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13 septembre, 2007

Une philosophie qui dérange

André Dorais

Lorsque Ludwig von Mises a démontré qu’il était possible de déduire l’ensemble des lois économiques à partir du constat que l’homme agit dans le but d’améliorer son sort, il ne pensait pas que l’on s’en servirait pour remettre en question le droit et la politique. Il a toujours été critique des politiques gouvernementales, mais quant à leur capacité d’atteindre leur but.

Un de ses meilleurs élèves, Murray N. Rothbard, a précisé que cette inefficacité n’était pas due uniquement à l’incompréhension des lois économiques, mais à une croyance aveugle aux lois politiques. Autrement dit, pour Rothbard, l’efficacité de l’action repose en dernier lieu sur l’éthique mise de l’avant. Puisqu’il considère misérable l’«éthique politique» actuelle, il ne s’est pas fait prier pour jeter les bases d’un droit universel.

L’économie : du sens strict au sens large

La catallaxie, soit la science de l’échange dans une société marchande, constitue le noyau dur de l’économie. Pareille société implique une division du travail, la propriété privée des moyens de production, une monnaie et le calcul économique pour échanger biens et services. À partir de ces échanges caractérisés par le calcul monétaire, certains économistes ont élargi leur champ d’investigation pour considérer l’ensemble des choix individuels. Puisque l’action humaine est au centre de l’activité économique et que Mises cherche à en retracer les lois en utilisant la logique verbale plutôt que mathématique, il considère que l’économie s’inscrit dans une science plus large qu’il nomme «praxéologie», soit la science de l’action. Toutefois, étant donné qu’il la caractérise essentiellement à partir de sa conception de l’économie, on dira simplement que cela en est une conception élargie.

L’économie présentée selon la logique verbale plutôt que mathématique

La plupart des économistes d’aujourd’hui ont été endoctriné à l’idée qu’une science humaine, pour être rigoureuse, doit utiliser des statistiques et des mathématiques. Celles-ci facilitent la construction d’hypothèses dont la cohérence peut être testée. Si ces hypothèses résultent en des prédictions de phénomènes, elles sont considérées valides, sinon on les modifie, voire les remplace.

Comme le dit Frank Shostak, dans Donner un sens aux indices économiques, la nature approximative de ces hypothèses implique que les économistes ne peuvent même pas être sûrs de la loi de l'offre et de la demande. En effet, bien que l'on accepte qu'une augmentation de l'offre d'un bien pour une demande donnée diminue son prix, il n'en sera pas toujours ainsi. On peut aussi bien imaginer une situation où le prix d'un bien augmentera. Il s’ensuit qu’on est condamné à l'incertitude en ce qui a trait au monde réel. Puisqu'il est impossible, selon cette méthode, d'établir comment les choses fonctionnent réellement, alors la nature des hypothèses qui sous-tendent un modèle théorique importe peu. Selon Milton Friedman, prix Nobel d’économie en 1976 :

«La question pertinente à demander à propos des postulats d'une théorie n'est pas de savoir s'ils décrivent bien la réalité car ils n'y arrivent jamais, mais de savoir s'ils constituent de bonnes approximations. Cette question n'a de réponse qu'en évaluant si la théorie fonctionne, c'est-à-dire si les prédictions qui en résultent sont suffisamment précises.» Essays in Positive Economics, 1953, p.15

Cette façon de procéder est inadmissible, car une science humaine doit décrire la réalité et en déterminer les forces motrices. En économie, la réalité de départ, la force motrice, est que l’homme agit dans le but de satisfaire ses besoins. Les réalités qui découlent de celle-ci sont donc tout aussi réelles. Par exemple, si un individu vise un but, n’importe quel, cela démontre qu’il lui accorde de l’importance. Si l’objectif atteint s’avère conforme à ses attentes, il lui procurera satisfaction. Chaque action encourt des risques. On doit y consacrer du temps et des ressources et puisque celles-ci sont rares, l’individu doit faire des choix, évaluer ses alternatives, etc. Puisque ces propositions sont déduites du principe de l’action et décrivent tout autant de réalités, on doit conclure qu’elles sont vraies. La difficulté est de reconnaître ces réalités, car elles ne sont pas directement observables. Elles sont le résultat de la réflexion.

Traduire ces propositions en axiomes mathématiques sans perdre de vue la complexité de l’interdépendance de l’esprit (la raison) et de l’action constitue une mission pratiquement impossible. Même John Maynard Keynes, mathématicien et économiste de renom, préconisait la retenue, bien qu’il ne la pratiquait pas («Faites ce que je dis, pas ce que je fais!») : «Trop de récentes «économies mathématiques» ne sont que pures spéculations; aussi imprécises que leurs hypothèses initiales, elles permettent aux auteurs d'oublier dans le dédale des symboles vains et prétentieux les complexités et les interdépendances du monde réel.» Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, livre III, p.119

«L’économie», dit Mises, «peut prédire les effets attendus d'un recours à des politiques économiques. Elle peut répondre à la question de savoir si une mesure est apte à atteindre les fins visées et dans la négative, de définir ce que seront les effets réels. Toutefois, bien évidemment, cette prédiction ne peut être que qualitative.» The Ultimate Foundation of Economic Science

Les tenants de la formalisation mathématique non seulement n’apportent rien de plus à l’analyse économique, mais s’éloignent de la réalité et du monde. Ils singent la physique en essayant de reproduire des faits historiques comme si ces faits étaient tirés de l’expérience d’un laboratoire. Ils cherchent ensuite à tirer un nombre de chaque événement dans le but illusoire d’établir des constantes. Or, celles-ci ne sont pas tant des constantes de l’action que des nombres lissés par des statistiques. Il n’existe pas, à proprement parler, de constante dans l’action humaine.

