Chaque Québécois doit plus de 34 000 $ au provincial seulement

Vaut mieux en rire!

Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

31 mars, 2022

Joe Biden admet que les sanctions ne marchent pas et nous appauvrissent

 Par Ryan McMaken.

Jeudi, le président Biden a fait deux grands aveux à propos des sanctions économiques imposées par les États-Unis à la Russie.

Le premier est que les sanctions entraîneront des pénuries alimentaires pour de nombreux pays autres que la Russie, et que c’est simplement le prix que les Américains doivent payer.

Le deuxième est que les sanctions n’ont pas permis de changer la politique de Moscou et qu’elles ne dissuadent jamais le régime visé.

Ainsi, M. Biden a utilement expliqué cette semaine non seulement que les sanctions n’ont pas réellement dissuadé Moscou, mais aussi que les Américains devraient payer plus cher leur nourriture afin de maintenir des sanctions qui ne fonctionnent pas.

Ces aveux interviennent après les affirmations répétées de la Maison Blanche et des partisans de Biden selon lesquelles les sanctions dissuaderaient la Russie de mener ou de maintenir l’invasion de l’Ukraine.

De plus, la Maison Blanche a minimisé à plusieurs reprises l’effet qu’elles auraient sur le coût de la vie pour les ménages américains. Bien entendu, le fait que les sanctions puissent avoir un effet dévastateur sur les pays pauvres est ignoré.

Ainsi, Biden a maintenant été clair : les sanctions ne fonctionnent pas, et elles vous appauvriront. Mais nous devons quand même les maintenir.

Qu’a dit exactement Biden sur le coût des sanctions ?

Après avoir participé à une réunion des dirigeants du G7 et de l’OTAN jeudi, M. Biden a déclaré que les pénuries alimentaires « vont être réelles ». Il a ensuite ajouté :

« Le prix de ces sanctions n’est pas seulement imposé à la Russie, il est imposé à un très grand nombre de pays, y compris les pays européens et notre pays également. »

Bien entendu, ces coûts ne se limitent pas aux denrées alimentaires, mais s’étendent au prix de l’énergie et à ceux de nombreux autres biens. Les prix du pétrole restent proches de leur niveau le plus élevé depuis dix ans.

Il est remarquable que M. Biden admette que les sanctions elles-mêmes sont un facteur clé des pénuries à venir. D’un autre côté, leurs partisans ont l’habitude de prétendre que seule l’invasion russe a réduit les disponibilités alimentaires. Oui, l’invasion a naturellement réduit la production alimentaire en Ukraine, mais il est clair que les sanctions dirigées par les États-Unis diminueront les disponibilités alimentaires pour des dizaines de pays africains, dont beaucoup sont fortement dépendants des céréales russes.

Heureusement pour les Américains, l’Amérique du Nord est une région exportatrice de denrées alimentaires, et les États-Unis en sont un exportateur net, même si les Américains consomment davantage de calories que tout autre pays. En d’autres termes, leur régime alimentaire est très loin du niveau de subsistance. L’obésité, et non la malnutrition, est à l’ordre du jour en Amérique. Mais le coût de la vie n’en sera pas moins affecté négativement. Nous devons nous attendre à ce que les prix des denrées alimentaires augmentent au-delà de ce que nous aurions pu attendre en raison de la politique inflationniste des banques centrales, qui a entraîné une hausse générale des prix de près de 8 % avant l’invasion de l’Ukraine.

En effet, même si les Américains sont exportateurs de denrées alimentaires, les sanctions feront encore grimper les prix mondiaux des produits alimentaires de base et de nombreux partenaires commerciaux devront consacrer une plus grande partie de leurs ressources à l’acquisition de nourriture. Cela signifie une diminution de la productivité et des investissements des partenaires commerciaux dans les biens que les Américains achètent. En retour, cela signifie une baisse de l’offre et une hausse des prix pour les consommateurs américains.

Si les sanctions ne fonctionnent pas, pourquoi s’en préoccuper ?

L’aveu de M. Biden selon lequel les sanctions ne sont jamais dissuasives contredit des semaines de déclarations de responsables de la Maison Blanche qui ont insisté sur le fait qu’elles forceraient la Russie à quitter l’Ukraine. Par exemple, Kamala Harris a affirmé que « l’effet dissuasif de ces sanctions est toujours significatif » et le conseiller adjoint à la sécurité nationale, Daleep Singh, a déclaré que « les sanctions ne sont pas une fin en soi. Elles servent un objectif plus élevé. Et cet objectif est de dissuader et de prévenir ».

En outre, en février, le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a déclaré :

« Le président pense que les sanctions sont destinées à dissuader… et pour qu’elles fonctionnent, pour qu’elles soient dissuasives, elles doivent être mises en place de telle sorte que si Poutine bouge, alors les coûts sont imposés. »

Le fait que la Maison Blanche a été contrainte de changer sa version des faits a rapidement mis en évidence l’échec des sanctions à atteindre leurs objectifs. Dans un effort pour expliquer cet échec, Biden a ensuite affirmé dans une réponse décousue qu’il n’avait jamais dit qu’elles dissuadaient quoi que ce soit :

« Mettons les choses au clair. Si vous vous souvenez, si vous m’avez suivi depuis le début, je n’ai pas dit qu’en fait les sanctions le dissuaderaient. Les sanctions ne dissuadent jamais. Vous n’arrêtez pas de parler de ça… Les sanctions ne dissuadent jamais. Le maintien des sanctions. Le maintien des sanctions. L’augmentation de la douleur, et c’est pour cela que j’ai demandé cette réunion de l’OTAN aujourd’hui, c’est pour être sûr qu’après un mois, nous allons maintenir ce que nous faisons, pas seulement le mois suivant, mais pour le reste de l’année. C’est ce qui l’arrêtera. »

Ainsi, la nouvelle ligne de conduite du parti est que les sanctions n’ont en rien dissuadé la Russie, mais qu’elles causeront un jour suffisamment de douleur pour la contraindre à quitter l’Ukraine. Ce n’est qu’un vœu pieux de plus de la part de la Maison Blanche, et le bilan catastrophique des sanctions économiques le montre clairement.

