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21 août, 2015

« Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme » de Raymond Boudon


 Raymond Boudon tente de répondre, en sociologue, à cette question que vous êtes probablement nombreux à vous poser.

Revue de livre par Johan Rivalland

En guise d’introduction, Raymond Boudon commence par tirer le constat de la faible tradition libérale parmi les intellectuels. Il note cependant que le phénomène est variable selon les pays, les milieux, conjonctures et spécialités.

Quoi qu’il en soit, trop d’importance est accordée, selon lui, aux déterminismes sociaux en sociologie des idées. C’est pourquoi il préfère, quant à lui, s’intéresser à la rationalité cognitive et adopter, par conséquent, une approche centrée sur les raisons sociocognitives.

Encore faut-il que l’on s’entende sur le sens à donner à « intellectuels », dont il existe différents types, et à la définition du libéralisme. C’est ce qu’il s’attache donc à faire avant d’articuler son ouvrage en deux grandes parties : ce qu’il appelle « l’offre » d’idées hostiles au libéralisme, dans un premier temps, et ce qui en motive la production, puis la « demande » de telles idées, qualifiées d’ « illibérales », dans un second temps, qui peuvent expliquer pourquoi elles trouvent un tel écho.

Différentes théories (contre-modèle marxiste, entre autres, mais pas seulement), mouvements ayant eu une influence (anthropologie, psychologie, sociologie, structuralisme), visions de l’homme, de la société ou de l’État, et explications (ignoranceattrait de la simplicitéconformisme de la pensée, image du libéralisme difficile à assumer même par beaucoup de libéraux, vocabulaire manipulé et réducteur, désinformation ou mimétisme, entre autres là encore), relayés par les milieux journalistiques, politiques ou syndicaux, notamment, sont ainsi passés en revue.

Avant que l’auteur, face à la somme de clichés et idées reçues sur le libéralisme, ne s’interroge, dans d’ultimes développements, sur l’avenir (« Et demain ? »).

Quelques extraits

Selon Raymond Boudon, l’une des raisons qui expliquent le faible attrait du libéralisme chez les intellectuels français est l’absence de formulation d’une vision globale du monde. À l’inverse, « de même que le biologiste en sait chaque jour davantage sur les processus vitaux, mais est de moins en moins en mesure d’expliquer l’essence de la vie, de même le sociologue d’inspiration libérale se contente de proposer des explications de phénomènes circonscrits ».

Se référant aux idées de Karl Popper, Raymond Boudon montre que le vérificationnisme est « le dénominateur commun de bien des « démonstrations » fausses. Une théorie passe en effet facilement pour vraie dès lors qu’elle paraît confirmée par certains faits. » D’où le malentendu. D’autant que ses pourfendeurs sont doués de l’art de contrer les objections, à l’aide d’arguments toujours simples et porteurs, ce qui imperméabilise cette théorie, présumée « utile », contre la critique.

« Ces mécanismes sont porteurs, je crois, d’un danger pour la démocratie, nous dit l’auteur. Non parce que les idées fausses, fragiles et douteuses impressionnent nécessairement le public. Car le sens commun, si décrié par les intellectuels qui se voient comme les guides du Peuple, existe bel et bien. Cette notion incertaine désigne simplement le fait que tous les hommes obéissent aux mêmes mécanismes cognitifs de base. Il y a danger pour la démocratie, plutôt parce que les idées utiles et fausses ont une influence directe sur les citoyens les plus jeunes : car il faut dans bien des cas du temps – et souvent beaucoup de temps – pour découvrir qu’une idée utile est fausse. Il faut même quelquefois attendre d’être frappé au visage par la brutalité d’une donnée de fait, comme l’invasion de Budapest par les chars soviétiques en 1956.

Sinon, on ne comprendrait pas que tant d’hommes et de femmes qui se sont signalés ensuite par une grande acuité d’esprit aient d’abord épousé des idées dont ils ont souvent eux-mêmes de la peine à comprendre pourquoi ils y ont adhéré.
Le danger pour la démocratie provient aussi de ce que les idées utiles et fausses exercent une influence indirecte sur les hommes politiques et autres « décideurs » qui, passant outre les messages que leur dicte le sens commun, ont tendance à confondre l’opinion des intellectuels, des médias et des minorités actives avec l’opinion tout court. »

« … le fin du fin est d’être conformiste, de se laisser porter par le courant, mais de paraître « moderne », d' »avant-garde » : de réussir à passer pour un homme « de progrès », qu’il s’agisse d’art, de sciences humaines ou de politique. Ce mécanisme explique aussi la facilité avec laquelle certains intellectuels passent d’un conformisme à l’autre. Il rend également compte du culte de l’avant-garde : celui-ci combine la réalité et les avantages du conformisme avec les apparences de l’ouverture d’esprit et du sens du progrès. »

Si de nombreux exemples émaillent le raisonnement et la démonstration, Raymond Boudon n’en pense pas moins que, malgré l’affaiblissement relatif de beaucoup des théories ou mécanismes décrits ci-dessus, il faudra probablement une ou plusieurs générations avant que tout cet ensemble puisse évoluer vers une réflexion plus saine et moins empreinte d’a priori et déformations.

Raymond Boudon, Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme ?, Odile Jacob, février 2004, 242 pages.


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