Point examinant comment les pauvres bénéficient de la liberté et de la croissance économiques, qui leur donnent plus de chances d’échapper à leur contexte socio-économique
La croissance économique fait croître les revenus des moins nantis au même rythme que la moyenne, conclut cette étude de l’IEDM. « L’idée que la croissance économique se fait aux dépens des moins nantis repose sur du vent », explique Vincent Geloso, économiste senior à l’IEDM et auteur de l’étude.
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Ce Point a été préparé par Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et économiste senior à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.
Dans certains cercles, il est de bon ton d’attaquer le concept de croissance économique lui-même. Cette série(1) de brèves études vise à déconstruire quelques-uns des grands mythes qui sous-tendent ces attaques.
On entend parfois dire que les moins nantis sont les laissés pour compte de la croissance économique. C’est qu’on suppose que cette expansion profite essentiellement aux catégories les plus aisées de la société. Pourtant, cette hypothèse repose sur du vent; la croissance économique est généralement bénéfique pour les pauvres, en particulier dans une économie ouverte.
La croissance et les pauvres
La croyance selon laquelle les pauvres ne profitent pas de la croissance a quelque peu perdu du terrain avec l’arrivée des mégadonnées, qui facilitent la mise en commun de vastes jeux de données (nécessaires pour estimer la répartition des revenus) sur de nombreux pays couvrant de longues périodes. Il est aussi de plus en plus simple d’accéder aux données de sources multiples. Ainsi, plusieurs initiatives ont remis en cause l’idée reçue voulant que les retombées de la croissance soient mal distribuées.
La première étude à grande échelle a été réalisée en 2002, par deux économistes de la Banque mondiale. Se penchant sur les données de 1950 à 1999 de 93 pays, les auteurs ont conclu qu’une hausse de 1 % du revenu moyen entraînait une hausse comparable dans les revenus des 20 % les plus pauvres(2). En 2016, une étude portant sur 121 pays est venue reproduire et actualiser ces résultats, reconfirmant que les moins nantis bénéficient autant de la croissance économique que la personne moyenne(3).
À l’aide des données disponibles dans 113 pays, la Figure 1 illustre la croissance du revenu par habitant, de 2000 à 2015, par rapport à la croissance du revenu par habitant des 10 % les plus pauvres(4). L’axe horizontal indique la croissance du revenu moyen global pendant la période à l’étude, et l’axe vertical, la croissance du revenu moyen des 10 % les plus pauvres.
La ligne diagonale montre la correspondance un pour un, c’est-à-dire le point où la croissance profite également aux plus pauvres et à la personne moyenne. Les points au-dessous de cette ligne sont des pays où le revenu moyen croissait plus rapidement, et les points au-dessus, des pays où le revenu des pauvres croissait plus rapidement. On constate que la plupart des points se situent près de la ligne, ce qui indique que la distribution est relativement égale – et donc que la croissance est essentiellement inclusive.
D’autres chercheurs indiquent néanmoins que la relation ne serait pas d’un pour un(5), ce qui ne signifie pas pour autant que les pauvres ne profitent pas de la croissance économique, simplement qu’ils n’en profitent pas autant que la personne moyenne (ou que les très riches).
La liberté économique au service des pauvres
Selon d’autres études, une plus grande liberté économique entraînerait une hausse du revenu dans tous les déciles(6). Cependant, les gains seraient plus grands dans les déciles de revenu supérieurs, de sorte que les moins nantis recevraient une moins grande part du gâteau(7). Ainsi, tous les déciles bénéficient d’un revenu plus élevé, mais pas de façon proportionnelle. On pourrait donc penser, de prime abord, que la croissance générée par les sociétés économiquement libres profite davantage aux plus riches (sans toutefois nuire aux pauvres).
Mais les impressions peuvent être trompeuses, et la littérature nous le confirme(8). Qui plus est, une personne n’est pas confinée à un seul décile toute sa vie; au contraire, les changements de décile sont plutôt courants. Depuis 1982, Statistique Canada fait le suivi des déplacements interdéciles par tranche de cinq ans. En regardant la dernière tranche (2015 à 2020), on remarque par exemple que les Québécois qui se trouvaient dans le décile le plus pauvre en 2015 se retrouvaient en moyenne dans le troisième décile en 2020(9). Et ce, sans compter les travailleurs qui entrent sur le marché du travail (premier emploi, immigration) ou qui le quittent (retraite ou décès). Un portrait représentatif de la situation doit tenir compte de ces entrées et sorties ainsi que des déplacements entre les déciles.