Comme nous l’avons noté au Mises Institute, les sanctions ont un bilan terriblement négatif et n’atteignent pas les objectifs déclarés de contraindre les changements de politique des régimes ciblés. Cela s’explique par le fait que ceux-ci ont tendance à les contourner au lieu de se conformer aux États qui les sanctionnent. En d’autres termes, le nationalisme est plus puissant que les difficultés économiques imposées aux États visés. Le deuxième obstacle au succès est le suivant : si les États-Unis veulent imposer des sanctions réellement efficaces, ils devront obtenir la coopération quasi universelle des autres États. Sans cela, les autres États fourniront de multiples bouées de sauvetage au régime visé.

Dans le cas de la Russie, nous l’avons déjà constaté à plusieurs reprises : l’Allemagne a refusé de couper les exportations énergétiques russes. Les législateurs mexicains du parti au pouvoir sont en train de créer un nouveau groupe de travail sur l’amitié Mexique-Russie. L’Inde est en train d’élaborer un nouvel accord commercial entre roupie et rouble pour contourner les sanctions américaines. La Chine, bien sûr, annonce qu’elle fera ce qu’elle veut.

Tout cela suit le scénario habituel des sanctions économiques et contribue à illustrer pourquoi elles échouent. Ce qui est remarquable, c’est que la Maison Blanche a été rapidement obligée d’admettre à la fois l’échec des sanctions dans leur fonction dissuasive mais qu’elle pense pertinent de hausser les épaules et de dire « Hé, les pénuries alimentaires sont juste le prix que vous, les pauvres, devez payer ! » Compte tenu de l’impuissance des sanctions et des dommages causés à des tiers, il est temps d’admettre la réalité et de passer à autre chose.

Si Washington voulait vraiment mettre fin à l’effusion de sang – au lieu de décourager activement la paix comme il le fait actuellement – il rechercherait activement un règlement négocié et un cessez-le-feu.

30 mars, 2022

Il faut augmenter le nombre de médecins, partout au Québec

 Par Maria Lily Shaw

À l’heure où le ministre de la Santé s’apprête à déposer son plan pour une refonte du système de santé, un élément incontournable s’impose: l’augmentation du nombre de médecins conjuguée à des mesures permettant une meilleure utilisation des ressources existantes.

Les décideurs sont d’ailleurs conscients de la pénurie de docteurs, puisqu’ils estiment eux-mêmes qu’il faut 1000 médecins de famille de plus dans la province. Cette réalité n’épargne pas les régions: dans les Laurentides, le Centre-du-Québec, Lanaudière et l’Estrie, le nombre de médecins de famille par 1000 [1] habitants est inférieur de 21,3% [2] à la moyenne provinciale. Avec près de 22% de la population québécoise qui n’a toujours pas de fournisseur habituel de soins de santé, il est grand temps de s’attaquer à ce problème sans tergiverser.

Un défi

Augmenter l’effectif de médecins est certes un défi de taille pour les décideurs politiques, mais il demeure surmontable si on l’affronte efficacement, une étape à la fois. D’abord, pour accroître le nombre de médecins «faits maison», il faut éliminer les quotas d’admission dans les facultés de médecine.

À partir de 2023, la limite sera de 969 admissions par année, soit l’équivalent de 0,11 médecin par 1000 habitants [3] si on présume que chacun d’entre eux obtiendra le droit de pratiquer. À ce rythme, la relève ne pourra pas répondre aux besoins des Québécois, surtout si l’on considère que près de 25% des médecins actifs ont 60 ans et plus. Laissons donc nos universités décider par elles-mêmes de la capacité d’accueil de leur programme de médecine. 

Il ne faut pas s’arrêter là. La province peut augmenter le nombre de médecins en assouplissant les barrières réglementaires à l’entrée sur le marché du travail pour les professionnels de la santé diplômés à l’étranger. Rappelons-nous que le Québec a présentement une entente avec la France qui prévoit la reconnaissance mutuelle des compétences des médecins et infirmières, parmi d’autres professions, avec comme principal objectif de faciliter la mobilité des travailleurs. 

Cependant, l’impact de cet accord est fortement limité par la lourdeur administrative qu’implique le dépôt d’une demande au Québec [4]. En France, l’accord permet aux médecins québécois d’obtenir un permis en moins de deux mois, tandis que les démarches qu’entreprennent les médecins français pour pratiquer au Québec peuvent prendre plus de deux ans, et n’aboutissent pas toujours [5]. À ce titre, il est possible d’élargir le bassin de main-d’œuvre en soins de santé avec des médecins formés à l’étranger en assouplissant les obstacles réglementaires à l’entrée sur le marché du travail québécois. 

En ce qui concerne l’optimisation des ressources déjà à notre disposition, il s’agit d’élargir les champs de compétence d’autres professionnels de la santé, comme les infirmières et les pharmaciens. Ces professionnels possèdent une formation médicale qui s’apparente à certains égards à celle des médecins, ce qui est important dans un contexte de pénurie chronique de médecins [6]. Des mesures qui reconnaissent leur expertise en élargissant leurs activités professionnelles pourraient donc améliorer l’accessibilité aux soins de santé. 

Rôle des infirmières

En fait, en raison du manque de personnel médical dans les régions du Nord-du-Québec, le rôle des infirmières y a été élargi depuis au moins 2014 pour inclure des interventions habituellement réservées aux médecins. En première ligne dans ces régions, ces infirmières agissent comme les mains et les yeux des médecins, qui ne sont présents que quelques jours par mois. S’il est vrai que les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) et les pharmaciens œuvrant dans les régions moins éloignées se sont vus accorder une plus grande autonomie dans leur champ de pratique au cours de la dernière année, le plein potentiel de désengorgement du système de santé n’a pas encore été atteint. En Ontario, par exemple, les IPS peuvent ouvrir des cliniques publiques formées uniquement d’IPS, faisant ainsi diminuer le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous avec un professionnel de la santé. 

Le système de santé coûte aux Québécois les yeux de la tête; l’an dernier, c’est 53 milliards qui y ont été versés. Malgré ces sommes importantes, l’accès aux soins de santé demeure difficile. Si le gouvernement souhaite réellement guérir le système, il doit optimiser les ressources existantes et accroître l’effectif de médecins sur l’ensemble du territoire. 

