inutilement la valeur des terrains, enrichissant les propriétaires fonciers, incitant les ménages à l’endettement et, au final, réduisant l’accès à la propriété.
En Allemagne, les banques hypothécaires limitent souvent le ratio d’endettement à 60%. En Suisse, le gouvernement impose des taxes sur les loyers implicites des propriétaires de maison. En Allemagne, le taux de propriété n’est que de 43% et de 35% en Suisse, comparativement à des niveaux supérieurs à 60% dans plusieurs pays industrialisés. Selon les auteurs, ces deux pays ont bénéficié d’une plus grande stabilité économique que les autres pour cette raison.
À Singapour, 90% des terrains appartiennent à l’État et sont loués au secteur privé. Cette solution est plutôt extrémiste et nécessite une confiance aveugle à ce que le gouvernement ne soit pas corrompu et gère le système de manière efficace, un pas que je ne serais pas prêt à franchir.
En revanche, une taxe sur les terrains serait une avenue intéressante. Plusieurs économistes libéraux considèrent que les taxes sur les terrains sont les moins pires taxes, incluant Ricardo, Smith, Mill et Friedman. Contrairement à un impot sur le revenu, une taxe sur la terre ne décourage pas le travail. Elle ne décourage pas l’investissement comme les taxes sur les profits et elle n’est pas régressive comme les taxes de vente.
Elle décourage aussi l’achat de terrains pour spéculer plutôt que pour une utilisation productive. Ces taxes permettraient de réduire les rentes économiques engendrées par les terrains et de les redistribuer à ceux qui n’ont pas eu la chance de devenir propriétaire foncier.
Une telle taxe donnerait au gouvernement un incitatif à investir dans les infrastructures, puisque cela ferait augmenter les valeurs foncières et, par conséquents, les revenus de taxation, ainsi qu’à favoriser des règles de zonage moins restrictives pour les mêmes raisons. En quelque sorte, les investissements du gouvernement seraient auto-financés auprès de ceux qui en bénéficient le plus, plutôt que d’être dépendants des impôts sur l’ensemble de la société.
Les taxes foncières levées par les municipalités incluent une taxe sur le terrain, mais elles ont comme impact de décourager l’investissement sur la propriété et le bâtiment et sont trop basses pour décourager la spéculation.
L’auteur observe que dans la plupart de pays développés, les taxes foncières ont diminué en proportion des taxes totales, ne représentant plus que 1% du PIB en moyenne et 2.5% des taxes et impôts totaux dans les pays de l’OCDE. Ce niveau est insuffisant pour contrer la spéculation et amputer les rentes économiques associées aux terres.
Remplacer toutes les formes de taxation par des taxes sur la valeur des terrains serait donc une idée intéressante d’un point de vue libertarien.
Finalement, l’auteur pense qu’en limitant la création de monnaie par le crédit, les spéculateurs n’auraient plus assez d’accès au crédit pour gonfler les bulles immobilières qui résultent en de sérieuses récessions, voire des crises financières et qui, entre-temps, font augmenter les inégalités de richesse entre ceux qui détiennent des terrains et ceux qui n’en ont pas.
On pourrait empêcher les banques de prêter leurs dépôts à vue, dont l’échéance est nulle, ce qui réduirait grandement la création de monnaie. Au Danemark, les banques financent les hypothèques par des covered bonds dont l’échéance correspond à celle des hypothèques sous-jacentes, plutôt que par des dépôts à vue ou à court terme, ce qui contribue à la stabilité du système et limite la création de monnaie.
Cela est évidemment une politique que je supporterais fortement…
Conclusion
Quand j’ai entâmé ce livre, je m’attendais à une série d’arguments marxistes avec lesquels je serais en désaccord. Ce ne fut pas le cas; je suis très en faveur de certaines des propositions amenées par les auteurs.
Une réforme du système bancaire pour limiter la création de monnaie et le remplacement de toutes les taxes par une simple taxe sur la valeur des terrains sont des propositions très intéressantes.
Ce nouveau système fiscal serait simple, peu coûteux, sans évasion fiscale possible, progressiste (les riches on tune plus grande richesse foncière et paieraient donc plus de taxes) et ne découragerait pas le travail, ni l’investissement dans le capital productif.
Le résultat serait une diminution de la spéculation immobilière, des cycles économiques moins violents et une meilleure répartition de la richesse.
Il est peu surprenant qu’un tel système de taxation ait été favorisé par de nombreux penseurs libéraux.

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