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30 avril, 2023

Pourquoi la croissance économique est bonne pour la santé

 Ce Point a été préparé par Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et économiste senior à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Dans certains milieux, il est de bon ton d’attaquer le concept de croissance économique lui-même. On entend parfois l’argument selon lequel des pays comme les États-Unis, qui sont exceptionnellement riches au regard du reste du monde, ont une espérance de vie à la naissance plus basse que d’autres pays à la richesse moins élevée. Pourtant, la relation positive entre croissance économique et espérance de vie est bien plus solide que ne le laissent présager ces comparaisons simplistes. En fait, les institutions qui génèrent de la croissance économique ont des effets à la fois directs et indirects sur notre capacité de vivre plus longtemps – et plus en santé.

L’idée d’une corrélation entre croissance économique et état de santé ne date pas d’hier(1). Il est généralement présumé qu’un revenu supérieur se traduit par une alimentation plus stable et équilibrée qui protège de nombreuses maladies et des retards de croissance dus aux périodes de privation(2). Ces effets sont particulièrement visibles chez les enfants qui profitent d’un avantage nutritionnel évident pendant leur croissance grâce aux revenus élevés de leurs parents. Ces bienfaits pour la santé engendrent à leur tour une croissance économique, car les personnes qui en profitent vivent plus longtemps, plus en santé et tendent à être plus productifs : c’est un cercle vertueux(3).

Cette relation directe, cela dit, n’explique pas la majorité des reculs des taux de mortalité (et donc les augmentations de l’espérance de vie)(4). La corrélation est plutôt forte lorsque les revenus et l’espérance de vie sont faibles, de sorte que l’augmentation d’un revenu très faible génère d’importants effets positifs, mais les gains s’amenuisent au-delà d’un certain niveau de vie. Ainsi, bien que toute hausse de revenu soit avantageuse pour la santé, ses effets positifs sont de moins en moins évidents à mesure qu’un pays s’enrichit(5).

Plusieurs mettent alors l’accent sur les interventions de santé publique comme moteur

d’amélioration lorsque les revenus sont élevés(6). Cependant, trois problèmes émergent si l’on néglige le rôle important de la croissance économique dans l’amélioration de la santé et de la longévité. D’abord, une grande proportion de la population mondiale est encore plutôt pauvre et peut donc bénéficier considérablement de la croissance économique. Ensuite, les interventions de l’État sont généralement plus efficaces dans les sociétés riches, car la croissance économique rend possibles les interventions ou permet au secteur public de concevoir et de déployer de nouvelles technologies(7). Et enfin, le plus important, c’est qu’il y a une limite biologique à l’espérance de vie, qui explique la diminution des avantages pour la santé au-delà d’un certain point.

Un meilleur indicateur de l’espérance de vie

Il est plus facile de faire d’importants gains si l’espérance de vie est très faible que si elle est déjà élevée. Cet obstacle purement biologique fait en sorte qu’il est presque assuré de voir les avantages de la croissance économique s’aplanir, et ces limites biologiques sont difficiles (mais pas impossibles) à repousser.

Qui plus est, les pays qui se rapprochent de ces limites ont aussi vu une nette diminution du temps de vie en état d’invalidité, les personnes âgées étant plus susceptibles de conserver une bonne santé physique et mentale(8). Comme la qualité de chaque année vécue importe, au-delà du nombre d’années de vie, le recours à la simple espérance de vie à la naissance peut laisser dans l’ombre des aspects importants.

C’est pourquoi de nombreux économistes proposent d’utiliser un indice d’espérance de vie qui accorde plus de poids aux réalisations possibles à l’approche de nos limites biologiques(9). Après tout, il est bien plus impressionnant d’augmenter l’espérance de vie d’un an lorsque la moyenne est déjà de 85 ans ou plus que lorsqu’elle est de seulement 35 ans. La Figure 1 illustre la corrélation ajustée généralement employée par ces économistes(10). On y voit qu’une fois la difficulté de réaliser des gains prise en compte, les effets des revenus sur la capacité de progression ne s’affaiblissent pas.

Rôle de l’innovation pharmaceutique et des institutions

Notre capacité à surmonter des problèmes de santé complexes en nous enrichissant est bien illustrée par le développement pharmaceutique. En effet, l’innovation constante en biopharmaceutique permet aujourd’hui le traitement de maladies autrefois considérées comme incurables. Ces avancées ont réduit d’une part les taux de mortalité, et de l’autre, les taux d’invalidité, de sorte que l’espérance de vie en santé a augmenté.

Selon une étude portant sur 52 pays, la mise au point de nouveaux médicaments a été responsable de 40 % des gains d’espérance de vie entre 1986 et 2000(11). D’autres études montrent qu’une proportion non négligeable de ces gains dans des pays riches comme les États-Unis et la Nouvelle-Zélande sont attribuables à la réduction des risques de mortalité après 65 ans(12).

Les investissements requis pour créer de nouveaux médicaments sont beaucoup plus faciles à faire dans les sociétés riches, qui peuvent se permettre de dépenser davantage en recherche et développement(13). Qui plus est, les chercheurs, inventeurs et entrepreneurs qui s’engagent dans de longs et coûteux projets de recherche et de développement ont besoin d’une garantie que les fruits de leur labeur ne seront pas confisqués ou restreints en raison de politiques gouvernementales.

C’est pourquoi certains éléments de liberté économique, comme la protection des droits de propriété et le libre cours des marchés, sont intimement liés à la capacité de faire ces investissements. Il est aussi à noter que les sociétés économiquement libres enregistrent généralement une croissance économique beaucoup plus rapide et des revenus plus élevés que les sociétés moins libres(14), ce qui, répétons-le, favorise directement la mise au point de nouvelles techniques médicales et de nouveaux traitements biopharmaceutiques(15).

En bref, on ne peut détacher les institutions productrices de croissance économique de celles qui améliorent la santé de la population.

Références

  1. Thomas McKeown, The Modern Rise of Population, Edward Arnold, 1976; M. C. Buer, Health, Wealth and Population in the Early Days of the Industrial Revolution, London Routledge et Kegan Paul, 1926.
  2. Bernard Harris, « Public Health, Nutrition, and the Decline of Mortality: The McKeown Thesis Revisited », Social History of Medicine, vol. 17, no 3, décembre 2004, p. 379-407.
  3. Lorenzo Rocco et al., « Mortality, morbidity and economic growth », Plos one, vol. 16, no 5, mai 2021, p. 9.
  4. Jonathan Chapman, « The contribution of infrastructure investment to Britain’s urban mortality decline, 1861-1900 », The Economic History Review, vol. 72, no 1, février 2019, p. 233-259.
  5. Samuel H. Preston, « The changing relation between mortality and level of economic development », Population Studies, vol. 29, no 2, juillet 1975, p. 231-248.
  6. Louis Cain et Elyce Rotella, « Death and spending: Urban mortality and municipal expenditure on sanitation », Annales de démographie historique, vol. 101, no 1, 2001, p. 143.
  7. Werner Troesken, The Pox of Liberty, University of Chicago Press, 2015; Werner Troesken, « Typhoid Rates and the Public Acquisition of Private Waterworks, 1880-1920 », Journal of Economic History, vol. 59, no 4, décembre 1999, p. 927-948; Vincent Geloso, Kelly Hyde et Ilia Murtazashvili, « Pandemics, economic freedom, and institutional trade-offs », European
    Journal of Law and Economics, vol. 54, no 1, 2022, p. 37-61.
  8. Simon I. Hay et al., « Global, regional, and national disability-adjusted life-years (DALYs) for 333 diseases and injuries and healthy life expectancy (HALE) for 195 countries and territories, 1990–2016: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016 », The Lancet, vol. 390, 16 septembre 2017, p. 1260.
  9. Leandro Prados de la Escosura, « Health, Income, and the Preston Curve: A Long View », Economics and Human Biology, vol. 48, janvier 2023, p. 8-9; Nanak Kakwani, « Performance in living standards: An international comparison », Journal of Development Economics, vol. 41, no 2, 1993, p. 307-336.
  10. Il est question de la transformation de Kakwani, dont la formule mathématique est la suivante : 
  11. Frank Lichtenberg, « The Impact of New Drug Launches on Longevity: Evidence from Longitudinal Disease-Level Data from 52 Countries, 1982-2001 », document de travail du National Bureau of Economic Research, (w9754), juin 2003, p. 1.
  12. Frank Lichtenberg, « The Impact of New Drugs on US Longevity and Medical Expenditure, 1990–2003: Evidence from Longitudinal, Disease-Level Data », The American Economic Review, vol. 97, no 2, mai 2007, p. 438-443; Frank Lichtenberg, « The impact of pharmaceutical innovation on the longevity and hospitalization of New Zealand cancer patients, 1998–2017 », Expert Review of Pharmacoeconomics & Outcomes Research, vol. 21, no 3, 15 mars 2021, p. 457-475.
  13. Paul Heney, « Global R&D investments unabated in spending growth », R&D World, 19 mars 2020.
  14. Joshua Hall et Robert Lawson, « Economic Freedom of the World: An Accounting of the Literature », Contemporary Economic Policy, vol. 32, no 1, janvier 2014, p. 1-19.
  15. Yi Qian, « Do National Patent Laws Stimulate Domestic Innovation in a Global Patenting Environment? A Cross-Country Analysis of Pharmaceutical Patent Protection, 1978-2002 », The Review of Economics and Statistics, vol. 89, no 3, août 2007, p. 436.