Maria Lily Shaw
Économiste à l’Institut économique de Montréal


[1] Calcul de l’auteur. https://www.cmq.org/statistiques/region.aspxhttps://statistique.quebec.ca/fr/document/population-et-structure-par-age-et-sexe-regions-administratives/tableau/estimations-population-regions-administratives 

[2] Calcul de l’auteur. Voir le fichier Excel et les sources dans la note précédente.

[3] Calcul de l’auteur: 969/(8 604 495/1000) =0, 112

[4] Pages 55 et 56 du cahier. https://www.iedm.org/fr/real-solutions-for-what-ails-canadas-health-care-systems-lessons-from-sweden-and-the-united-kingdom-en-anglais-seulement/ 

[5] Page 56 du cahier. https://www.iedm.org/fr/real-solutions-for-what-ails-canadas-health-care-systems-lessons-from-sweden-and-the-united-kingdom-en-anglais-seulement/ 

[6] Page 44. https://www.iedm.org/fr/pour-un-systeme-de-sante-fort-et-resilient-apres-la-pandemie-reformes-pour-augmenter-la-capacite-dappoint/ 

29 mars, 2022

La loi chez Hayek : un outil rationnel de l’ordre spontané

 Par Raphaël Roger

Dans un précédent article a été abordée la vision du juge selon Hayek, notamment qu’il conçoit le juge comme étant au service de l’ordre spontané, se devant de corriger les erreurs et de résoudre les conflits qui apparaîtraient en son sein.

Pour autant, bien que le juge ait pour Hayek une place importante, le législateur ne voit pas son rôle réduit à peau de chagrin. Au contraire, il se voit confier d’importantes missions pour garantir le bon fonctionnement de l’ordre spontané. Pour traiter cette partie, on se référera à deux livres de Hayek, Droit, législation et liberté et L’idéal politique de l’État de droit.

La loi selon Hayek

Selon Hayek, si faire le droit est un processus continu où chaque action génère des conséquences imprévues et produisant aussi une évolution que personne ne veut comme telle, l’instrument principal du changement délibéré dans la société moderne est la législation (p.175). Il arrive souvent que le juge, et plus généralement le juriste, neutralise l’effet d’une loi voire ne l’applique pas car il considère qu’elle aurait des effets trop négatifs ou bien qu’elle risquerait de rompre avec l’harmonie de l’ordre juridique existant. Dans ce cas, le législateur a pour mission de dépasser ces blocages par une loi. Il a un rôle de premier plan dans un ordre spontané.

En effet, il peut arriver que la jurisprudence soit confuse et qu’elle crée par elle-même une certaine forme d’incertitude. Dans ce cas, le législateur doit rectifier le droit issu de la pratique. L’intervention du juge sera alors nécessaire pour permettre cette correction. Sans cette correction opérée par le législateur, l’ordre spontané se verrait fortement affaibli, car la certitude permettant l’anticipation des individus, disparaîtrait (p.219). La législation est inhérente à tout ordre juridique étatique, où l’État exerce un monopole dans la production normative. Dès lors, même dans un ordre spontané, il n’est pas possible de se dispenser de la législation (p.220).

Si on laisse la jurisprudence opérer par elle-même, elle pourrait se corriger, s’améliorer sur le long terme. Cependant, à court terme, la raison des juges peut se montrer défaillante. C’est dans ces cas-là que l’intervention du législateur est nécessaire. Hayek va en effet dresser une liste de situations pour lesquelles l’intervention du législateur est nécessaire à la bonne conduite de l’ordre spontané.

Selon Hayek, il existe trois situations dans lesquelles le législateur devra intervenir (p.220) :

La société demande un changement rapide 

En effet, la loi permet une adaptation rapide du droit, ce que ne peut pas faire la jurisprudence.

La société demande un changement en profondeur du droit 

En effet, la législation peut changer en profondeur le droit du fait de son intervention rapide et directe. A contrario, la jurisprudence est l’œuvre du temps long, de la recherche de la rationalité et de la cohérence, visant une harmonie des normes juridiques. Or, la jurisprudence ne peut modifier en profondeur le droit, elle ne peut le changer que graduellement lorsqu’une règle a été solidement établie, mais elle ne pourrait, sous peine de commettre une profonde injustice, changer en profondeur la règle de droit avec comme conséquence une perturbation de l’ordre spontané.

Le droit est confus

Ici aussi, l’intervention du législateur est souhaitée pour assurer une meilleure lisibilité du droit toujours dans la perspective d’accroître l’anticipation des individus dans un ordre spontané. La loi doit être claire et stable.

 

Quelles qualités la loi doit-elle avoir ?

Pour répondre à cette question, on pourra s’appuyer sur L’idéal politique de l’État de droit.

Selon Hayek, les lois doivent être générales, égales et certaines (p.81). Il s’agira de voir ces trois points séparément.

La qualité générale de la loi est sa qualité première

En effet, par générale, il y a l’idée que la loi, émanant de l’autorité législative, ne doit s’occuper que de cas généraux et « ne doit pas se référer à des cas particuliers ». En ce sens ici, « la règle doit prescrire un comportement, su de tous, aux gens à qui elle s’applique, elle ne doit se référer qu’aux circonstances qui peuvent être présumées être connues par ces personnes et à aucune autre circonstance ».

Le principe de l’égalité devant la loi

C’est selon Hayek, la qualité la plus importante d’une loi (p.83). Elle doit être la même pour tous, avoir une application uniforme et ne pas tenir compte, à première vue, des différences. Hayek admet cependant que la loi puisse établir des distinctions, mais elle ne doit pas être « dirigée au bénéfice de certaines personnes en particulier »(p.84).

La certitude de la loi

En effet, selon Hayek, la certitude de la loi permet le fonctionnement harmonieux des sociétés et du système économique. Quand la loi est stable, elle permet à la société entière d’avoir une ligne directrice pour l’accomplissement de ses actions.

28 mars, 2022

AU NOM DE LA PAIX ET DE LA QUALITÉ DE L’AIR, L’ÉCOLOGISME A FAVORISÉ LA GUERRE ET LE CHARBON

Par Jean-Philippe Delsol.

