« L’argent public n’est rien d’autre que de l’argent
privé transformé par le miracle de l’impôt en argent public.
Chacun connait le miracle de Saint Janvier. Ce martyr
des premiers siècles du christianisme, après être sorti indemne de la fournaise
où il fut précipité puis offert aux lions qui le dédaignèrent, fut décapité en
305. Des chrétiens récupèrent alors la tête de Saint-Janvier et remplissent de
son sang deux récipients. Or, à partir de 1389, se produit dans la Cathédrale
de Naples, où reposent les reliques du Saint, un miracle puisque le sang
desséché du martyr redevient liquide et même bouillonnant.
Trois fois par an, le miracle se produit : le samedi qui
précède le premier dimanche de mai, le 19 septembre – date de son martyr – et
le 16 décembre, date de l’éruption du Vésuve en 1631 durant laquelle la ville
de Naples fut épargnée.
Le miracle de Saint Fisc se produit également trois fois par
an lors des tiers provisionnels, sauf pour ceux qui ne pouvant attendre,
préfèrent constater le miracle de Saint Fisc une fois par mois lorsqu’ils sont
mensualisés.
À la lecture de ces propos, beaucoup se diront que nous
tombons dans le pamphlet ou la polémique.
Rien pourtant de plus sérieux.
L’argent privé dans l’esprit public, est plutôt en moyenne
et statistiquement sale. Cette absence de pureté provient du fait qu’il
aurait souvent pour origine l’exploitation du salarié ou du consommateur. Mais
nous allons assister à un véritable miracle : lorsque l’argent privé est
pris par les hommes de l’État sous forme d’impôt, ce même argent devient purifié et
le vecteur de l’intérêt général. L’argent purifié est devenu de l’argent public.
Pourtant, c’est rigoureusement le même. Par le miracle
de Saint Fisc, le même argent devient celui qui soulage les misères humaines et
produit des biens pour tous, puisqu’il est devenu de l’argent public. De
l’argent desséché devient de l’argent bouillonnant. De l’argent sale devient de
l’argent propre et bienfaiteur. En somme, et en outre, Saint Fisc fait
donc du blanchiment d’argent.
Ces notions sont d’une importance capitale : en logique
formelle, irréductible, une chose ne peut pas être et ne pas être simultanément.
Comment quelque chose d’impur deviendrait-il pur sans qu’il se soit passé
aucune transmutation ?
Cette manipulation des esprits portée à la hauteur d’un
mythe est sans doute l’opération de subversion la plus réussie des vingt
derniers siècles par les hommes de l’État. L’argent privé corrompt,
l’argent public soulage. C’est pourtant rigoureusement le même, mais qui s’est
transformé en se bonifiant par le miracle de Saint Fisc.
Si les individus avaient conscience de ce tour de
prestidigitation, qui fait d’Harry Houdini un illusionniste amateur alors il y
a fort à parier que la révolte fiscale prendrait une allure particulière,
dévastatrice pour l’État, sous forme de refus de payer au bandit sédentaire la
dîme trois fois par an de l’impôt sur le revenu, annuellement des autres
impôts, quotidiennement de la taxe sur la valeur ajoutée.
Il y a effectivement une différence entre l’argent privé et
l’argent devenu public par le miracle de l’impôt. L’argent privé est le fruit
d’un effort productif, alors que l’argent public est issu de la capture par la
force.
Un vol est toujours un vol, mais par le miracle de Saint
Fisc, non seulement le vol n’en n’est plus un, mais l’argent sale –
c’est-à-dire l’argent privé – est anobli par le fait qu’il devient via l’impôt
la corne d’abondance qui va répandre ses bienfaits sur les bénéficiaires des
largesses du roi.
L’argent public est bien de l’argent privé transformé
instantanément en argent public par l’impôt et donc intrinsèquement le même. Il
change de statut par la violence des hommes de l’État, mais ne change
pas de nature. Ou l’argent n’est pas un vol, et l’argent privé et l’argent
public sont la même chose, ou l’argent est une infamie qui ne devient pas objet
de respect lorsque de privé, il est devenu public par la grâce de Saint Fisc.
Que l’argent privé, vicieux, devienne vertueux car sanctifié par le fisc, est
analogue à la croyance que le roi réalisait le miracle de guérir des
écrouelles.
À bien des égards, les hommes de l’État, en promettant
d’accéder par l’entremise de l’impôt au bonheur ici-bas ne font que reprendre
l’ingénierie des indulgences, mais dans une dimension terrestre et matérielle. »
Aucun commentaire:
Publier un commentaire