29 avril, 2023

Steve Forbes : L’Europe et les États-Unis sont sur la voie d’une économie planifiée

Rainer Zitelmann auteur du livre In Defense of Capitalism, a rencontré Steve Forbes, rédacteur en chef du magazine Forbes, à deux reprises à New York en avril. C’est un homme remarquable qui a une vision claire de l’économie de marché. Ils ont parlé des développements économiques et politiques actuels aux États-Unis et en Europe.

 

Rainer Zitelmann : La Heritage Foundation vient d’attribuer aux États-Unis le pire indice de liberté économique depuis la première publication de l’indice en 1995. Selon le dernier indice, pas moins de 16 pays européens sont aujourd’hui considérés comme plus libres économiquement que les États-Unis.

Forbes : Deux facteurs majeurs ont causé la diminution de la liberté économique aux États-Unis. Le premier est la montée du socialisme moderne. Plutôt que la vieille idée de la propriété publique des entreprises et des industries, les socialistes modernes parviennent à contrôler l’économie en développant l’État régulateur. Les régulateurs sont de plus en plus nombreux à vous dire ce que vous pouvez faire et ce que vous ne pouvez pas faire.

La portée de l’État régulateur a énormément augmenté au cours de ce siècle. L’administration Trump a inversé la tendance, mais ce n’était qu’un répit. M. Biden a non seulement défait ce que M. Trump avait fait, mais il a également accru la portée de l’État régulateur à des niveaux sans précédent.

Dernier exemple en date : les règles proposées concernant les véhicules électriques. Par la coercition, ils veulent détruire l’utilisation du moteur à combustion interne et faire de l’industrie automobile un pupille virtuel de l’État.

Le deuxième facteur est absolument ignoré par les décideurs politiques et les experts : la dévaluation du dollar. La monnaie est une mesure de la valeur, tout comme la balance mesure le poids, l’horloge mesure le temps et la règle mesure la longueur.

Au début des années 2000, l’administration Bush a mené une politique délibérée mais non déclarée d’affaiblissement du dollar. Les prix des matières premières ont grimpé en flèche. Il en a été de même pour les prix de l’immobilier. Le résultat a été la crise de 2008-2009 qui, bien sûr, a été imputée aux marchés libres plutôt qu’aux erreurs des États.

Ce désastre a été suivi par la suppression des taux d’intérêt par la Réserve fédérale et d’autres banques centrales, puis par l’impression d’une quantité excessive d’argent pendant la crise covid.

Les antidotes sont simples : réduire les taux d’imposition, stabiliser le dollar et déréglementer. La Cour suprême a pris – et prendra – des décisions qui contribueront à la lutte contre l’État administratif. Pour inverser le glissement de la liberté économique, les Républicains doivent gagner en 2024.

 

Rainer Zitelmann : Que doivent faire les États-Unis pour réduire leur montagne de dettes ?

Forbes : Les seuls moyens réalistes de faire face à la crise financière croissante de l’État sont de créer les conditions d’une économie en plein essor – réduction des taux d’imposition, limitation des dépenses, déréglementation et stabilité du dollar. C’est en grande partie ce que les États-Unis ont fait après la Seconde Guerre mondiale, lorsque la dette américaine en proportion du PIB est passée de plus de 120 % à environ 35 % avant que nous ne sortions de l’étalon-or au début des années 1970.

 

Rainer Zitelmann : Qu’attendez-vous d’un candidat comme Ron Desantis ? Défend-il une approche clairement orientée vers le marché ?

Forbes : Jusqu’à présent, aucun des candidats ou candidats potentiels n’a présenté un programme de croissance comme l’a fait Ronald Reagan lorsqu’il s’est présenté en 1980. La clé du programme de Reagan était une réduction générale de 30 % de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

Ces futurs présidents républicains doivent également préciser ce qu’ils comptent faire de la Réserve fédérale, qui ne sait rien faire. Et bien sûr, ils doivent proposer une stratégie pour faire face à un monde de plus en plus dangereux sur le plan géopolitique. Reagan l’a également fait.

 

Rainer Zitelmann : L’inflation s’est répandue dans le monde entier ces derniers temps. Certains hommes politiques et médias affirment que nous avons dépassé le pic. Selon vous, quelle est la cause de cette récente poussée inflationniste et quelle sera la suite des événements ?

Forbes : La récente hausse des prix est le résultat des graves perturbations causées par ces blocages et par les États qui sapent la valeur de leurs monnaies. Malheureusement, la Réserve fédérale et les autres banques centrales pensent qu’il faut lutter contre l’inflation en déprimant les économies et en appauvrissant les gens. Cela ressemble à ce que les médecins faisaient aux patients il y a plus de deux siècles : ils les saignaient !

 

Rainer Zitelmann : L’Union européenne a interdit l’immatriculation de nouvelles voitures à moteur à combustion à partir de 2035. Pour moi, c’est un signe que l’Europe se rapproche de plus en plus d’une économie planifiée, où ce sont les politiciens et non les entreprises et les consommateurs qui décident de ce qui est produit. Que pensez-vous de cette interdiction ? Pensez-vous que les États-Unis introduiront une législation similaire ?

Forbes : Les interdictions proposées en Europe et maintenant aux États-Unis font partie intégrante d’une économie planifiée et socialiste moderne. Ils utilisent de fausses données scientifiques et des mensonges purs et simples pour justifier cette prise de pouvoir liberticide !

 

Rainer Zitelmann : Le capitalisme étant menacé partout dans le monde, l’anticapitalisme se développe. Que pouvons-nous faire ?

Forbes : D’un point de vue pratique, il faut plaider en faveur d’une réduction des taux d’imposition et s’opposer aux idioties évidentes telles que l’interdiction des cuisinières à gaz, la réduction de la puissance des climatiseurs et l’obligation d’acheter des véhicules électriques onéreux. Les électeurs américains sentent que ce qui se passe aujourd’hui est profondément erroné, tout comme ils l’ont senti en 1980. Nous devons insister sur le fait que nos malheurs actuels sont le résultat d’erreurs et d’excès de pouvoir flagrants de la part de l’État !

28 avril, 2023

Pourquoi notre société n’est pas capitaliste, mais entrepreneuriale

 Par Philippe Silberzahn.

Faisant référence aux réflexions du philosophe français Brice Parain, Albert Camus écrivait : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. »

Les mots que nous choisissons pour nommer les choses sont importants. Encore plus important est de savoir d’où ils viennent et qui les a choisis. C’est le cas pour notre société que nous qualifions, à tort, de capitaliste.

Le terme « capitalisme » a été inventé par l’économiste Werner Sombart pour qualifier la société qui émerge en Europe à partir du XVIIe siècle, et il était péjoratif. Il la qualifie de capitaliste car selon lui sa caractéristique principale, son moteur essentiel, réside dans l’accumulation du capital.