L’écologisme pense le monde et son avenir comme un système unidimensionnel dont la protection de la nature est l’alpha et l’oméga. Techniquement, considérant que la nature est en danger à cause d’un réchauffement climatique dû à l’émission humaine de CO2, il a convaincu le monde qu’il fallait non seulement cesser de produire des énergies fossiles, mais également se reposer exclusivement sur les énergies renouvelables (vent, soleil, marées et fleuves) et accessoirement sur le gaz moins polluant que d’autres énergies selon la doxa ambiante. Sous cette pression écologiste, ont été prises depuis dix ou vingt ans des décisions politiques draconiennes qui ont affaiblit l’Europe et l’ont rendu dépendante de quelques pays fournisseurs de gaz dont particulièrement la Russie.

Comment l’Occident se prive de ressources énergétiques

Les Etats-Unis de Biden refusent désormais de nouvelles concessions de pétrole et de gaz naturel sur les propriétés publiques, de nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié n’ont pas été approuvés, la justice a bloqué un grand projet pétrolier en Alaska capable de produire 160 000 barils par jour… A la suite de quoi la production d’énergie à partir du charbon est repartie à la hausse et a représenté 23% de la production d’électricité aux Etats-Unis en 2022. Les États-Unis étaient un exportateur net de pétrole en 2020. En 2022, ce n’est plus le cas.

En France, le procédé de fracturation hydraulique pour l’extraction des gaz de schiste a été interdit par la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011. Un projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels a été adopté le 19 décembre 2017.

L’Allemagne est le pays qui a eu la décision la plus désastreuse avec l’arrêt de ses centrales nucléaires. Ses usines de production électrique au charbon marchent à plein régime et elle fait partie des dix pays les plus polluants au monde en termes d’émissions de dioxyde de carbone. Elle produit dix fois plus de gaz à effet de serre que la France par kilowattheureIl y reste trois centrales nucléaires en activité, Isar 2 en Bavière, Emsland en Basse-Saxe et Neckarwestheim dans le Bade-Wurtemberg, dont il a été proposé de prolonger la vie. Mais les sociaux-démocrates et écologistes au pouvoir préfèrent maintenir la décision de fermeture en s’en remettant au développement de l’éolien et du solaire.

Selon les chiffres d’Eurostat, l’énergie en provenance de Russie représentait, en 2021, 62% des importations des 27, pour un montant de 99 milliards d’euros. Certes, la dépendance à la Russie n’est pas la même pour tous les pays. Si 94% du gaz en Finlande provient de Russie, la part du gaz russe est de 50% en Allemagne et de 24% en France. Rome importe 95% de son gaz auprès de fournisseurs étrangers, dont 40% viennent de Russie.

L’Europe est maintenant obligée d’aller mendier du gaz en Afrique du nord et au Moyen Orient. Plutôt que de redresser sa propre production, l’administration américaine préfère s’abaisser devant le Venezuela et l’Arabie saoudite pour conclure avec eux des accords d’approvisionnement.

 

La faiblesse des uns suscite l’appétit des autres

Ainsi, le monde occidental s’est affaibli sans nécessairement réduire ses émissions de CO2 et la Russie en a profité pour attaquer l’Ukraine tandis que la Chine reste en embuscade pour avaler Taïwan. Même s’il ne paraît pas encore définitivement prouvé que le CO2 est la cause du réchauffement plutôt que l’inverse, dans tous les cas il est souhaitable de réduire la pollution que génèrent les énergies fossiles. Mais le progrès des techniques de production pourrait sans doute y parvenir sans avoir à obliger les habitants du monde à s’éclairer à la bougie quand le soleil et le vent font défaut. Peut-être trouverons-nous bientôt d’ailleurs des moyens de stocker l’électricité pour pallier ces difficultés. Mais pour le moins, il vaudrait mieux attendre d’avoir de bonnes solutions de substitution avant de couper le robinet de l’énergie nucléaire et du pétrole. D’autant que les réserves de pétrole prouvées et accessibles sans difficultés majeures restent encore considérables et beaucoup sont à découvrir : elles représentent plus de cinquante années de production, et depuis 40 ans chaque année fait l’objet de découvertes égales en moyenne aux quantités consommées.

Mais l’écologisme se moque du sort des gens. Il est le salut des rétro-marxistes qui renouvellent leur idéologie dans le lit de la régression et d’une néo-collectivisation de la société qu’exigerait la lutte contre le réchauffement. À cet égard et comme le souligne Thierry Godefridi dans un petit essai saisissant (On vous trompe énormément, Palingénésie, 2020), l’écologisme peut apparaître comme un nouveau totalitarisme dans sa volonté sous-jacente d’éradiquer l’homme pour sauver la nature. La guerre et la décroissance ne les effraient pas puisqu’elles contribuent à la réalisation de leurs objectifs. Mais ceux qui exigent des sacrifices considérables pour que tout aille mieux dans cent ou mille ans sont toujours des imposteurs qui, pour satisfaire à leurs propres fantasmes, vendent de fausses espérances comme d’autres marchandaient des indulgences. Ce n’est pas nouveau. Georges Bernanos, encore, le disait le 12 septembre 1946 : « Quand l’humanité restreint peu à peu volontairement et comme inexorablement sa part héréditaire de liberté, en assurant qu’elle fait ce sacrifice à son bonheur futur, ne la croyez pas un instant. Elle sacrifie sa liberté à la peur qu’elle a d’elle-même. Elle ressemble à un obsédé du suicide qui, laissé seul le soir, se fait lier dans son lit pour ne pas être tenté d’aller tourner le robinet du gaz. Mais, en même temps qu’elle se torture ainsi elle-même, apprenant à mieux se haïr, comme l’auteur responsable de ses maux, son génie de l’invention multiplie les instruments et les techniques de destruction. » Nous y sommes. 

27 mars, 2022

Si « le privé est politique », alors la liberté disparaît

 Par Nathalie MP Meyer.

« Le privé est politique » expliquait récemment la candidate malheureuse à la primaire des écologistes Sandrine Rousseau au micro du web-magazine féminin-féministe Madmoizelle, « privé » signifiant ici vie privée, vie personnelle. En vertu de quoi elle voudrait voir reconnaître un délit de non-partage des tâches domestiques au sein des couples, écoféminisme de combat oblige.