En inscrivant l’économie au sein de la praxéologie, Mises n’avait pas à l’esprit uniquement une préférence pour un choix de méthode, la logique verbale, car dans ce cas le terme «praxéologique» eut été préférable. Il cherchait également à différencier l’économie de l’histoire, car celle-ci est également une science de l’action. Pour Mises, l’économie est pourvue de lois qui lui sont propres. En ce sens, il n’était pas tant à la recherche d’une praxéologie que d’une «praxéonomie» (de praxis, action et nomos, loi).

La nature des lois économiques

Les lois économiques (de la demande, de l’offre, de l’échange, etc.) et plus généralement celles de l’action (de la préférence, de l’utilité marginale, etc.) se rapprochent des lois naturelles par leur caractère inévitable. Par exemple, l’augmentation de la demande d’un bien pour une offre donnée conduira inéluctablement à une hausse de son prix. Ce qui est incertain est de savoir quand. On qualifie souvent ces lois de constantes, mais dans ce cas on doit faire attention de ne pas les confondre avec les constantes rencontrées dans l’univers du monde inanimé et étudié, par exemple, en physique et en chimie.

On retrouve ces lois dans l’action humaine, mais pas dans les faits historiques. Ceux-ci sont singuliers et pour bien les comprendre on fait appel au jugement que la praxéologique tente d’éviter pour se concentrer sur le principe d’action et ce qui en découle. Étant donné que chaque événement historique est unique et résulte de multiples causes n’ayant aucune constante entre elles, on ne peut en tirer de lois. Certes, on dit communément que l’histoire se répète, mais ce n’est là qu’une façon de parler qui évoque des généralités. Il va sans dire que cela ne rend pas l’histoire inutile pour autant. Un homme qui connaît l’histoire est un homme avisé.

Ces lois internes à l’action humaine se distinguent des lois qu’on lui impose, soit celles qui proviennent notamment du politique, du religieux et du droit. Elles constituent des contraintes au même titre que celles prescrites par ces sciences sans être elles-mêmes des prescriptions. Par exemple, lorsqu’on dit qu’une augmentation des prix conduit à une baisse de la demande, toutes choses étant égales par ailleurs, on signale une contrainte à la hausse de la demande. Autre exemple : Si l’on consomme davantage que l’on produit, viendra un jour où sa consommation devra être réduite. Ces contraintes sont propres à l’action. Nul besoin de les corriger, car elles se corrigent d’elles-mêmes avec le temps, le mécanisme des profits et pertes et le respect de la propriété. Malheureusement, les politiciens et leurs supporteurs ne voient pas les choses du même œil.

Aux contraintes internes à l’action humaine, ils en ajoutent une multitude dans le but de corriger ce qu’ils qualifient d’injustice. Or, il ne s’agit pas d’injustice, mais d’incompréhension de l’action humaine, de ses lois et par conséquent du marché. Règle générale, plus sa conception de l’État et par suite de la justice tend vers une égalité économique, plus on croit que le marché est incapable de se corriger lui-même. À l’inverse, plus on juge qu’il est apte à se corriger, plus on considère que l’interventionnisme se fonde sur une incompréhension du marché. La compréhension de celui-ci et, par extension, de l’action humaine et de ses lois, est déterminante pour les idées relatives au rôle de l’État dans une société.

Étant donné que l’économiste analyse l’impact des prescriptions sur l’action, il va sans dire qu’il est apte à en suggérer. Le danger est de se substituer aux moralistes et aux politiciens. Son objectif est avant tout de promouvoir l’efficacité des échanges pour faciliter la création de richesse. Toutefois, en étudiant les conséquences et les contraintes de l’action, autant celles qui lui sont propres que celles qui lui sont imposées, on est enclin à considérer inefficaces et nuisibles les prescriptions imposées par le politique, le droit et, dans certaines parties du monde, la religion. Il s’ensuit que l’étude de la praxéologie, telle qu’entendue par Mises mais pas nécessairement envisagée par lui, finit par remettre en question plusieurs sciences normatives.

Poussée à fond, la praxéologie fait disparaître la politique et réduit le droit à l’éthique de la liberté. Elle laisse toute la place aux morales individuelles dans la mesure où elles respectent les principes de non-agression et de propriété. Elle laisse également la place à l’éthique philosophique, qui constitue davantage un ensemble de prescriptions relatives à une manière d’agir (avec courage, générosité, etc.) que des prescriptions suggérant quoi faire et penser.

Lorsqu’on analyse la praxéologie uniquement à titre de méthode, on conclut que l’expression vise trop large, tandis que lorsqu’on en fait une étude des lois économiques, il eut peut-être été préférable de la qualifier par le néologisme «praxéonomie». Quoi qu’il en soit de la justesse de l’expression, la conception de Mises de l’économie est unificatrice des diverses définitions présentées à ce jour, car elle met l’accent là où il se doit, soit sur l’action humaine qui vise un but. En même temps, elle demeure radicalement différente des autres conceptions, que ce soit par la méthode utilisée, sa théorie de la valeur et l’accent mis sur les lois qui lui sont propres.

Cette conception clarifie les différences entre les lois économiques et celles des sciences naturelles d’une part, les lois économiques et celles des sciences normatives d’autre part. Son étude se fonde exclusivement sur l’angle de l’efficacité, mais comme l’indique Rothbard, celle-ci s’établit, à son tour, sur une éthique rationnelle et conséquemment universelle qui conduit à une remise en question et du politique et du droit fondé sur elle. En somme, il s’agit d’une philosophie qui bouscule et dérange, mais qui mérite d’être étudiée et mise en pratique, car elle se veut dans l’intérêt de tous.

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