Cette accumulation est à la fois le moyen et la fin et il la considère comme un fait historiquement nouveau. Or, l’accumulation est un désir aussi ancien que l’Homme lui-même. Elle ne caractérise en rien le monde qui émerge à partir du XVIIe siècle. Presque toutes les sociétés humaines ont été accumulatrices. Que l’on songe aux conquistadores espagnols, produits typiques de la société féodale aristocratique, obsédés par l’accumulation de l’or et de l’argent, qui ruinera l’Espagne. Même certaines tribus nomades, qui pillent l’Europe vers la fin de l’Empire romain, sont accumulatrices. L’accumulation, c’est l’objet même du pillage, et il est aussi vieux que l’humanité. Et il y a eu des personnes très riches dans toutes les sociétés depuis la nuit des temps.

Ce qui définit notre société n’est pas non plus qu’elle donne une part importante au commerce. Là encore, les hommes ont commercé depuis toujours. Le commerce international existait déjà au Néolithique, même s’il ne touchait souvent qu’une faible partie de la société. L’Asie, par exemple, a une très forte culture commerciale, notamment dans la diaspora chinoise que l’on retrouve en Thaïlande et en Malaisie, et cette culture existe également au Moyen-Orient et en Afrique. En fait, elle existe presque partout. Le commerce est source de dynamisme et de richesse, mais il ne correspond pas toujours à une culture d’innovation. Une société peut avoir une communauté marchande très dynamique mais ne pas être innovante et conserver des structures sociales et des modèles mentaux inchangés durant des siècles. D’ailleurs, l’historien David Gress observe que si l’on définit le capitalisme en termes d’entrepreneurs produisant selon des méthodes rationnelles et cherchant à vendre leurs produits sur un marché, alors le capitalisme n’a jamais été spécifique à l’Occident.

Pour l’économiste et historienne Deirdre McCloskey, la société qui émerge approximativement à partir du XVIIe siècle n’est ni capitaliste ni commerciale, mais bourgeoise. C’est une société qui reconnaît la dignité par le travail et le talent, en opposition au modèle mental médiéval de la dignité par la naissance. Mais là encore, le terme bourgeois ne semble pas définir correctement cette « nouvelle société », car on peut être bourgeois et conservateur.

 

La société entrepreneuriale

Ce qui caractérise cette société, c’est la posture d’innovation. C’est la volonté d’améliorer sans cesse le monde qui nous entoure, et surtout de croire qu’on peut le faire, et le fait que cette amélioration soit socialement valorisée.

Il s’agit d’une rupture fondamentale de modèle mental. Jusqu’au XVIIe siècle environ, c’est en effet la stabilité qui est socialement valorisée. Le changement est vu comme une menace. Le modèle mental dominant est en effet que le monde a été créé par Dieu et est donc parfait. Il existe un ordre céleste immuable. Tout ce qui le remet en question est dangereux. Le mot innovation est donc péjoratif. La croyance selon laquelle la fixité est une chose plus noble et plus digne que le changement est d’ailleurs une tradition dominante dans la philosophie, qui remonte au moins jusqu’à Platon.

Dans son ouvrage Capitalisme, Socialisme et Démocratie, l’économiste Joseph Schumpeter, qui comme tant d’autres a adopté le terme de capitalisme pour la qualifier, indique en effet que cette société repose sur un processus d’évolution : évolution du marché et des firmes qui le composent, évolution des technologies, évolution des goûts et des habitudes, etc. Le système est dynamique. Il est au contraire en perpétuel renouvellement, ne revenant jamais au même point, dans un processus de destruction créatrice, pour reprendre l’expression fameuse de Schumpeter, où l’ancien est remplacé par le nouveau, qui sera lui-même remplacé à son tour. L’accumulation, qui est nécessaire pour constituer un capital, est bien plus un préalable qu’un objectif, et ce préalable n’existe que dans certains domaines lorsque, par exemple, le lancement de l’activité nécessite un fort investissement initial, comme construire une usine. Il n’existe quasiment pas dans les activités de service.

Notre société n’est pas capitaliste, au sens d’une recherche d’accumulation, mais entrepreneuriale, au sens où elle repose sur l’innovation. Elle n’est pas innovante de façon gratuite, comme peut l’être l’art, mais elle utilise l’échange pour innover. Les deux sont indissociables. Certaines sociétés innovent sans commercer, d’autres commercent sans innover; la société moderne commerce pour innover, et innove pour commercer. Le changement, qu’il soit technique, moral ou social, est donc au cœur de la société entrepreneuriale.

 

Critiques morales de la société entrepreneuriale

Placer le changement au cœur de la société n’a jamais été totalement accepté, ni socialement ni intellectuellement. On parle encore aujourd’hui de « peur du changement ». On met souvent en avant plus ce que l’on peut perdre du changement plutôt que ce que l’on peut en gagner. Ainsi, il est caractéristique que l’écho principal donné au développement de Chat-GPT ait été pour en souligner les risques, beaucoup plus que pour en souligner l’intérêt et le potentiel formidable.

Dès ses débuts, la révolution entrepreneuriale a ainsi suscité l’hostilité de nombre d’intellectuels. Le mouvement romantique allemand est un long cri de protestation contre elle, plaidant pour un « réenchantement » du monde, un retour à celui d’avant la technique. Le modèle mental étant que le monde « naturel », débarrassé de la technique, était « enchanté ». L’hostilité est également venue de ceux qui s’inquiétaient de l’ouverture de la boîte de Pandore que constituait la libération de cette énergie entrepreneuriale. Celle-ci ouvrait des possibilités inimaginables, et donc perçues comme potentiellement très dangereuses. Cette énergie étant subversive par nature, les élites ont très tôt voulu la contrôler.

Cette hostilité n’a pas disparu aujourd’hui, loin s’en faut, en particulier en France. Il y a ceux qui remettent explicitement l’innovation en question en voulant ralentir la société, voire aller vers la décroissance, et qui ont trouvé dans le changement climatique un nouvel argument très utile. Il y a aussi ceux qui veulent placer l’innovation sous tutelle d’une autorité morale, avec des expressions comme « Innovation for good ». Cette hostilité transparaît également dans un discours qui se développe depuis quelques mois selon lequel le monde ne sera pas sauvé par l’innovation mais par une modification de nos modes de vie, un autre subtil argument pour placer l’innovation sous contrôle politique et moral. Nouveaux arguments bien pratiques pour des courants de pensée finalement très anciens.

 

La posture entrepreneuriale en question

Reconnaître que ce qui définit notre société depuis 400 ans n’est ni l’accumulation « capitaliste » ni le commerce, ni la mentalité bourgeoise, mais l’esprit entrepreneurial est important parce que cela permet de mieux comprendre ce qui se joue en ce moment dans notre pays.

Car nous vivons une évolution duale : d’une part, l’entrepreneuriat n’a jamais été aussi dynamique en France, et séduit une part croissance de la population ; d’autre part, l’hostilité à cette culture entrepreneuriale et au progrès est en pleine ascension. C’est le résultat de cette opposition, en fonction de celui de ces deux courants qui prendra l’ascendant sur l’autre, qui définira la nature de notre société pour longtemps.

27 avril, 2023

Le matérialisme, ennemi de l’État de droit

 Par Alexandre Deljehier.

 

Dans l’imaginaire collectif, le matérialisme représente cette tendance à chérir la possession matérielle, à idolâtrer l’argent.

Le problème du matérialisme est en réalité plus vaste : les beatniks, par exemple, rejetaient les possessions matérielles, mais cultivaient une « spiritualité » matérialiste. Le matérialisme caractérise plutôt le fait de privilégier l’immanence (la matière, le monde sensible) plutôt que la transcendance (l’esprit, le monde intelligible). Pour les matérialistes seule la matière pense : la conscience est le produit du cerveau ; ainsi nos idées et notre volonté ne sont pas libres, mais déterminées. Le matérialisme s’inscrit en opposition à l’idéalisme dont le credo est le suivant : l’esprit doit dominer la matière !

Le matérialisme représente un challenge pour les défenseurs de l’État de droit et de la liberté car ses principes sont somme toute séduisants. Aussi, les enjeux politiques dépendent toujours des réflexions métaphysiques et les opinions politiques sont indissociables d’opinions philosophiques. Pour se situer politiquement, il suffit de se poser ces questions : suis-je plutôt matérialiste ou idéaliste ? Suis-je moderne ou antimoderne ?