La nouvelle idée de Sandrine Rousseau

On pourrait évidemment se dire que la propension de Sandrine Rousseau à proférer des âneries pour se faire remarquer la disqualifie complètement et que c’est pure perte de temps que de s’intéresser à ses multiples sorties délirantes.

Quoiqu’économiste et ancienne vice-présidente de l’Université de Lille, ne préfère-t-elle pas « des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR » ? N’a-t-elle pas tenté de se victimiser en tant que femme via la dénonciation d’une altercation sexiste purement imaginaire dont son concurrent de la primaire écologiste Éric Piolle se serait rendu coupable ? Une fois éjectée de l’équipe de campagne du candidat EELV Yannick Jadot qu’elle n’avait cessé de critiquer, n’a-t-elle pas expliqué avec son sens travaillé de la nuance que cela la déprimait « de faire de la politique dans des groupes du Ku Klux Klan », c’est -à-dire au sein de groupes écolos trop blancs à son goût ?

Il faut croire que les hautes instances d’EELV ne lui en veulent pas trop et/ou qu’elles comptent capitaliser sur ses éclats médiatiques à répétition puisqu’elles ont validé sa candidature, ou plutôt son parachutage législatif de juin prochain, dans une circonscription parisienne où les adhérents avaient pourtant déjà exprimé leur choix pour une autre candidate implantée de longue date. C’est fou combien la « politique autrement » des féministes conscientisées ressemble comme deux gouttes d’eau à la politique de toujours…

Mais c’est précisément en raison de ses ambitions législatives qu’il est préférable de prendre conscience de ce qu’elle a à dire, même si sa proposition sur le délit de non-partage des tâches domestiques n’engage pas EELV, comme elle le précise à la fin de l’entretien (vidéo, 58″) :

 

Postulat de base : ce sont exclusivement les femmes qui portent toute la « charge mentale » au sein des couples, ainsi que le dessinait Emma (dont je vous ai déjà parlé à propos de la réforme des retraites) dans une BD des plus instructives. Qui planifie tout dans la famille ? Qui pense qu’il va falloir racheter du shampoing, débarrasser la table, lancer une lessive, signer les carnets de correspondance ? Les femmes, toujours les femmes, seulement les femmes ! Encore une criante inégalité homme femme à redresser d’urgence !

Donc voilà : tout comme il est possible de dénoncer pénalement les violences physiques faites aux femmes au sein des couples, il faudrait instaurer un délit de non-partage des tâches ménagères. Autrement dit, le non-partage en question est une forme de violence exercée contre les femmes et à ce titre, il doit subir sa sanction régalienne.

Le privé est politique : un postulat dangereux et inapplicable

On ne sait pas trop comment Sandrine Rousseau envisage la prise en compte de ce délit. Les femmes seront-elles encouragées à se rendre au commissariat le plus proche pour dénoncer leur conjoint pour non-partage des lessives et du repassage ? Une enquête impliquant les témoignages des enfants et des amis ou voisins du couple sera-t-elles diligentée ? Bonjour la délation et l’inquisition.

Ou bien les couples devront-ils à l’avenir déposer une déclaration de partage des tâches en même temps que leur déclaration de revenus – un peu dans la veine de la comptabilité RSE des entreprises – et s’attendre à des contrôles de « bons comportements ménagers » comme il y a des contrôles fiscaux ?

Autre point délicat, qu’appelle-t-on partage des tâches ménagères et quelles tâches incluer exactement ? Une étude de l’Observatoire des inégalités publiée en septembre dernier ne s’intéressait qu’à trois d’entre elles, trois tâches dont on suppose en général qu’elles concernent surtout les femmes : qui prépare le repas du soir, qui fait les courses et qui passe le plus souvent l’aspirateur.

On peut cependant songer à beaucoup d’autres obligations domestiques qui impliquent aussi bien les hommes que les femmes : qui s’occupe du budget, de la paperasse, des impôts et de la sécu ? Qui s’occupe des poubelles, du bricolage, du jardin, de la voiture, des vélos et des ordinateurs ? Qui dépose les enfants à l’école, qui va aux réunions parents-profs, qui accompagne le petit dernier à son entraînement de foot et la grande à son cours de danse ? Qui participe aux déménagements des enfants étudiants ?

Bon courage à Mme Rousseau pour déterminer ce que serait une répartition pure et parfaite. La vie quotidienne au sein des couples est si diversifiée et si changeante au cours du temps en fonction de la composition de la famille, des âges de ses membres, de la présence de grands-parents et du travail ou non-travail des parents, que si elle veut obtenir un partage des tâches conforme à sa vision du monde, elle n’aura d’autre ressource que de tout planifier, donc contraindre, à la minute près.

Exactement comme un Gérard Filoche veut absolument que la semaine de travail comporte 32 heures réparties sur 4 jours et que la journée se décompose en 8 heures de travail, 8 heures de loisir et 8 heures de repos, elle devra établir des emplois du temps pour tous les membres de la famille et les imposer dans je ne sais quel Code de la vie familiale. Des inspecteurs semblables aux inspecteurs du travail viendront faire des contrôles et pourront même être saisis par les membres de la famille mécontents. Bonjour l’autoritarisme, bonjour l’ambiance.

Du reste, l’étude mentionnée plus haut montre que l’équilibrage des tâches au sein des couples progresse – excellente nouvelle qui disqualifie par avance les accès d’autoritarisme de Sandrine Rousseau. Tout comme le souci environnemental a fait son chemin progressivement dans les esprits depuis plusieurs décennies, les rapports homme femme au sein du couple et vis-à-vis des enfants évoluent énormément, comme chacun peut s’en convaincre en observant ses propres enfants adultes et en repensant à ses propres parents ou grands-parents.

Mais surtout, en quoi l’organisation interne d’une famille peut-elle bien concerner Sandrine Rousseau ? Elle raconte partout qu’elle vit avec un homme merveilleusement « déconstruit » ; nous sommes contents pour elle. Mais ses préférences doivent-elles s’imposer universellement ? Les hommes et les femmes sont-ils si complètement idiots qu’ils soient incapables de s’entendre et s’organiser au sein d’un couple et régler les disputes qui pourraient émerger entre eux au sujet du partage des tâches ? Sont-ils si dénués d’aspirations personnelles qu’il faille tout organiser à leur place comme si la vérité dans la recherche du bonheur devait obligatoirement venir d’une autorité autoproclamée supérieure ?

