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31 octobre, 2018

Analyse du modèle scandinave

Analyse du modèle scandinave

Quand vous entendez une morale facile provenant de nos politiciens québécois justifiant nos impôts élevés en se comparant avec les pays scandinaves, attention, il y a des différences majeures :

Transparence, efficacité et imputabilité

sont les mots d’ordre du modèle scandinave.

Pour obtenir les données utilisées pour cet article: Scandinave_data
Ces pays – qui sont la Suède, la Finlande, la Norvège et le Danemark – ont des taux d’imposition élevés, un filet social étendu et généreux, des taux de syndicalisation élevés, mais figurent tout de même parmi les plus riches du monde et on semble y trouver une superbe qualité de vie (santé, éducation, etc).
La Scandinavie serait-elle un paradis gauchiste? Serait-ce la preuve que le socialisme-démocratique est un modèle viable? Je vous propose ici une plongée en profondeur dans le modèle Scandinave…
Selon les données de la Banque Mondiale (2010), les pays scandinaves sont très riches et se classent tous dans le top 20 en terme de PIB/capita (PPP). Sur 180 pays, la Norvège est 4e, le Danemark est 12e, la Suède est 14e et la Finlande 19e. En guise de comparaison, les États-Unis sont 7e, le Canada 15e, le Royaume-Uni 20e et le Japon 23e. En fait, excluant la Norvège qui bénéficie d’une très grande industrie pétrolière, les pays susmentionnés sont tous très près les uns des autres; il n’y a pas vraiment d’écart de richesse entre le Canada et la Suède. Ceci étant dit, je suis conscient des problèmes du PIB en tant que mesure de richesse et de production (je l’expliquais ici). On peut néanmoins en conclure que les pays scandinaves figurent parmi les pays riches tels que le Canada et les États-Unis.
Libre entreprise
Les pays scandinaves embrassent le libre-échangisme. Des 141 pays analysés par l’Institut Frazer concernant leur ouverture au commerce international, le Danemark se classe 17e, la Suède 22e, la Finlande 42e et la Norvège 90e. Ce qui coule la Norvège sont les taxes sur les transactions internationales, les barrières non-tarifaires, les contrôles sur les mouvements de capitaux et les restrictions sur les intérêts étrangers dans des entreprises locales. Dans le cas de la Finlande, ce sont seulement les contrôles sur les mouvements de capitaux qui réduisent sa note, tout comme pour la Suède. Notez que les États-Unis se classent au 28e rang et le Canada au 59e rang. La Scandinavie est donc autant, sinon plus libre-échangiste que l’Amérique du Nord.
En fait, il n’est pas rare de voir les grandes entreprises scandinaves délocaliser leur production vers des pays à plus faible coût de main d’oeuvre et à pression fiscale moins élevée.
Concernant la règlementation, les pays Scandinaves sont très libéraux. Selon le rapport « Ease of Doing Business » de 2012, le Danemark se classe 5e, la Norvège 6e, la Finlande 11e et la Suède 14e. Les États-Unis sont 4e et le Canada 13e.
Beaucoup de services publics y ont été dérèglementés et privatisés,notamment en téléphonie, en transports, en électricité et la poste. Les subventions agricoles suédoises ont été abolies au début des années 1990s (ce qui a dû être renversé à l’entrée du pays dans l’Union Européenne). De plus, les gouvernements Scandinaves utilisent énormément la sous-traitance.
On peut donc dire qu’en Scandinavie, l’État n’intervient pas beaucoup dans le commerce et les affaires. La bureaucratie, la règlementation et la paperasse ne sont pas un problème.
Marché du travail
Au niveau de la flexibilité du marché du travail – qui a un énorme impact sur l’emploi et le chômage comme je l’expliquais ici – il y a d’énormes différences entre le Danemark et les autres pays scandinaves. Ce dernier se classe 7e sur 142 pays (par le World Economic Forum), alors que la Norvège se classe 85e, la Finlande 89e et la Suède 106e. Les États-Unis sont 6e et le Canada 12e.
Pourquoi une telle différence entre le Danemark et les autres? À cause de la « flexi-sécurité ». Cette politique permet une grande facilité de licenciement pour les entreprises (volet flexibilité) et des indemnités longues et importantes pour les salariés licenciés (volet sécurité). Les chômeurs ont aussi de fortes incitations à reprendre un emploi (obligations de formation, suivi, sanctions financières, etc). En dix ans, le Danemark a réussi à diviser son taux de chômage de moitié et le temps de chômage est très court.
Par ailleurs, plusieurs de ces pays n’ont pas de code du travail, ni de salaire minimum, ni de durée légale du travail. Les pays scandinaves encouragent les départs à la retraite tardifs; en Suède, les aides de l’État sont supprimées pour les retraites avant 65 ans. De plus, les pays Scandinaves affichent des taux de syndicalisation très élevés, mais les pouvoirs des syndicats y sont plus limités qu’au Québec. Leur attitude est plus collaboratrice et les grèves sont très rares.