Le présent billet permettra d’éclairer ce point tout en présentant les conséquences politiques néfastes du matérialisme.

Tout d’abord, il faut distinguer un matérialisme classique d’un matérialisme révolutionnaire ; les matérialistes classiques auront tendance à n’estimer que la nature, et les révolutionnaires, à n’estimer que l’environnement culturel. La question de la modernité ou de l’antimodernité vient montrer qu’il n’existe pas une seule façon d’être idéaliste ou d’être matérialiste. Il ne suffit donc pas d’être idéaliste pour défendre l’État de droit ; il faut en plus être moderne.

 

Le matérialisme peut être de gauche et de droite

Le matérialisme classique est considéré comme réactionnaire par les révolutionnaires.

Les classiques ont une conception immanentiste, et parfois même tragique, de la nature : celle-ci se réduit à la matière et rien d’autre. Dans l’Antiquité, les matérialistes seront les présocratiques, Démocrite, Épicure, Lucrèce, etc. À l’époque moderne, nous retrouverons les libertins, les moralistes français, Hobbes et Spinoza, entre autres. Ces matérialistes ne présentent pas de théories politiques révolutionnaires mais seront enclins à embrasser le pessimisme, voire l’autoritarisme.

Il existe pourtant des matérialistes plus révolutionnaires motivés par des principes soi-disant humanistes – anti-humanistes en pratique -, comme par exemple, Thomas More ou Francis Bacon. Les humanistes sont les pionniers de la modernité : les humains sont des êtres de culture par essence ; ils peuvent dès lors, grâce à la culture, s’extirper des déterminismes naturels grâce à leur perfectibilité et leur liberté.

Toutefois, le matérialisme dont il est question n’est clairement pas humaniste. Hobbes, pour donner un exemple, ne voit pas dans la culture un moyen d’émanciper l’humanité de la nature, mais plutôt un moyen de brider celle-ci ; les humains sont des machines biologiques gouvernées par leurs appétits et ne comprennent que des coups de bâtons. Pour Hobbes, il n’y a que la matière, et il n’y a dans la matière que le despotisme et la tyrannie des passions (crainte, ressentiment, cupidité, vengeance…). Le Léviathan de Hobbes est le bréviaire de l’autoritarisme politique et peut être opposé aux idées anarchistes. La nature est problématique, mais il n’y a pas de bonnes solutions politiques à apporter contre elle. C’est le point de divergence avec le révolutionnaire, plus optimiste, pour qui la liberté est également dans la matière, dans la satisfaction débridée des appétits corporels.

Les matérialistes révolutionnaires prétendent vouloir concilier le matérialisme avec l’humanisme, traditionnellement idéaliste et chrétien – c’est par exemple, l’ambition de Karl Marx et des libertaires. Si l’Homme veut être autonome, être l’unique créateur, alors il doit se débarrasser de l’idée de nature. Les humanistes ne seraient pas assez radicaux, en opposant la culture à la nature : il ne peut y avoir de lois de la nature sinon l’Homme serait dans l’incapacité de penser son autonomie ; ce monde étant dépourvu de sens, il appartient à l’Homme de lui en donner un. Il s’agit ici de critiquer l’idéalisme des Anciens, mais aussi les matérialistes classiques.

La problématique serait plutôt culturelle : la morale est l’instrument des plus forts pour dominer les faibles ; il suffit alors que les plus éclairés s’emparent du pouvoir pour faire advenir une société fondée sur la raison et les lois scientifiques. En réalité, cette même réflexion est défendue dans le fascisme, la branche révolutionnaire – oserai-je dire matérialiste ? – de l’extrême droite : au nom des lois de la nature et de la race, il est possible d’être tenté par la planification eugéniste de la société et ce au mépris de la liberté et de la personne. Dans le fascisme, les principes de raison et de culture sont évacués puisque ces principes sont ceux des faibles (pacifistes, démocrates, libéraux, socialistes…) pour se protéger des forts ; Arthur de Gobineau et Friedrich Nietzsche ont encore une influence importante dans les milieux fascistes.

Quand il est défendu par des pessimistes et des romantiques, le matérialisme conduit à l’autoritarisme ; quand il est défendu par des révolutionnaires, il conduit au totalitarisme. Dans tous les cas, il parait plus simple d’insulter l’intelligence humaine, d’infantiliser les gens, plutôt que de reconnaître la liberté des uns à faire délibérément le mal.

 

L’idéalisme ne suffit pas pour défendre la liberté : il faut être moderne !

Le matérialisme révolutionnaire prend l’exact contrepied de l’idéalisme des Anciens, au nom même de la liberté – le fossé idéologique entre l’extrême gauche et l’extrême droite est clairement visible.

Selon les matérialistes classiques ou révolutionnaires, l’idéalisme est une farce mise en place par les dominants pour maintenir les faibles en état de sujétion. Chez les Grecs et les Romains, la nature est transcendante : les principes du bien, du beau et du juste se situent dans la nature. Ainsi, il est conforme à la nature, au bien, de cultiver la spiritualité, de faire son devoir, plutôt que de vivre selon son bon plaisir. Il s’agit d’une logique très droitière. Les chrétiens rompent avec cette tradition : Dieu est surnaturel ; en cherchant Dieu, il est possible grâce au libre arbitre d’aller au-delà de la nature gâtée par le péché originel. Les jésuites joueront d’ailleurs un rôle dans l’avènement de l’humanisme européen. Les idéalistes modernes continuent à insister sur la primauté de l’esprit sur la matière, mais ont cessé d’idolâtrer la nature ; cette dernière est, comme le pensent également les pessimistes matérialistes, brutale, terrible, immanente : il n’est pas naturel de quitter l’état sauvage, au contraire. La culture, c’est-à-dire l’humanisation de la nature, signifie le triomphe jamais acquis de l’esprit et de la réflexion sur la matière.

Il faut s’entendre sur la signification de l’esprit pour les libéraux : l’élévation de l’esprit passe par la discipline de la volonté et l’éducation (discipline + instruction). Les humains, étant libres et faillibles, ont toujours le choix entre être esclaves de leurs inclinaisons ou discipliner leur volonté, faire délibérément leur devoir plutôt que de préférer l’égoïsme, etc. Les idéalistes chrétiens et les idéalistes des Lumières insistent sur la dignité humaine, la responsabilité et la liberté, le respect de la personne, de la propriété privée et des droits de l’Homme. Il est question ici des idées de 1776 et de 1789 plutôt que de celles de 1917.

Il s’agit pour les humanistes, notamment avec Kant, de ne pas se prononcer sur l’essence des choses, la chose en soi, contrairement aux anciens grecs et romains, mais au moins d’admettre qu’il existe un principe transcendant, par le biais de la foi, religieuse ou non, auquel cas toute vie morale et sociale serait impossible à justifier.

Les matérialistes révolutionnaires reprochent justement cela aux libéraux : la liberté n’est pas dans l’esprit, le dépassement de soi, mais dans la matière ; si l’on veut l’autonomie, il faut oublier la discipline du corps et de l’esprit, se débarrasser de l’idée de nature et d’une morale transcendante, voire de l’Idée même tout court. Le matérialisme révolutionnaire prône une révolution politique, contre la bourgeoisie, mais aussi – et c’est beaucoup plus grave – une révolution métaphysique anti idéaliste. Dans les années 1960, une tendance ouvertement matérialiste commence à émerger, avec des auteurs français tels Sartre, Foucault, Deleuze, Derrida, Lyotard, etc. Il est désormais question de postmodernisme ou de post humanisme. Par rapport au matérialisme révolutionnaire traditionnel, il n’est pas seulement question de déconstruire un environnement culturel « problématique », mais de critiquer également les idéaux des Lumières. Quand Marguerite Duras, une romancière s’inscrivant dans cette mouvance, explique « qu’il faut mettre la liberté en prison », elle parle de la liberté de l’esprit, de l’idéalisme des Lumières. Certains soixante-huitards se sont révélés, en définitive, être plus libertins que révolutionnaires, mais la critique de la modernité et de l’État de droit a fait son chemin au sein d’une certaine gauche.

