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05 mars, 2022

ECONOMIE, L’ENNEMI INVISIBLE

 Par Olivier Barrat

La pression des vagues migratoires, l’impuissance régalienne, l’obésité de notre système budgétaire national et de notre modèle social, la perte de confiance dans nos dirigeants politiques, la hausse de la pauvreté, l’épuisement culturel et la fatigue du peuple se trouvent sans cesse mis en avant. On peut cependant se demander s’il s’agit là des causes véritables de nos difficultés ou, plutôt, de symptômes d’un mal plus profond, mais invisible.

L’inflation peut précipiter la faillite de l’Etat

L’économie regorge d’adversités cachées qui peuvent détruire une société. L’historien Yann Le Bohec, spécialiste de l’Antiquité, explique que l’Empire romain s’est trouvé plongé, à partir du IIIème siècle, dans une crise majeure, prélude à son effondrement ; et cela en raison de son incapacité à lutter contre un ennemi invisible, l’inflation monétaire. Les invasions barbares, la décadence politique, l’instabilité du pouvoir, auraient ainsi été, avant tout, les conséquences implacables d’une dérive économique dont les gouvernants de l’époque étaient dans l’impossibilité de comprendre les mécanismes. Certes, dès Platon et Aristote, les penseurs grecs se sont intéressés à la question de la monnaie. Mais ils ont raisonné sur ce sujet en termes philosophiques et non pas d’une manière technique. Les empereurs romains ne disposaient donc d’aucune base pour élaborer et maîtriser des stratégies monétaires. Ils n’avaient notamment pas compris que la simple augmentation de la production de pièces, si elle ne s’accompagne pas d’une hausse parallèle de l’offre de produits et services et donc de la richesse, n’engendre qu’une dépréciation de la valeur de l’argent. Dès lors, pensant résoudre leurs problèmes budgétaires par une fabrication monétaire galopante, ils ne faisaient en réalité qu’accroitre les difficultés. L’inflation livrée à elle-même broya progressivement l’outil fiduciaire, précipitant la faillite de l’Etat, rendant la fiscalité de plus en plus lourde et de moins en moins efficace. Le pouvoir ne parvint alors plus à financer correctement l’armée qui, privée de moyens, perdit en puissance et gagna en instabilité, tandis que la misère se répandait partout dans la société.

Il en résulta à la fois une crise régalienne, les forces militaires affaiblies ne réussissant plus à protéger le territoire, et une crise économique, avec un développement considérable de la pauvreté, entraînant une autre crise, sur la légitimité du pouvoir. Les coups d’Etat se multiplièrent, les empereurs apparaissant comme incapables de résoudre les difficultés. Le tout dégénéra en une vaste crise morale, et le peuple finit par penser que ses dieux l’avaient abandonné. Certains se mirent alors à idéaliser les temps anciens de la grandeur de Rome, quand d’autres se tournèrent vers de nouvelles religions qui, tel le premier christianisme, promettaient des solutions fortement millénaristes rejetant en bloc le monde d’ici-bas.

Aujourd’hui, de nombreux auteurs considèrent que la France, ventre mou d’une Europe elle-même ventre mou de l’Occident, serait frappée d’une crise de civilisation. Le concept de déclin, voire de décadence, est martelés dans le débat public, au point de s’imposer comme l’une des pierres angulaires de la campagne présidentielle en cours.

Le « green deal », l’Etat stratège, servent le plus souvent de pis-aller, de talisman masquant un vide conceptuel

La pression des vagues migratoires, l’impuissance régalienne, l’obésité de notre système budgétaire national et de notre modèle social, la perte de confiance dans nos dirigeants politiques, la hausse de la pauvreté, l’épuisement culturel et la fatigue du peuple se trouvent sans cesse mis en avant. On peut cependant se demander s’il s’agit là des causes véritables de nos difficultés ou, plutôt, de symptômes d’un mal plus profond, mais invisible. On ne saurait exclure que, pareil à l’Empire romain sous l’emprise d’un phénomène inflationniste qu’il ne comprenait pas, notre pays soit sous le joug de problématiques économiques que nous ne parvenons pas à saisir.

Il n’est que de constater à quel point la réflexion en matière d’économie politique demeure engoncée dans les conceptions du passé. Cela concerne, par exemple, la question l’efficience des dépenses publiques, à la fois administratives et sociales, ou encore les sujets relatifs aux modes de fonctionnement profond des systèmes financiers.

Certes il existe une abondante littérature sur ces thèmes. Mais elle procède pour une bonne partie à grands coups d’archaïsmes théoriques ou de théorèmes idéologiques érigés en vérités scientifiques. Ici on recommande un keynésianisme vieilli, là un socialisme totalement sénile, plus loin un néo-libéralisme figé et passéiste. Le « green deal », l’Etat stratège, servent le plus souvent de pis-aller, de talisman masquant un vide conceptuel.

Est-il acceptable que chaque euro d’argent public utilisé, même en total gaspillage, soit obligatoirement comptabilisé comme une richesse pour le calcul de notre PIB, sans qu’aucune grille critique ne permette de mesure l’efficacité de la dépense ? Est-il souhaitable que toute réflexion objective sur les effets de notre régime de sécurité sociale et de nos mécanismes de retraite en répartition, soit bloquée par des interdits moraux et par le fait que le modèle social de la Libération devrait être vénéré tel un totem inviolable, même lorsqu’il dysfonctionne gravement et quoi qu’il puisse en coûter ? Est-il normal que l’analyse des mécanismes financiers établisse elle-même, sans que personne s’en émeuve, l’existence de véritables trous noirs échappant aux savoirs et aux modélisations ? Est-il logique de ne pas sérieusement s’inquiéter des zones grises et des incohérences produites par l’arrimage entre d’une part une politique monétaire européenne unique et d’autre part des politiques industrielles et fiscales définies sur le plan national, divergentes selon les Etats ?

Les mécanismes classiques de l’inflation sont désormais connus. Mais il existe de nombreux autres sujets majeurs tapis dans les angles morts de la pensée économique des gouvernements. Le champ de nos ignorances économiques demeure immense. Les quatre points qui viennent d’être évoqués n’en forment que la partie la plus émergée. Les historiens du futur constateront que des sociétés qui se croyaient « avancées » avaient elles aussi des œillères. N’importe quel étudiant en économie débutant d’aujourd’hui aurait a priori pu expliquer aux successeurs de César l’une des raisons majeures de l’effondrement programmé de leur empire. Une simple équation quantitativiste monétaire aurait-elle pu sauver Rome ? Cette discussion appartient aux historiens.

Par contre il relève du débat politique actuel, plutôt que d’ergoter sur des prénoms ou de divaguer sur la théorie du genre comme d’autres philosophaient au XVème siècle sur le sexe des anges, d’oser faire prendre à nos dirigeants conscience de leur obscurantisme économique et des conséquences qu’il risque d’avoir. Et puisqu’ils ne savent pas, ne devraient-ils pas commencer par redonner au marché et aux individus l’espace et la liberté qui leur revient naturellement et que, eux, sauront gérer spontanément, mieux qu’au travers des prévisions maladroites et biaisées des gouvernements.

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