Lorsqu’on regarde les chiffres, on constate trois choses : 1) en raison de la rigidité de leur marché du travail, les pays scandinaves ont souffert de taux de chômage nettement supérieurs au reste de l’OCDE; 2) ce sont surtout la Finlande et la Suède qui sont les moins flexibles et qui ont eu les taux de chômages les plus élevés; 3) le Danemark quant à lui, grâce à sa flexi-sécurité, a bénéficié de taux de chômage très inférieurs à la moyenne de l’OCDE.
Leur marché du travail inflexible est donc l’un des principaux défauts du modèle scandinave, sauf pour le Danemark.
Cependant, on note que les taux de participation de la main d’oeuvre sont plus élevés que la moyenne de l’OCDE pour tous les pays scandinaves. Pourquoi? Il semblerait que le modèle scandinave fait en sorte que les chômeurs ont moins tendance à se décourager et à sortir de la population active. Peut-être que le taux de participation des femmes est aussi plus élevé en Scandinavie (c’est le cas pour la Suède comparativement au G8, mais celui du Canada est plus élevé).
Productivité
Les salaires sont très élevés en Scandinavie. Sur les 34 pays de la base de données de salaires horaires du secteur manufacturier du BLS des États-Unis, la Norvège se classe 1ère, le Danemark 4e, la Suède 5e et la Finlande 7e. Le Canada est 13e suivit des États-Unis.
Côté productivité, mesurée par le PIB par heure (PPP), la Norvège se classe 1èresur les 39 pays étudiés par l’OCDE, la Suède, 12e, le Danemark 13e et la Finlande 15e. Les États-Unis sont 4e et le Canada 14e.
SI je divise le PIB à l’heure par le salaire horaire, je constate que les pays scandinaves ne se classent pas très bien. Sur les 29 pays pour lesquels j’ai les données, la Norvège se classe 18e, la Suède 26e, la Finlande 27e et le Danemark 28e. La conclusion est que la main d’oeuvre scandinave est fort dispendieuse et que son secteur manufacturier est vulnérable aux délocalisations.
Défense
Autre observation : les pays scandinaves ont des budgets de défense en bas de la moyenne relativement à leur taille. Sur 153 pays dont le budget de défense moyen se chiffre à 2.2% du PIB, la Norvège se classe 89e (1.6%), la Finlande 96e (1.5%), le Danemark 100e (1.4%) et la Suède 114e (1.2%). Cela les aide sûrement à maintenir des finances publiques saines.
Éducation
En ce qui concerne l’éducation, tous les pays scandinaves sauf la Suède sont en haut de la moyenne selon les tests PISA de 2009. À ce niveau, la Finlande se démarque clairement, d’autant plus qu’elle dépense moins que la moyenne de l’OCDE, que le Canada et que les États-Unis en termes de dépenses par habitant en éducation. Qu’a-t-il donc de si spécial le système d’éducation de la Finlande? Cela faisait récemment l’objet d’un documentaire diffusé durant l’émission «Une heure sur terre» à Radio-Canada.
La recette se résume en cinq mots : gratuité, décentralisation, flexibilité, concurrence et imputabilité. Les écoles sont autonomes quant à la gestion de leur budget. La bureaucratie est minimale; il n’y a pas de commissions scolaires. En Finlande, l’enseignement primaire et secondaire est entièrement gratuit, incluant les manuels, les repas et le transport.
La performance des établissements est fréquemment évaluée et les résultats sont transparents. Les effectifs des classes dépassent rarement 25 et celles-ci sont spacieuses et bien équipées (c’est ce qu’on peut se payer quand on économise sur la bureaucratie). Les professeurs jouissent d’une très grande liberté pédagogique; leur marge d’initiative est leur source de motivation.
On pourrait aussi noter que la Suède utilise davantage la concurrence avec le privé, mais celles-ci sont gratuites. Les parents reçoivent des «chèques-éducation» du gouvernement et peuvent choisir l’école de leurs enfants, qu’elle soit publique ou privée.
Santé
Tout comme pour l’éducation, le système de santé scandinave repose sur une organisation décentralisée. Il y a une séparation entre les acheteurs et les offreurs de services et ces derniers sont mis en concurrence.
Par ailleurs, l’entreprise privée a sa place dans le système (du moins en Finlande et en Suède). En Suède, 20% à 25% des centres de soins de premier niveau sont détenus par des entreprises privées. Le rôle des infirmières est élargi, lesquelles constituent une porte d’entrée pour les soins secondaires. Elles ont leur propre cabinet de consultation et fournissent une grande partie des soins maternels, infantiles, aux personnes âgées et aux personnes handicapées. De plus, des tickets modérateurs sont utilisés pour la plupart des services médicaux (en Finlande et en Suède). Finalement, les pays scandinaves sont des leaders en ce qui a trait à l’utilisation des technologies de l’information en santé (e.g. dossier électronique).
