Comment trois événements, en apparence sans grand rapport les uns avec les autres, marquent dans les faits la fin de l’idée de la Liberté héritée du XVIIIe.
L’Occident moderne, c’est une idée simple, formalisée au XVIIIe siècle, mais dont les prémices sont bien plus anciennes (droit romain, christianisme, Habeas Corpus…) : celle qu’il existe des droits individuels fondamentaux antérieurs et supérieurs à toute institution humaine.
Si l’on reprend la Déclaration de 1789, ils sont formulés précisément en ces termes : « la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Si l’on prend la Déclaration d’indépendance américaine, on trouve : « la vie, la liberté et la recherche du bonheur ».
Peu importe la formulation, l’essentiel est cette idée, nouvelle, que la liberté individuelle et ses corollaires (propriété de soi et des choses acquises légitimement, absence d’oppression…) sont une valeur supérieure devant guider le reste. Aussi bien dans les traditions européennes qu’américaines, a toujours prévalu l’idée que les bornes mises à la liberté individuelle se devaient d’être sérieusement justifiées. La liberté devait prévaloir « par défaut », et celle-ci constituait sa propre justification.
Mais ce temps est révolu, et personnellement je situerais le « début de la fin » à la chute du Mur de Berlin en 1989. Paradoxe suprême, c’est au moment où ont chuté les dictatures communistes de l’Est que nous avons nous-mêmes commencé à mettre fin à nos propres principes. Comme symboles de ce déclin, je retiendrai trois grands événements en Occident durant la décennie qui a suivi la chute du Mur :
- Le traité de Maastricht (1993)
- La montée en puissance idéologique des « nouvelles gauches » (Rocard puis Jospin en France, Clinton aux États-Unis, Blair au Royaume-Uni …)
- Le 11 septembre 2001.
Ces différents événements, en apparence sans grand rapport les uns avec les autres, marquent dans les faits la fin de l’idée de la Liberté héritée du XVIIIe.
LA FIN DE LA LIBERTÉ AVEC LE TRAITÉ DE MAASTRICHT
Concernant le traité de Maastricht, il suffit de s’en référer au discours prophétique de Philippe Séguin en 1992 à l’Assemblée nationale, dont je laisse le lecteur prendre connaissance. Pour la première fois dans l’Histoire, les nations européennes choisissent de renoncer, volontairement, à leur capacité à se gouverner elles-mêmes.
C’est absolument inédit, et cela fait mécaniquement s’effondrer tout l’édifice sur lequel était fondé le « contrat social » depuis la mise en place des démocraties libérales, à savoir, essentiellement, la possibilité pour les citoyens de se débarrasser de ceux qui prennent des décisions contraires à leurs intérêts (étant entendu que les vraies décisions seront désormais prises au sein d’organes supranationaux non élus, par des individus impossibles à virer et qui ne représentent qu’eux-mêmes).
LES NOUVELLES GAUCHES ET LA FIN DE LA LIBERTÉ
Concernant les nouvelles gauches, auxquelles les anciens partis de droite se sont empressés de se rallier idéologiquement (aboutissant 30 ans après à la synthèse ultime : Macron), le principe est simple : l’épouvantail communiste et le danger du bloc soviétique ayant disparu, il devenait possible de pousser beaucoup plus fortement l’agenda « progressiste ».
Celui-ci repose essentiellement sur deux piliers : la fin des nations souveraines et indépendantes d’une part (poussé à son paroxysme, c’est le fantasme du gouvernement mondial unique), et « l’ingénierie sociale » comme but de gouvernement d’autre part.
On nommera ici ingénierie sociale le fait d’administrer l’État et le fonctionnement de l’ensemble de la société, qui deviennent de ce fait le résultat de décisions politiques et bureaucratiques, et non le résultat naturel des décisions, talents ou volontés individuelles de chacun, ce qui est la définition même de la Liberté.
L’ingénierie sociale se caractérise donc par l’idée que la société doit découler de la politique et non l’inverse, et c’est un des principes qui unit tous les totalitarismes, qu’ils soient durs, façon Georges Orwell, ou mous, façon Aldous Huxley.
Tant qu’existaient les fameuses Démocraties Populaires, exemples vivants des catastrophes induites par une mise en application de ces deux piliers, cet agenda était difficile à vendre. Une fois celles-ci disparues, la mémoire collective étant ce qu’elle est, il devenait plus facile de faire avancer ces idées, particulièrement en les maquillant, ô paradoxe suprême, en libéralisme.
Bien entendu, ce dernier a été complètement perverti : la Liberté n’est plus l’absence de violence ou de contrainte subie à un niveau individuel (définition de Hayek datant du XXe siècle1, applicable néanmoins aux textes fondateurs évoqués au début), mais la fin des différences de condition, d’idées, de bien-être, etc (hormis bien sûr celles sous contrôle de l’État). Ce programme étant finalement le même que celui du marxisme par des moyens différents, on comprend pourquoi il a fallu attendre la chute du Mur de Berlin pour qu’il puisse être repackagé et vendu en Occident à des électeurs ayant la mémoire courte.
LE 11 SEPTEMBRE ET LA FIN DE LA RÉSISTANCE ANGLO-SAXONNE
Enfin, dernier clou dans le cercueil, le 11 septembre 2001 a permis de saper considérablement le principal bastion de résistance, à savoir les pays anglo-saxons et leur chef de file, les États-Unis.
En effet, les Anglo-saxons, avec leur protestantisme, leur Common Law et leur vieille tradition juridique, sont naturellement plus résistants à ce genre d’idées. Il a fallu les attentats du 11 septembre 2001 pour arriver à faire passer, de manière étonnamment facile, des attaques sans précédent contre les principes fondamentaux de Liberté.
Le fameux Patriot Act, et les lois qui ont suivi, ont ouvert une brèche qui peut-être ne sera jamais refermée. Non pas tant au travers du strict contenu de ces lois, qu’au travers de la légitimité nouvelle qu’elles ont donné à une intrusion étatique forcenée dans tous les domaines, particulièrement ceux des finances, de la propriété et de la vie privées.
Toutes choses qui jusque-là auraient constitué une transgression inacceptable, bénéficient désormais d’une présomption en légitimité, par le seul fait qu’elles donnent à l’État plus de pouvoir « pour votre sécurité », puis par extension, « pour votre bien-être », faisant ainsi tomber le dernier rempart contre l’agenda progressiste et son idée centrale d’un État ayant pour rôle l’ingénierie de la société.
De la situation antérieure dans laquelle la liberté était le Bien suprême, n’ayant pas à se justifier mais étant elle-même la justification, nous sommes donc passés en l’espace d’à peine une décennie à une situation dans laquelle la liberté est devenue suspecte, et sa restriction la norme. Là où auparavant, la « charge de la preuve » incombait à celui qui voulait réduire la liberté, elle incombe désormais à celui qui veut la préserver. Il est frappant de constater qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un changement de civilisation, et que celui-ci semble passer totalement inaperçu dans le débat public.
Cette situation est très grave, car historiquement, c’est la Liberté qui a été à la source de la réussite éclatante de l’Occident moderne. En remettant en cause celle-ci, tout comme l’Empire Romain a laissé tomber les principes républicains pour se transformer peu à peu en une tyrannie s’écroulant sous son propre poids2, nous scions littéralement la branche sur laquelle nous sommes assis. Si aucun soubresaut populaire ne vient renverser durablement la vapeur, nous nous dirigeons sans aucun doute vers un destin similaire.
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