L’idéalisme ne suffit pas pour défendre les principes de l’État de droit puisque la pensée réactionnaire et contre révolutionnaire s’inscrit en opposition au libéralisme, trop matérialiste et anthropocentrée. La pensée postmoderne, matérialiste, émet des critiques similaires à l’encontre du libéralisme.

 

Conclusion

Nous avons vu que pour appréhender la politique, il existait plusieurs approches ; l’idéalisme de l’extrême droite, l’idéalisme chrétien et humaniste, ainsi que la matérialisme classique et révolutionnaire.

Il est clair que l’idéalisme des Anciens ne permet pas de défendre la liberté – Platon était tout de même un partisan du totalitarisme et de l’eugénisme -, mais le matérialisme conduit nécessairement au totalitarisme. Dans les débats politiques actuels, il n’est question que du matérialisme. Par exemple, les féministes défendent le marxisme ou le postmodernisme, tandis que les masculinistes défendent la psychologie évolutionniste, essentialiste. Dans ce débat, les principes de dignité et de personnalité ne sont jamais abordés.

Les jeunes étudiants sont en fait imprégnés de matérialisme dans les facultés de sciences naturelles et humaines ; leur manque de culture politique les empêche d’exercer leur esprit critique. Le remède contre le matérialisme serait l’apprentissage à l’école de la philosophie du droit, de la morale et la déontologie, afin d’éduquer et responsabiliser les enfants, en faire des adultes raisonnables ; mais il semblerait que l’école ait déjà fait faillite dans ce domaine. Le libéralisme a échoué sur le plan intellectuel auprès des masses, il ne reste alors que la doctrine du droit pour préserver la liberté en tant que principe civilisationnel. En période de crise politique et économique, l’expérience politique a d’ailleurs déjà prouvé la fragilité du système libéral.

Consultations prébudgétaires 2024 – Ville de Montréal: Rémunération – Tourisme et Logement abordable – Réglementation

Mémoire déposé par l’IEDM dans le cadre des consultations prébudgétaires 2024 tenues par la Ville de Montréal.

* * *

Thème 1 : Contrôler les dépenses de rémunération pour éviter de transférer un fardeau indu aux contribuables

Dans le dernier budget présenté par la Ville de Montréal, la rémunération des employés municipaux représentait 38,7 pour cent des dépenses totales(1), soit 2,6 milliards de dollars. C’est plus que toute autre catégorie de dépenses.

Selon le document de préparation budgétaire, la croissance anticipée de la rémunération des employés municipaux représente une dépense additionnelle de 92,5 millions de dollars(2), soit le tiers de la croissance annuelle des dépenses anticipée.

En bref, il s’agit d’un gros morceau tant dans le budget existant que dans la croissance anticipée des dépenses. Or, année après année, les données indiquent que cette catégorie de dépenses est plus grosse qu’elle ne devrait l’être.

Selon le plus récent rapport de l’Institut de la statistique du Québec sur la rémunération des salariés québécois, les employés municipaux des villes de 25 000 habitants et plus ont une rémunération 39,8 pour cent supérieure(3) en moyenne à celle des employés travaillant pour les grandes entreprises du secteur privé (200 employés et plus), pour des emplois équivalents.

Les données du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal(4) confirment que Montréal ne fait pas exception à la règle, la rémunération globale moyenne des employés de la métropole arrivant quatrième au Québec, à 106 693 $ par employé par année.

Si l’on compare ces données à la situation des contribuables montréalais, cela place l’employé municipal moyen parmi les 10 pour cent des Montréalais et Montréalaises les mieux rémunérés(5), selon les données de Statistique Canada.

À titre d’exercice, ramener la rémunération des employés municipaux montréalais au niveau moyen offert dans les grandes entreprises du secteur privé, à emploi équivalent, permettrait d’économiser 1,1 milliard de dollars en dépenses de rémunération prévues pour le budget 2024(6). Cela équivaut à 15,3 pour cent des dépenses anticipées pour l’année 2024(7).

Étant donné le poids important de la rémunération dans les dépenses municipales, le défi budgétaire cerné par la Ville et les nombreuses interventions de son administration sur ses revenus de taxation qui « ne suffisent plus à financer les responsabilités qui lui incombent en tant que métropole du Québec »(8), nous recommandons à l’administration de ramener les dépenses de rémunération à un niveau plus raisonnable afin de trouver les fonds nécessaires pour réaliser ses mandats, plutôt que de piger davantage dans les poches des Montréalais et Montréalaises.

Pour ce faire, nous proposons deux options à court terme :

  1. Gel salarial et gel des embauches
    Épargne estimée : 92,5 millions de dollars en 2024
  2. Diminution de 10 pour cent des dépenses de rémunération
    Épargne estimée : 270,7 millions de dollars en 2024

À court terme, ces solutions permettraient à la ville de surmonter une bonne part de ses défis budgétaires. Il va de soi cependant que dans un horizon à moyen et long terme, la Ville devra s’attaquer plus sérieusement à la question de ses dépenses de rémunération.

L’écart démesuré entre la rémunération de ses fonctionnaires et de ceux qui effectuent des tâches similaires dans le secteur privé doit rétrécir. Un écart de 39,8 pour cent n’a rien de raisonnable, et il exerce une pression indue sur les finances de l’administration municipale. À terme, les renégociations de conventions collectives devraient tenir compte de cette réalité et l’administration devrait adopter une approche moins conciliante envers ses syndicats.

Un autre aspect que la Ville devrait explorer est la possibilité de déléguer certaines tâches à des fournisseurs de services indépendants. Certains corps de métiers, comme les policiers, ont une formation hautement spécialisée pour s’occuper de certains types de tâches, notamment les tâches d’enquête, mais passent une part importante(9) de leurs journées à effectuer des tâches administratives ne faisant pas appel aux compétences spécifiques justifiant leur haut niveau de rémunération.

En s’attaquant à la question de la rémunération démesurée ainsi qu’à celle de l’expertise et des tâches, la Ville générerait à terme d’importantes économies qui permettraient de restaurer la viabilité de ses finances sans puiser davantage dans les poches de ses citoyens et citoyennes.

Thème 2 : Reconnaître qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre tourisme et logement abordable

L’administration municipale actuelle semble lier le problème bien réel de l’abordabilité du logement et celui, prétendu, de la location touristique à court terme. En mars dernier, la mairesse de Montréal Valérie Plante parlait notamment du retrait de logements sur AirBnB comme d’une mesure « nécessaire pour lutter contre les Airbnb illégaux et pour pallier la crise du logement. »(10)

Nous trouvons qu’il est nécessaire de remettre les pendules à l’heure quant à l’offre de logements en location touristique à court terme et à l’ampleur du problème d’abordabilité.

En date du 28 décembre dernier, on pouvait recenser 13 621 annonces(11) pour des logements situés sur l’île de Montréal sur la plateforme de location touristique à court terme Airbnb. Ceux-ci s’inscrivent dans une multitude de catégories, allant d’un logement entier à des chambres partagées, en passant par des chambres d’hôtel. Dans le contexte du débat sur l’abordabilité du logement et afin d’éviter des dédoublements, nous retenons les 10 523 annonces où l’unité complète est mise en location.

À titre de comparaison, il faudrait construire 460 000(12) nouvelles unités d’habitation d’ici 2030 pour revenir à un niveau d’abordabilité adéquat, selon les estimations de la Communauté métropolitaine de Montréal – lesquelles se basent sur les chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Étant donné l’ampleur des besoins, il apparaît rapidement que l’incidence des 10 523 unités en location touristique à court terme est négligeable, voire pratiquement nulle, sur le problème d’abordabilité du logement.

Une autre façon de voir la situation est de comparer la taille du parc immobilier réservé à la location à court terme au nombre de nouvelles unités mises en construction annuellement sur le territoire montréalais. Au cours de l’année 2021 – la plus récente pour laquelle les données sont disponibles –, 30 204 unités(13) d’habitation ont été mises en chantier dans la grande région de Montréal. Autrement dit, il aura fallu l’équivalent de quatre mois en 2021 pour mettre en chantier autant de logements que l’ensemble du parc immobilier réservé à la location à court terme sur la plateforme Airbnb.

Une autre façon de traiter l’enjeu de l’abordabilité du logement est de comparer le nombre d’unités en location touristique à court terme sur la plateforme Airbnb aux possibilités de développement éliminées, retardées ou irréalisables à cause des demandes de la Ville.