Comment peut-on s’assurer que les moins nantis profitent de la croissance économique? La clé réside dans les politiques économiques et la promotion de la liberté économique, ou autrement dit, une réglementation gouvernementale limitée, un État de plus petite taille, de solides droits de propriété, le libre-échange et une monnaie stable.
Certaines études se sont penchées sur la force de la corrélation directe et indirecte entre la mobilité du revenu – les déplacements interdéciles – et la liberté économique. On constate que la mobilité augmente directement à cause de l’absence d’obstacles gouvernementaux(10). De plus, elle augmente indirectement, car la liberté économique favorise la croissance économique, ce qui a pour effet d’élargir les horizons des familles les plus pauvres, par exemple en facilitant l’acquisition d’aptitudes professionnelles, de financement de démarrage, etc.(11). Si ces deux facteurs sont importants, l’augmentation indirecte est proportionnellement beaucoup plus significative(12). En stimulant la croissance du revenu pour tous, la liberté économique permet aux pauvres d’échapper au contexte socio-économique de leur naissance. Ainsi, les pauvres bénéficient-ils davantage de la liberté et de la croissance économiques, qui leur donnent plus de chance d’améliorer leur condition.
En résumé, il est difficile de dissocier les institutions qui génèrent de la croissance économique de celles qui génèrent des occasions pour les pauvres de s’élever au-dessus de leur classe socio-économique de naissance.
Références
- Voir la première étude de la série : Vincent Geloso, « Pourquoi la croissance économique est bonne pour la santé », IEDM, Point, avril 2023.
- David Dollar et Aart Kraay, « Growth Is Good for the Poor », Journal of Economic Growth, vol. 7, septembre 2002, p. 207-208 et 218.
- David Dollar, Tatjana Kleineberg et Aart Kraay, « Growth Still Is Good for the Poor », European Economic Review, vol. 81, 2016, p. 81.
- Justin T. Callais et Andrew T. Young, « A rising tide that lifts all boats: An analysis of economic freedom and inequality using matching methods », Journal of Comparative Economics, 2023, p. 8-13.
- James E. Foster et Miguel Székely, « Is Economic Growth Good for the Poor? Tracking Low Incomes Using General Means », International Economic Review, vol. 49, no 4, novembre 2008, p. 1157-1159 et 1165-1166.
- Justin T. Callais et Andrew T. Young, op. cit., note 4, p. 31-32; James Dean et Robert Lawson, « Who gains from economic freedom? A panel analysis on decile income levels », Economics and Business Letters, vol. 10, no 2, 2021, p. 103-106.
- Donatella Saccone, « Who gains from economic freedom? A panel analysis on decile income shares », Applied Economics Letters, vol. 28, no 8, 2021, p. 647.
- Nicholas Apergis, Oguzhan Dincer et James E. Payne, « Economic freedom and income inequality revisited: Evidence from a panel error correction model », Contemporary Economic Policy, vol. 32, no 1, 2014, p. 67-74; Daniel L. Bennett et Boris Nikolaev, « Economic freedom & happiness inequality: Friends or foes? » Contemporary Economic Policy, vol. 35, no 2, 2017, p. 373-389; Daniel L. Bennett et Richard K. Vedder, « A dynamic analysis of economic freedom and income inequality in the 50 US states: Empirical evidence of a parabolic relationship », Journal of Regional Analysis & Policy, vol. 43, no 1, 2013, p. 42-54.
- Statistique Canada, Tableau 11-10-0059-01 : Mobilité du revenu sur cinq ans, consulté le 18 avril 2023.
- Christopher J. Boudreaux, « Jumping off of the Great Gatsby curve: How institutions facilitate entrepreneurship and intergenerational mobility », Journal of Institutional Economics, vol. 10, no 2, 2014, p. 17-18; James Dean et Vincent Geloso, « Economic freedom improves income mobility: Evidence from Canadian provinces, 1982-2018 », Journal of Institutional Economics, vol. 18, no 5, 2022, p. 823-824.
- Justin T. Callais et Vincent Geloso, « Intergenerational income mobility and economic freedom », Southern Economic Journal, vol. 89, no 3, 2023, p. 735- 738 et 749-750.
- Ibid., p. 749.