La comparaison l’horrifierait certainement, mais en militant ainsi, Sandrine Rousseau adopte (avec plusieurs longueurs d’avance, il faut bien le dire) un cadre d’action et de réflexion politique que son ennemi juré Éric Zemmour ne renierait pas.

Oh bien sûr, l’un et l’autre ont des conceptions complètement opposées concernant le contenu politique qui doit s’imposer à la sphère privée. Zemmour envisage par exemple de limiter par la loi le choix des parents quant aux prénoms de leurs enfants « pour que la France reste la France ». Ce dont Rousseau se fiche totalement tandis que Zemmour se moque littéralement de l’égalité homme femme.

Mais l’un et l’autre se rejoignent sur le fait que leur conception de l’existence, jugée supérieure à toutes les autres et placée dans les deux cas au rang d’enjeu civilisationnel, doit s’imposer à tous – faute de quoi notre avenir ne sera qu’abîmes et effondrements. De façon très concrète, nous voici face à deux constructivismes, deux approches autoritaires de la politique – l’une de droite, qu’on pourrait qualifier d’identitaire conservatrice, et l’autre de gauche, mélange intersectionnel d’écologie, de féminisme et d’anticapitalisme.

Si « le privé est politique », il en résulte assez directement que l’individu est dépouillé de sa capacité à faire des choix et prendre des décisions informées et autonomes. Sa seule et unique liberté consistera dès lors à se conformer aveuglément à ce que l’autorité politique aura décidé pour lui – ou à devenir hors-la-loi, puni, rejeté de la société. À la chinoise.

Autrement dit, si « le privé est politique », il n’y a plus ni individu ni liberté. On en a déjà une petite idée en France dans le contexte de notre triple État providence, stratège et nounou. Pensons plutôt à élargir la sphère privée.

26 mars, 2022

Pour Hayek, le juge est garant de l’ordre spontané

 Par Raphaël Roger.

Un des aspects de la pensée hayékienne tombée en désuétude est bien sa vision du droit. Il s’agira dans une série d’articles d’observer sa conception du droit, principalement centrée sur le concept de l’ordre spontané. L’ouvrage de référence sera Droit, legislation et liberté, bien que l’on pourra aussi se référer à La Constitution de la Liberté ou encore à L’idéal de l’État de Droit.

Dans ce premier article, il s’agira de voir la vision du juge de Hayek des fonctions d’un ordre spontané, par principe évolutif.

La vision du juge d’Hayek

Le modèle du juge que prend Hayek est celui de la common law. En effet, dans ce droit principalement issu de la pratique, le juge détient un large pouvoir d’interprétation, lui permettant, via un raisonnement inductif, de partir de cas particulier pour établir des règles générales et ainsi articuler la vie en société. Dès lors, il est d’usage de dire que le droit de common law est évolutif, avec un langage qui lui est sien, lui permettant de s’adapter en fonction de l’évolution de la société. La loi ici n’intervient qu’en dernier recours ou si la jurisprudence est trop lente pour permettre l’adaptation du droit aux changements de la société.

Dans la vision hayékienne du droit, en partant de précédents qui lui ouvrent la voie, le juge parvient à dégager des règles de signification universelle qui peuvent ensuite s’appliquer aux nouveaux cas. En effet, le droit coutumier est, selon Lord Mansfield « constitué de principes généraux qui sont illustrés par des cas particuliers » (p.216).

Le cadre dans lequel intervient le juge influence beaucoup sa pratique, sa vision du droit et son office. En effet, dans un ordre spontané qui par essence est issu de la pratique et alimenté par le temps, donc un ordre évolutif, le juge interviendra pour corriger les perturbations qui pourraient survenir (p.231), perturbations ayant pour finalités de modifier la sécurité des prévisions économiques dans un ordre qui par nature, se caractérise par une connaissance décentralisée.

Dès lors, le juge est un élément clé de l’ordre spontané car il permet non pas la coordination des différents agents, mais par son intervention, il pacifie les différends qui pourraient survenir au sein de cet ordre.

En effet, selon Hayek :

« Le juge est, ce sens, une institution propre à l’ordre spontané. Il intervient toujours dans le cours du fonctionnement de cet ordre, c’est-à-dire dans un processus où chacun réalise ses plans dans la mesure ou il anticipe les actions d’autrui et a donc de bonnes chances de coopérer efficacement avec lui. »

Chez Hayek, un élément important dans l’ordre spontané est l’existence de règles. Ainsi, pour être respectées, les règles qui, devant faciliter l’ajustement et le repérage commun des anticipations qui conditionnent la bonne fin des projets, doivent faire l’objet d’un contrôle de la part du juge (p.236). Le rôle du juge est donc de veiller à leur respect afin de maintenir « un ordre permanent des actions » (p.237).

Quel rôle pour le juge ?

Dès lors, le juge utilisera son office afin de permettre le fonctionnement graduel des règles de juste conduite par la création de nouvelles règles (p.241). Hayek reconnaît une fonction créatrice importante au juge. Il ne peut selon cette conception être la « bouche qui prononce les paroles de la loi ». Il devra user de son pouvoir d’interprétation, être un juge-créateur, pour permettre la bonne tenue de l’ordre spontané. En conséquence de cela, il devra améliorer un ordre des activités données, en établissant une règle qui pourra prévenir le retour des conflits qui se sont produits (p.241).

Le juge doit donc servir à maintenir « la régularité d’un processus qui repose sur la protection de certaines des anticipations des personnes qui agissent, contre le trouble apporté par d’autres ». Dans le cadre d’un ordre spontané il se doit de réparer les atteintes portées à cet ordre, en limitant chacun dans ses droits (p.267). Pour résoudre ces différends, il doit se baser non pas nécessairement sur ce qui est juste, mais d’abord et avant tout sur ce qui est légitime (p.269).