Prenons l’exemple du secteur Bridge-Bonaventure, situé à un jet de pierre du centre-ville. Des promoteurs immobiliers y ont acquis bon nombre de terrains et souhaitaient y ériger un quartier densifié(14) de 12 000 à 15 000 unités pour autant de ménages montréalais. Après avoir revu ses propres plans de développement à la hausse, la Ville a plutôt proposé la création d’un quartier limité à 7 600 unités(15) résidentielles – coupant entre 4 400 et 7400 logements par rapport à la proposition des promoteurs – conditionnel à l’ajout d’une station de REM dans le quartier par la Caisse de dépôt.

Prenons aussi l’exemple du redéveloppement de l’ancien hippodrome Blue Bonnets, où la Ville de Montréal détient un terrain de 43 hectares(16), près d’axes de transport routier importants et d’infrastructures de transport en commun. La Ville y voit la construction potentielle de 6 000 unités résidentielles. Seulement, les conditions émises par l’administration municipale et le prix de vente proposé(17) pour le premier terrain mis en vente ont fait en sorte qu’aucun promoteur indépendant n’était prêt à soumissionner pour le terrain et à proposer un projet.

À eux seuls, ces deux projets de quartiers représentent entre 18 000 et 21 000 unités qui ont été annulées, retardées ou rendues irréalisables par les conditions de l’administration, soit jusqu’à deux fois plus que l’ensemble du parc immobilier se trouvant sur le site de locations touristiques à court terme Airbnb à la fin de la récente année.

Il faut donc se rendre à l’évidence : la location touristique à court terme a une incidence négligeable, voire pratiquement nulle, sur la question de l’abordabilité du logement à Montréal. Permettre aux Montréalais et Montréalaises d’augmenter l’offre touristique de la Ville n’est pas incompatible avec une offre de logements abordables, et nous recommandons à l’administration municipale de le reconnaître.

Thème 3 : Retirer la réglementation freinant la construction de logements

Si la location touristique à court terme a une incidence négligeable, voire pratiquement nulle, sur la question de l’abordabilité du logement, il est important de reconnaître que la réglementation limitant la construction de nouvelles unités résidentielles contribue quant à elle au problème.

Comme mentionné précédemment, la Communauté métropolitaine de Montréal estime, en se basant sur les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, qu’il faudrait bâtir 460 000 nouvelles unités(18) dans la grande région de Montréal afin de revenir à un niveau de prix qualifié d’abordable. Pour y arriver, il faudrait rehausser minimalement le nombre de mises en chantier annuelles à 55 000(19), bien plus que le niveau actuel moyen d’environ 25 000. Nous sommes donc devant un problème d’offre.

Considérant l’ampleur du défi et l’importance de l’enjeu pour les ménages montréalais qui peinent à joindre les deux bouts, il est crucial que la Ville s’attaque avec vigueur à ses pratiques et règlements qui restreignent la nouvelle offre de logements, que ce soit par l’entremise de frais de développement, de délais bureaucratiques, ou de politiques trop contraignantes qui augmentent artificiellement les coûts et prolongent les échéanciers de construction.

Le Règlement pour une métropole mixte, en vigueur depuis le 1er avril 2021(20), en est un excellent exemple. Aussi connu comme le « règlement 20-20-20 », ce règlement municipal oblige tout constructeur d’un projet de 450 m2 ou plus (environ cinq logements au minimum) à conclure une entente avec la Ville l’obligeant à inclure trois types de logements réglementés à sa construction : des logements dits sociaux, des logements dits abordables et des logements dits familiaux.

Le promoteur peut contribuer au volet social et abordable en intégrant ce type de logements au projet immobilier ou en versant une contribution financière à la ville de Montréal. Dans les deux cas, cela se traduit par une hausse des coûts de construction devant être assumée par les acheteurs ou locataires des unités restantes. Pour ce qui est des logements familiaux – comptant au moins cinq pièces –, le promoteur n’a d’autre choix que de les construire(21).

Bien que l’objectif de l’administration municipale ait été « [d’]assurer une meilleure offre de logements abordables » et de garantir « la mixité » dans la ville(22), cette réglementation augmente en fait les coûts de construction. Certains projets deviennent ainsi non rentables, et le prix de revient des unités des projets réalisés augmente, ce qui contribue à l’augmentation du prix du logement à Montréal.

À titre d’exemple, une étude récente de l’IEDM(23) s’est penchée sur le cas du projet Le Mansfield, qui proposait 13 979 m2 de superficie sur 225 logements au total. Pour un projet de cette ampleur, dans ce que le règlement qualifie de « zone de logement abordable 2 », le Règlement pour une métropole mixte à lui seul fait croître le coût de construction à 2 370 352 $, soit l’équivalent de 10 535 $ par logement.

Cette augmentation des coûts de construction se reflète directement dans les loyers payés dans les immeubles locatifs et dans les prix de vente des unités résidentielles. Ce montant de 10 535 $ par unité est le résultat direct d’un seul règlement et ne tient pas compte des effets indirects de la restriction de l’offre, ou encore des effets négatifs des nombreux autres politiques et règlements municipaux sur l’habitation.

Ce que nous proposons est donc une approche en deux temps :

  1. Abrogation du Règlement pour une métropole mixte : Permettrait de réduire les frais de développement et, ultimement, le prix des nouvelles unités, tout en facilitant le développement de nouvelles unités résidentielles, ce qui permettrait de rapprocher le nombre de nouvelles mises en chantier des 55 000 qui sont annuellement nécessaires pour restaurer l’abordabilité d’ici 2030.
  2. Revue exhaustive de la réglementation municipale entourant l’habitation avec la diminution des obstacles à la construction comme objectif : Permettrait de réduire les contraintes freinant la construction de nouvelles unités, ce qui contribuerait à endiguer le problème d’offre à la base de l’inabordabilité du logement dans la région métropolitaine.

Références

  1. Ville de Montréal, Budget 2023 et PDI 2023-2032 : Bâtir le Montréal de demain, 29 novembre 2022, p. 225.
  2. Ville de Montréal, Perspectives budgétaires 2024, 15 mars 2023, p. 16.
  3. Institut de la statistique du Québec, Rémunération des salariés : État et évolution comparés, 30 novembre 2022, Annexe G-1, p. 144.
  4. Centre sur la productivité et la prospérité du HEC Montréal, Le point sur la rémunération des effectifs dans les municipalités du Québec, novembre 2022, p. 12.
  5. Statistique Canada, Tableau 11-10-0055-01 : Les déclarants à revenu élevé, au Canada, 2020.
  6. Ville de Montréal, op. cit. note 1, p. 229; Ville de Montréal, op. cit. note 2, p. 16; calculs de l’auteur.
  7. Ville de Montréal, op. cit. note 1, p. 136; Ville de Montréal, op. cit. note 2, p. 16; calculs de l’auteur.
  8. Ville de Montréal, op. cit. note 2, p. 17.
  9. Krystle Wittevrongel et Olivier Rancourt, Laissons les policiers faire leur travail et les entrepreneurs s’occuper du reste, IEDM, Cahier de recherche, septembre 2021.
  10. Zacharie Goudreault, « Airbnb supprimera toutes les annonces illégales au Québec mardi prochain », Le Devoir, 24 mars 2023.
  11. Inside Airbnb, Montréal, consulté le 28 décembre 2022.
  12. Communauté métropolitaine de Montréal, Politique métropolitaine d’habitation, 24 novembre 2022, p. 43.
  13. Communauté métropolitaine de Montréal, Cahiers métropolitains : Portrait de l’habitation dans le grand Montréal, mai 2022, p. 61.
  14. Jeanne Corriveau, « Des promoteurs immobiliers accusent Montréal de ne pas les écouter », Le Devoir, 11 avril 2022.
  15. Audrey Sanikopoulos, « Bridge-Bonaventure : Montréal veut une station du REM pour développer des logements », Le Journal de Montréal, 29 mars 2023.
  16. Audrey Sanikopoulos, « Logements à l’ancien hippodrome : Montréal “surprise” du manque d’intérêt du privé », TVA Nouvelles, 20 février 2023.
  17. Stéphanie Grammond, « Arrêtons de tourner en rond à Blue Bonnets », La Presse, 1er février 2023.
  18. Communauté métropolitaine de Montréal, op. cit., note 12, p. 43.
  19. Ibid., p. 82.
  20. Ville de Montréal, Règlement pour une métropole mixte : Guide technique pour l’industrie de la construction, mars 2022, p. 3-4.
  21. Idem, p. 15.
  22. Ville de Montréal, « Règlement pour une métropole mixte », novembre 2020, p. 2.
  23. Celia Pinto Moreira, « Améliorer l’abordabilité des logements à Montréal en réglementant moins la construction », IEDM, Note économique, février 2023, p. 3.