Il est difficile de faire des comparaisons entre les systèmes de santé de différents pays. Pour ma part, j’ai utilisé les études de Health Consumer Powerhouse, qui couvrent 33 pays d’Europe, et celles du Commonwealth Fund, qui couvre 11 pays industrialisés (incluant la Norvège et la Suède). Selon la première étude, les systèmes scandinaves ont une excellente performance, étant tous dans le premier tiers. Lorsqu’on met leur score en relation avec les dépenses, on constate qu’ils en ont tous pour leur argent, sauf la Norvège. Selon la seconde étude, on constate que 44% des répondants Suédois pensent que leur système de santé fonctionne bien et n’a besoin que de changements mineurs, versus une moyenne de 41% pour les 11 pays sondés et 40% pour la Norvège. Il semble que la Norvège aurait fort intérêt à s’inspirer des politiques de la Finlande et de la Suède pour réduire les coûts de son système, qui est entièrement public et entièrement financé par les impôts.
En Amérique du Nord, le Canada obtient une note de 38% avec des dépenses en santé par habitant similaires à celles des pays scandinaves, alors que les États-Unis obtiennent 29%, la deuxième pire note des 11 pays, avec le niveau de dépense le plus élevé.
Fait à noter, les temps d’attente dans le système de santé scandinave sont plus long que dans le reste de l’Europe et des pays industrialisés. Au Canada, les temps d’attente sont pires qu’en Scandinavie, alors qu’aux États-Unis ils sont bien plus courts. Cependant, les pays scandinaves gèrent leurs listes d’attente plus intelligemment : si l’attente est trop longue, les soins seront prodigués par un fournisseur privé ou situé dans un autre pays, aux frais de l’État.
Source : Consumer Health Powerhouse, OCDE.
Source : Commonwealth Fund, OCDE.
Corruption
La corruption est bien faible en Scandinavie. Les quatre pays sont parmi les 11 premiers rangs des 180 pays sondés par Transparency International (plus le score est élevé, moins il y a de corruption perçue). C’est ce qu’on s’attendrait à observer dans une société où le gouvernement est décentralisé (donc pas de haut-fonctionnaires ayant trop de pouvoirs), où la sous-traitance est fortement utilisée, où les fonctionnaires sont imputables et où l’État intervient peu dans le monde des affaires et dans le commerce.
Fiscalité
On entend souvent qu’en Scandinavie, les impôts sont élevés. C’est vrai, mais il y a nuance importante. Les taux d’imposition pour les entreprises sont plus bas qu’au Canada et aux États-Unis, ce qui est une bonne chose (voir ceci). Cela est compensé par des taxes de vente très élevées et des impôts sur le revenu très élevés.
Inégalités de revenus
Selon le coefficient Gini, les revenus des Scandinaves sont plus égaux que dans le reste de l’OCDE, surtout après impôts et transferts gouvernementaux. Les impôts élevés et un filet de sécurité social généreux contribuent à cette situation. Ceci dit, je ne crois pas que cette mesure soit adéquate pour évaluer le niveau d’équité dans une société (je publierai un article sur le sujet bientôt).
Conclusion
Les pays scandinaves sont des pays où l’État intervient peu dans le monde des affaires et le commerce. Ce sont des pays libre-échangistes et où les taux d’imposition des entreprises sont bas. Leurs économies ont été largement privatisées (en tout ou en partie) et dérèglementées. Il est facile d’y démarrer une entreprise et d’y faire des affaires.
  • En général, les employés du secteur public ont des primes reliées à leur performance, des évaluations fréquentes et sont immédiatement licenciés s’ils ne font plus l’affaire.
  • Les services publics sont gérés comme des entreprises privées mises en concurrence et leurs gestionnaires sont imputables.
  • La sous-traitance est prépondérante au sein du gouvernement, qui agit davantage tel un coordonnateur, plutôt que comme un prestataire de services.
Le talon d’Achille de la Scandinavie est l’inflexibilité de son marché du travail, qui fait malheureusement en sorte que son taux de chômage est constamment plus élevé, sauf pour le Danemark qui montre l’exemple à cet égard avec sa flexi-sécurité.
En éducation, c’est la Finlande qui a le meilleur système, usant de la décentralisation (petit ministère de l’éducation, pas de commissions scolaires), de flexibilité pédagogique, de mise en concurrence, de transparence et d’imputabilité. Ce système est à l’opposé du système québécois. En Suède, les écoles privées occupent une grande place et le financement se fait par l’utilisation des fameux «vouchers» vantés par Milton Friedman.
La même recette s’applique au système de santé scandinave: décentralisation, réduction de la bureaucratie, séparation des acheteurs et offreurs de services, mise en concurrence avec le privé, tickets modérateurs, etc.
Ce que je constate dans l’ensemble (et qui est surprenant) est que les pays scandinaves sont plus liberaux que le Canada et le Québec! En fait, je rêve du jour où nous adopterons une réforme du marché du travail comme celle du Danemark, une réforme de la santé et de l’éducation comme celle de la Finlande et de la Suède, ainsi qu’une libéralisation, privatisation et dérèglementation du commerce comme l’ont fait ces pays. Si le prix à payer en contrepartie n’est qu’un taux d’imposition plus élevé pour les particuliers, en échange duquel le filet de sécurité social serait plus élevé, alors je signe n’importe quand! Ce serait un grand pas dans la bonne direction.
Article tiré du blog Le Minarchiste

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