Le juge doit utiliser son pouvoir d’interprétation pour sortir du corps de règles existantes, pour en créer d’autres, lui permettant de résoudre de manière efficace les litiges qui s’élèvent au sein de l’ordre spontané. Dès lors le juge doit être capable de s’écarter de la lettre de la loi pour juger efficacement (p.271).

Ainsi, il doit utiliser son pouvoir de création pour combler les manquements de la loi toujours afin de préserver le bon fonctionnement de l’ordre spontané. En effet, pris dans la perspective évolutionniste du droit, le juge utilise son pouvoir de création pour poser une norme, au travers de principes, comblant les lacunes de la loi ou l’absence de celle-ci.

Pour ce faire il doit bénéficier d’une grande liberté, lui permettant d’avoir des solutions contra legem quand la stabilité de l’ordre spontané l’exige. (p.271)

Rappelant que la fonction du juge a pour seul cadre un ordre spontané, c’est-à-dire « un ordre qui fonctionne sans que personne en ait eu le dessein, un ordre qui s’est formé de lui-même sans que l’autorité en ait eu connaissance et parfois contre son gré » et qui se repose sur les anticipations des individus et leurs ajustements, Hayek décrit mieux le rôle du juge.

En effet selon lui :

« Les efforts du juge sont une partie du processus d’adaptation de la société aux circonstances, processus par lequel se développe l’ordre spontané. Il participe au processus de sélection en donnant force exécutoire à celles des règles qui, comme celles qui ont fait leurs preuves par le passé, rendent plus probable l’ajustement des anticipations et moins probable leurs conflits. Le juge devient ainsi un organe de cet ordre. Mais même lorsque, dans l’exercice de sa fonction, il crée des règles nouvelles, il n’est pas créateur d’un nouvel ordre : il est le serviteur de l’ordre existant, chargé de le maintenir et d’en améliorer le fonctionnement ». (p.274)

Dans son pouvoir de création, le seul souci du juge lors de l’élaboration de règles de droit, « n’est ainsi rien d’autre que d’améliorer ces aspects abstraits et permanents d’un ordre des activités qui lui est donné et qui se maintiennent au travers des changements dans les relations entre les particuliers, tandis que certaines relations entre ces relations elles-mêmes restent inchangées ».

En conséquence de cela, ce que le juge doit prendre en compte dans une perspective à long terme c’est « l’effet des règles qu’il pose sur un nombre inconnu de situations futures qui pourront se présenter à un moment ou à un autre ».(p.277-278).

Ce droit, issu de la pratique, que Hayek désigne comme le nomos, qu’il qualifie de « droit de la liberté », est ce qui permet d’articuler l’ordre spontané. Le juge en est un des principaux organes et il aura pour fonction d’améliorer le système existant en posant des règles neuves. Il doit s’efforcer de rendre ses jugements prévisibles pour permettre un meilleur ajustement des comportements individuels.

Le juge doit aussi garantir le respect des règles du nomos, règles qui par principe sont découvertes soit du fait de leur usage répété ou simplement du fait qu’elles sont complémentaires à des règles existantes et qu’elles permettent leurs articulations et de régler les conflits qui pourraient exister.

Malgré tout, et on le verra dans un prochain article, chez Hayek, l’intervention du législateur se révèle nécessaire.

25 mars, 2022

Le capitalisme, les sciences et les religions face à la Russie

 Par Patrick Aulnas.

L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe met en présence deux États, l’un estimant avoir des droits sur l’autre. La Russie de Poutine voit dans l’Ukraine un vassal faisant partie de sa zone d’influence. La majorité des Ukrainiens souhaite, au contraire, préserver l’indépendance géopolitique de leur pays. La position des autres États est bien connue.

Mais quelle est la position des autres puissances qui dominent ou influencent le monde sur le long terme ? Elles sont au nombre de trois : le capitalisme, les sciences et les religions.

Les Églises : de la complicité à la condamnation

La religion orthodoxe ne possède pas, comme la religion catholique, une structure unitaire, avec un pape au sommet. Divisée en quinze Églises, elle ne peut prendre une position unique pour ou contre l’agression. L’Église orthodoxe ukrainienne s’est émancipée de l’Église orthodoxe russe en 2018 avec la naissance d’une Église ukrainienne autocéphale (indépendante), évidemment favorable à l’indépendance de l’Ukraine. Il en résulte qu’il existe désormais en Ukraine deux Églises orthodoxes : l’Église ukrainienne orthodoxe autocéphale et l’Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou.

Cette émancipation de l’Église ukrainienne est analysée par le pouvoir politique russe et par l’Église russe comme une scission illégitime. Il y a donc une parfaite identité de vue entre la positon politique et la position religieuse russe : l’Église ukrainienne, tout comme l’État ukrainien, doivent allégeance à la Russie. Le conflit russo-ukrainien divise donc profondément les Églises orthodoxes, celle de Grèce s’étant aussi prononcée en faveur de l’Ukraine.

L’Église catholique a pris position très nettement contre l’agression russe avec des mots sans ambiguïté prononcés par le pape François : « une guerre qui sème la mort » et provoque des « fleuves de sang et de larmes ».

Les Églises protestantes ont condamné l’agression russe. Par exemple, les représentants de l’Église protestante unie de France écrivent : « Alors qu’une guerre sans déclaration de guerre a embrasé l’Europe, nous restons bouche-bée devant l’impensable, l’inimaginable, l’invasion de l’Ukraine, pays souverain. »

L’État d’Israël, représentant majeur de la religion juive, a adopté une position de neutralité dans le conflit russo-ukrainien, tout en accueillant des réfugiés. Cette neutralité s’explique par les impératifs de sécurité israéliens au Moyen-Orient. Le rôle majeur de l’armée russe en Syrie (maîtrise du ciel) conditionne la sécurité israélienne.

Les islamistes radicaux se félicitent ouvertement de la « guerre entre croisés », considérée somme « une punition » imposée « aux mécréants chrétiens » (publication de l’État islamique). Il est difficile de situer la position globale de l’Islam, dans la mesure où cette religion ne dispose pas d’un système institutionnel centralisé pouvant énoncer une position officielle.