 

26 avril, 2023

Le monde écologique : un monde de quotas et de contraintes

 Par h16.

La France n’a pas de pétrole, mais elle a des écolos qui ont des idées. Ils ont tellement d’idées (sur tout, et surtout des idées) qu’il ne se passe plus une semaine sans que l’un ou l’autre groupe de ces frétillants militants de l’Ascétisme Pour Autrui ne pondent une vibrante tribune en faveur de nouveaux quotas ou de nouvelles restrictions qui garantiront enfin une avancée décisive de l’humanité vers un futur aussi riant que – forcément – sobre.

C’est ainsi qu’on retrouve des chroniques, régulières maintenant, s’étalant avec délice dans le catastrophisme médiatique dans lequel notre avenir ne tient plus qu’à un fil ; ce dernier, condition de notre survie, se résumant essentiellement à expier nos fautes par différents moyens, bizarrement mais systématiquement tous coercitifs.

De façon répétitive donc, on retrouve dans les médias, avec une entêtante constance, un appel à nous serrer toujours plus la ceinture. Parmi ces appels, il est difficile de ne pas noter les trépignements de certains à vouloir imposer de fermes limitations énergétiques, rebaptisés pudiquement « quotas carbone » pour faire croire à un quelconque lien avec le dioxyde de carbone.

Une fois débarrassés de leur gangue de novlangue écolo, ces appels sont tous calibrés de la même façon : quels que soient les problèmes réels ou imaginaires soulevés, il existe un coupable évident, pratique et systématique à savoir l’humanité qui, une fois soigneusement taxée, contrainte et limitée afin d’expier sa faute, pourra échapper à l’apocalypse si et seulement si elle se laisse diriger par une élite éclairée.

« Permis carbone », « pass énergétique », « quota carbone » : les appellations changent, les titrailles s’enchaînent et chaque semaine de nouvelles propositions sont publiées rappelant que, déjà, quelques députés sont favorables à cette nouvelle bordée de restrictions sévères consistant essentiellement à imposer une limitation énergétique à chaque individu : grâce à ce procédé, chaque citoyen peut être contraint jusque dans son intimité à limiter toutes ses activités, à ne faire que ce qui est approuvé et ne plus avoir ni le droit ni le temps, ni l’énergie pour faire ce qui lui plaît.

Dans ce monde réjouissant, finis les vols aériens (quatre pour toute une vie suffisent), haro sur la voiture individuelle (à plus forte raison lorsqu’elle roule au pétrole), la consommation électrique devient millimétrée et on impose bien sûr une interdiction totale de tout gaspillage (sauf pour l’État). Moyennant beaucoup de verdure, le goulag éco-conscient sera plus joli.

Du reste, ne comptez pas non plus compenser ces restrictions par quelques douceurs gustatives : l’écologisme militant d’écrabouillement des dissidences climato-catastrogènes entend bien s’immiscer aussi dans votre nourriture, du petit-déjeuner au souper en passant par le quatre-heures à moteur (électrique et encore).

La transition écologique passera par la bouffe, vous n’y couperez pas et il suffit pour s’en convaincre d’éplucher les propositions de groupes de lobbies actuels (finement renommés « Instituts » pour mieux vendre leur soupe) : pour l’un de ceux-là, l’IDDRI, il est même encore laissé trop de latitude à l’individu lorsqu’il va faire ses courses et l’imbécile continue donc d’acheter ce dont il a envie (l’insupportable égoïste) sans trop se soucier du climat, de l’environnement, de la pollution et des ours polaires.

Pour l’IDDRI, il est manifeste que la transition écologique repose encore trop sur l’individu, ce petit mammifère pénible qui, jusqu’à présent, se passait pourtant trop bien d’eux. Il faut mettre un terme à toute cette belle liberté de reprendre deux fois des pâtes.

Car fondamentalement, cette liberté est inégalitaire : devant les incitations (ou le tabassage fiscal) propulsant des objectifs écolos jusque dans la nourriture, les riches vont faire attention et devenir de bons petits « consom’acteurs », manger bio et sain, alors que ces sommateurs de pauvres vont continuer à manger des trucs mauvais pour la santé au motif ridicule qu’ils ne sont pas chers, les cons imbéciles.

Las : comme il y a plus de pauvres que de riches, tout ceci va ruiner les efforts de la transition écologique bien visible, en plus d’accroître les méchantes inégalités que ces comportements différents entraînent inévitablement.

La conclusion est sans appel : il faut dilapider l’argent public pour médiatiser et promouvoir, puis contraindre, interdire et empêcher, limiter par la loi, réguler de tous les côtés et tailler en pièces la liberté individuelle, le tout en utilisant des mots inventés de toutes pièces comme « surmarge » (qui ne ressemble pas à surprofit ou hyperprofit pour rien, bien sûr). Pour cela, on enchaînera des propositions d’une originalité folle, comme notamment des « chèques alimentations » (en plus des écochèques, des chèques carburant et autres chèques repas de mon cul sur la commode que les Français collectionnent à présent comme autant de petits tickets de rationnement).

Bien évidemment, il faudrait, comme l’IDDRI le préconise, mettre en place un « délégué interministériel à l’alimentation » car c’est bien connu, rien de tel qu’un comité Théodule de plus dans les couloirs feutrés de notre République : il va tout changer, tant il est vrai que les milliers de Théodule précédents ont tout changé.

On déplore néanmoins l’absence de proposition d’un Grenelle de la bouffe l’alimentation ou d’un numéro vert qui manque à cette Panoplie du Petit-Étatiste « made in China »… Gageons qu’il s’agit d’un simple oubli qui masque évidemment une vraie volonté de mettre en route ces deux colifichets obligatoires de la réponse politique française à tous les problèmes modernes.

Notons aussi l’absence encore louable de toute proposition de passer à l’entomophagie. L’IDDRI comprend probablement que le grignotage de grillons et de vers de farine ne fait pas encore recette auprès des Français et qu’il faudra patiemment attendre encore un peu (les premières famines ?) avant ce genre de solutions. En attendant, rassurez-vous, l’élimination de la viande et son remplacement par des feuilles de salade flexitariennes restent à l’ordre du jour.

Quotas carbone, pistage de votre alimentation jusqu’au moindre petit pois… Les signaux sont encore discrets, mais ils sont persistants, répétés et de moins en moins faibles : il faut absolument imposer l’ascétisme, les contraintes de la limitation et du jeûne alimentaire et énergétique, à tous, tout le temps.

En réalité, on cache mal le fait que la France s’appauvrit. On cache mal que l’hystérie écologique est maintenant permanente. On cache aussi fort mal qu’il faut maintenant pousser les gens à s’habituer à des pénuries de ce qui nourrit vraiment (de la vraie viande par exemple) ou de ce qui permet de vraiment chauffer son foyer.

À force de quotas, de mesures de coercition plus ou moins feutrées, on impose aux individus de se départir de plus en plus rapidement de tout ce qui fait le sel de la vie, à commencer par la liberté de choisir ce qu’on va mettre dans son assiette ou de prendre des douches chaudes plutôt que froides.

Cela va très bien se passer.

25 avril, 2023

Intelligence artificielle et liberté : les enjeux de la surveillance automatisée

Par Yannick Harrel.

L’intelligence artificielle déchaîne les passions depuis plusieurs décennies et la maturité de certains algorithmes en vient à relancer le débat sur leur utilisation et leur effet disruptif sur les métiers d’aujourd’hui. De nombreux experts craignent à juste titre une dépossession du libre arbitre des humains au profit de l’intelligence artificielle, a fortiori lorsque le point de singularité technologique sera atteint.

Néanmoins, si cette prospective est tout à fait plausible, c’est aussi en raison de l’engouement persistant par les dirigeants politiques de solutions automatisées de surveillance des populations, y compris dans des régimes pourtant qualifiés de « libres ».

 

Faillibilité humaine contre infaillibilité algorithmique

Prenons le domaine des mobilités, un environnement que nombre d’individus sont amenés à emprunter et qui fait l’objet d’un enjeu de taille : l’intelligence artificielle est conceptualisée au profit d’une régulation des comportements humains, avec pour objectif principal de « domestiquer » les mauvais usagers de la route.

Quel que soit le type d’engin motorisé, cette constante s’amplifie d’année en année avec l’expérimentation et l’introduction de nouveaux systèmes de contrôle et de verbalisation dont l’aboutissement ultime – à terme – est bien évidemment le fonctionnement en pleine autonomie, c’est-à-dire sans opérateur humain. Un niveau qui sera considéré comme atteint grâce à un taux d’échec le plus faible possible (< 1 %).

Ce qui est particulièrement matois, c’est lorsque le système algorithmique renforcé et fiabilisé au fil du temps table sur la faillibilité humaine pour dégager des recettes fiscales où le moindre écart de conduite, y compris lorsque les circonstances l’exonèrent ou l’atténuent, aboutit implacablement à une sanction automatisée. La production de nouveaux radars multifonctions dans les centres urbains est à ce titre éminemment caractéristique de l’évolution politique : le rôle de ces dispositifs n’est désormais plus de surveiller mais bel et bien de traquer. La différence sémantique est limpide au regard de la situation actuelle de nos axes de circulation et de nos territoires quadrillés par des ennemis invisibles et implacables.

Cette réalité, les transports en commun n’y font pas exception : chaque usager est scanné par des systèmes de reconnaissance biométriques et d’analyses comportementales. À toute heure et en chaque lieu, l’usager est en liberté surveillée.

Et la prochaine génération d’algorithmes prédictifs promet d’être encore plus intrusive. À partir de données recueillies et sur le recoupement de bases de données (dont l’accessibilité et la mise à jour sont sujettes à observation), un individu pourrait être interdit de transport en commun ou de location de transport individuel ou encore de recharge de carburant pour son véhicule personnel. Ce futur est bien plus proche que d’aucuns le pensent.

 

Une évolution civilisationnelle plus que technologique

De nombreux citoyens, apeurés de la vie et guère sensibles au principe de liberté, applaudiront frénétiquement des deux mains cette étape. Ce serait faire fi de cette locution latine : Hodie Mihi, Cras Tibi, autrement dit : « Aujourd’hui c’est moi, demain ce sera toi ».

Plus concrètement, toute altération voulue ou subie de ces bases de données peut du jour au lendemain faire de vous un paria social. Vous qui applaudissiez hier, imaginez que vous pouvez vous trouver dans la peau du délinquant de demain : une simple donnée modifiée par une main malintentionnée ou un code suspicieux vous fera passer du statut de citoyen modèle à celui de trublion antisocial.

La gestion de la crise covid dans les régimes occidentaux a largement démontré que la grande majorité des individus adoube une société sans risque. Or, comme le déclame si bien le philosophe Edgar Morin, une société sans risque c’est une société sans vie.

Et pour parvenir à cette société sans risque, c’est-à-dire artificielle, l’intelligence elle aussi artificielle est le meilleur allié des politiciens avides de brider toute velléité d’indépendance de pensée et d’action : l’administré est un fichier à gérer et à corriger en temps réel. Le soubassement de toutes ces décisions d’introduire à grande échelle l’intelligence artificielle dans la gestion de la vie de la cité est irrigué par un officieux renversement de valeur : l’individu est un coupable en sursis qui n’a pas encore franchi la ligne de la légalité. Or, cette ligne légale est dictée par une autorité dont la probité et la compétence sont rarement évaluées. Et c’est précisément ce point précis qui pose un réel problème et ouvre une faille philosophique dans ce phénomène.

 

Remplacer les élus par l’IA

Imaginons qu’un programme d’intelligence avancée en vienne à mesurer la probité et la compétence des élus ; que toutes leurs décisions soient soumises à une étude automatisée et évoluée pouvant donner lieu à avertissement et sanction selon la gravité constatée.

Que croyez-vous ? Ces élus si prompts à vidéosurveiller et à vidéoverbaliser leurs administrés avec des techniques d’assistance automatisée dont l’ingérence est de plus en plus marquée, seraient les premiers à réprouver toute forme de contrôle à leur égard.

Mieux encore, si un algorithme était élaboré pour fournir un indice de légitimité en temps réel, ils seraient outrés et refuseraient l’irruption d’une telle initiative pouvant entraver leur liberté d’action. Mais alors, pourquoi imposer ce choix de société à l’ensemble de la communauté si l’on reconnaît qu’elle comporte un aspect liberticide ?

Et pourquoi ne pas aller encore plus loin en promouvant le remplacement des élus, quels qu’ils soient, par une intelligence artificielle qui aurait un certain nombre de mérites comme celui d’être non-susceptible de céder à la vénalité, d’avoir une connaissance exhaustive de la législation en cours et de la faisabilité technique des projets, d’être disponible 24/7 et de ne pas céder à des pressions psychologiques ? L’on pourrait lui reprocher un certain manque d’empathie mais à tout prendre, cette tare est-elle pire que celle de la langue de bois technocratique dont les individus sont abreuvés en permanence ?

L’on constate que cette politique d’omnisurveillance de la population serait bien moins aisée à établir envers les décideurs. Que ces derniers ne manquent que rarement d’exciper de leur statut privilégié (qui initialement ne devait être qu’un mandat et non une bulle d’impunité) afin de s’exonérer de tout contrôle extérieur.

La persistance d’une telle situation frappée du sceau de l’injustice est la volonté d’une majorité de la population, dont l’opinion est savamment travaillée à longueur de temps par des manipulateurs au sein d’un système qu’Edward Bernays (1891-1995) évoquait sous le vocable de Relations Publiques, stimulant plus aisément l’émotion que la raison et dont la variable d’ajustement est le périmètre d’exercice des libertés.

Or, n’oublions pas les enseignements du philosophe anglais John Locke (1632-1704) : les libertés fondamentales ne sont ni cessibles ni réductibles, et aucune loi gouvernementale ne peut en décider autrement quand bien même une majorité d’individus se déclarerait favorable à leur diminution ou leur abrogation. Les libertés sont des lois naturelles.

 

L’outil n’est que le prolongement de la main qui l’enserre

L’intelligence artificielle, ou plutôt les intelligences artificielles (de types ANI, AGI et ASI), ne sont ni bonnes ni mauvaises ; elles ne sont là que pour répondre à une vision civilisationnelle qui détermine leur déploiement et leur emploi. C’est précisément ce point que les autorités nationales et supranationales se refusent de dévoiler : elles veulent une société régie selon leurs lois dont la constante au fil du temps est l’impunité et la prédation en lieu et place des lois naturelles fondées sur les libertés.

Les systèmes d’information automatisés sont un outil que ces mêmes autorités occidentales veulent employer pour mener une guerre anthropologique contre leur propre population : ces moyens ne sont pas la cause des tourments sociopolitiques et peuvent être reprogrammés.

En revanche, le mal est bien plus profond en raison de la nature de la classe politicienne contemporaine dont la prochaine étape est le contrôle raffermi des transactions financières (songeons au calendrier mené au pas de charge pour introduire les monnaies numériques tant en Europe qu’aux États-Unis). Tout ce qui circulera matériellement et immatériellement sans être certifié par une organisation étatique nationale ou supranationale sera déclaré suspect et révoqué grâce à de multiples sondes inquisitoires nichées dans les nœuds névralgiques des réseaux de communication.

C’est une dystopie en cours d’édification.

La bataille ne doit pas se focaliser contre l’intelligence artificielle mais sur son utilisation, et plus encore sur ceux qui enjoignent d’y recourir à grande échelle dans une vision liberticide sans intention de s’y soumettre eux-mêmes.

La tyrannie technologisante – ou technotyrannie –  ne provient pas de l’outil mais de la main qui l’enserre et l’emploie tel un fouet à l’égard de sa propre population.