Les relations entre États et religions monothéistes étant complexes, certaines religions sont traversées par des clivages à propos de la guerre russo-ukrainienne. Il est évidemment paradoxal que ceux qui croient en un dieu considéré comme omniscient, omnipotent et omniprésent, puissent observer avec bienveillance ou neutralité l’aventure guerrière d’un homme comme Poutine, autocrate impitoyable et sanguinaire. La paix, la pitié, la charité, bref tout ce qui relève de l’altruisme et de la douceur, devraient être privilégiées par les croyants et leurs représentants. Les mensonges éhontés de Poutine et des dirigeants russes, qui masquent la réalité de la situation à leur population, ne peuvent pas non plus être en adéquation avec l’omniscience divine, qui suppose une parfaite lucidité. Il ne s’agit pas là d’une découverte et l’histoire fournit de nombreux exemple de collusion entre les Églises et les tyrans. Les liens entre pouvoir politique et religions abaissent considérablement les exigences éthiques des religions. Des compromis honteux apparaissent parfois comme dans le cas de l’Église orthodoxe russe ou du fondamentalisme islamique.

Le capitalisme : adaptabilité

Le capitalisme international est également divisé. Faut-il quitter la Russie pour sanctionner l’agression ? Faut-il rester pour préserver l’avenir et éviter de pénaliser le peuple russe pour les crimes de ses dirigeants ? Les interdépendances économiques et technologiques d’un monde globalisé rendent le problème d’une redoutable complexité et il serait hasardeux et même naïf d’imaginer un comportement acceptable dans tous les cas.

Sans entrer dans les questions technico-juridiques (transactions financières interdites, assurance à l’export, sort des actifs russes, etc.), il est bien évident que l’exportation vers la Russie, a fortiori l’implantation en Russie, comportent désormais un risque majeur. Faut-il le courir ou non ? La réponse est variable selon les groupes.

Ainsi, L’Oréal a fermé temporairement ses magasins en Russie et suspendu tous ses investissements dans le pays.

Danone maintient ses activités en Russie pour répondre aux besoins alimentaires de la population, mais suspend ses projets d’investissement.

Dans le secteur de la distribution, les magasins Auchan, Leroy Merlin, Decathlon restent ouverts en Russie.

MacDonald’s a décidé de fermer temporairement ses 850 restaurants implantés en Russie. Apple a stoppé toutes ses exportations vers la Russie et fermé certains services comme l’Apple Store.

Le groupe Total, après des hésitations, a décidé de ne plus acheter de produits pétroliers russes avant la fin 2022.

Ces quelques exemples permettent de constater le pragmatisme, sans doute nécessaire, du capitalisme face à la guerre. La Russie est un grand pays possédant des ressources considérables qui seront exploitées sur le long terme. Poutine est un petit despote qui va disparaître. Faut-il sacrifier le long terme historique pour un criminel de guerre ? Faut-il faire payer à la population russe les mensonges dans lesquels le pouvoir l’entretient depuis toujours ? L’avenir de la liberté est-il du côté de l’abandon de la Russie ou du maintien d’une collaboration, à l’exception bien entendu de toutes les technologies sensibles militairement ? Répondre à ces questions sommairement et émotionnellement n’est pas possible. Il faut examiner chaque situation particulière.

D’une manière plus générale, le marché a prouvé sa supériorité sur la planification étatique en matière de croissance économique. S’il a lieu, le retour de la Russie vers le totalitarisme la ramènera inéluctablement à la pauvreté. La petite équipe qui tient actuellement les rênes du pouvoir suscitera des oppositions de plus en plus fortes si l’échec économique est patent. Le capitalisme a tout intérêt à se concilier la population russe tout en condamnant sans ambiguïté le pouvoir actuel. Facile à dire, délicat à mettre en œuvre.

La science : abandonner la coopération

Quelle est l’attitude de la science à l’égard de l’agresseur russe ? L’Académie des sciences de Paris a publié un texte précisant les principes à respecter. Elle conseille de n’entretenir avec la Russie que des relations scientifiques hors de tout cadre institutionnel. Toutes les instances officielles russes sont mises sur la touche, mais des relations individuelles avec les scientifiques russes sont possibles. Les séjours scientifiques en Russie sont proscrits et les conférences internationales prévues dans ce pays doivent être annulées. Il en résulte que le CNRS et l’Institut Pasteur ont suspendu toute collaboration avec les organismes de recherche russes. De même, l’Agence spatiale européenne, qui travaille avec l’Agence Spatiale russe Roscosmos, a annoncé que le lancement vers la planète Mars du rover européen n’aurait probablement pas lieu en 2022 comme prévu.

Les scientifiques sont partagés entre l’idéalisme et le pragmatisme. La suspension des collaborations avec les instances officielles russes est perçue comme légitime, mais la pénalisation des collègues russes, très souvent opposés à la guerre, apparaît regrettable. L’isolement de la science russe, s’il se prolonge, la pénalisera lourdement.

L’isolement progressif de la Russie

Les quelques développements précédents offrent un aperçu sur la réalité de la situation, par-delà les injonctions souvent émotionnelles des uns et des autres dans les médias. Les Églises, le capitalisme et la science ont dans l’ensemble choisi la rationalité et la modération. Il en est de même de la plupart des États, oscillant entre neutralité (la Chine s’est abstenue au Conseil de sécurité) et sanctions économiques et financières (pays occidentaux).

L’OTAN, alliance militaire occidentale purement défensive, n’interviendra que si l’un de ses membres est attaqué. Il lui est donc impossible d’intervenir à ce stade. L’intervention directe de l’un des États membres de l’OTAN est elle-même à écarter sauf s’il s’agissait des États-Unis. Mais la politique étrangère américaine actuelle, orientée vers l’Asie, ne prédispose pas le pays à s’engager dans une aventure européenne pouvant conduire à une escalade nucléaire.

L’Ukraine résistera donc avec l’appui de l’Occident mais sans son intervention. La Russie s’isolera de plus en plus sur la scène internationale. Souhaitons que l’ancien officier du KGB devenu un autocrate incontrôlable n’entraine pas son pays et le monde dans la troisième guerre mondiale. Pour cela, il est fondamental que l’Occident fasse toujours prévaloir la rationalité des décisions sur l’émotion populaire, au demeurant bien légitime.