Chaque Québécois doit plus de 34 000 $ au provincial seulement

Vaut mieux en rire!

Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

31 octobre, 2021

Comment l’inflation va modifier vos comportements

 Une fois l’opinion publique convaincue que les prix de toutes les marchandises et de tous les services ne cesseront pas d’augmenter, chacun devient désireux d’acheter le plus possible et de limiter la quantité d’argent liquide qu’il possède.

Un article du Mises Intitute

Les délibérations des individus qui déterminent leur conduite en matière de monnaie sont basées sur leur connaissance des prix du passé immédiat. S’ils n’avaient pas cette connaissance, ils ne seraient pas en mesure de décider de la hauteur appropriée de leurs avoirs en espèces et du montant qu’ils devraient dépenser pour l’acquisition de divers biens.

Un moyen d’échange sans passé est impensable. Rien ne peut entrer dans la fonction d’un moyen d’échange qui n’était pas déjà auparavant un bien économique auquel les gens attribuaient déjà une valeur d’échange avant qu’il ne soit demandé comme tel.

Mais le pouvoir d’achat transmis par le passé immédiat est modifié par l’offre et la demande de monnaie d’aujourd’hui. L’action humaine prévoit toujours l’avenir, ne serait-ce parfois que celui de l’heure qui vient. Celui qui achète le fait pour la consommation et la production futures.

Dans la mesure où il croit que l’avenir sera différent du présent et du passé, il modifie son évaluation et son estimation. Ceci n’est pas moins vrai pour l’argent que pour tous les biens vendables. En ce sens, nous pouvons dire que la valeur d’échange de la monnaie d’aujourd’hui est une anticipation de la valeur d’échange de demain.

INFLATION ET ANTICIPATION DES CHANGEMENTS DE POUVOIR D’ACHAT

La base de tous les jugements concernant la monnaie est son pouvoir d’achat tel qu’il était dans le passé immédiat. Mais dans la mesure où l’on s’attend à des changements de pouvoir d’achat induits par la monnaie, un deuxième facteur entre en scène, l’anticipation de ces changements.

Celui qui croit que les prix des biens auxquels il s’intéresse vont augmenter en achète davantage qu’il ne l’aurait fait en l’absence de cette éventualité ; en conséquence, il limite sa détention d’argent liquide. Celui qui croit que les prix vont baisser limite ses achats et accroît ainsi son encaisse.

Tant que ces anticipations spéculatives se limitent à certains produits, elles n’entraînent pas une tendance générale à la modification des liquidités. Mais il en va autrement si les ménages croient être à la veille de changements importants du pouvoir d’achat induits par l’argent liquide. Lorsqu’ils s’attendent à ce que les prix de tous les biens augmentent ou baissent, ils augmentent ou restreignent leurs achats.

Ces attitudes renforcent et accélèrent considérablement les tendances attendues. Cela se poursuit jusqu’à ce que soit atteint le point au-delà duquel aucune autre modification du pouvoir d’achat de la monnaie n’est attendue. Ce n’est qu’alors que la tendance à acheter ou à vendre prend fin et que chacun recommence à augmenter ou à diminuer ses avoirs en espèces.

Mais si l’opinion publique est convaincue que l’augmentation de la quantité de monnaie se poursuivra et ne prendra jamais fin, que par conséquent les prix de toutes les marchandises et de tous les services augmenteront sans cesse, tout le monde devient désireux d’acheter le plus possible et de limiter le plus possible sa détention d’argent liquide. En effet, dans ces circonstances, les coûts réguliers liés à la détention d’argent liquide sont augmentés par les pertes causées par la baisse progressive du pouvoir d’achat. Les avantages de la détention d’argent liquide doivent être compensés par des sacrifices jugés déraisonnablement lourds.

Lors des grandes inflations européennes des années 1920, ce phénomène a été nommé fuite vers les biens réels (Flucht in die Sachwerte) ou crack-up boom (Katastrophenhausse). Les économistes mathématiciens ne parviennent pas à comprendre la relation de cause à effet entre l’augmentation de la quantité de monnaie et ce qu’ils appellent la vitesse de circulation.

Le trait caractéristique du phénomène est que l’augmentation de la quantité de monnaie entraîne une baisse de la demande de monnaie. La tendance à la baisse du pouvoir d’achat générée par l’augmentation de l’offre de monnaie est intensifiée par la propension générale à restreindre la détention d’espèces qu’elle entraîne. On finit par atteindre un point où les prix auxquels les gens seraient prêts à se séparer des biens réels escomptent à tel point la progression attendue de la baisse du pouvoir d’achat que personne ne dispose d’une quantité suffisante d’argent liquide pour les payer.

Le système monétaire s’effondre, toutes les transactions dans la monnaie concernée cessent, une panique fait disparaître complètement son pouvoir d’achat. Les ménages reviennent soit au troc, soit à l’utilisation d’un autre type de monnaie.

L’évolution d’une inflation progressive est la suivante : au début, l’afflux d’argent supplémentaire fait augmenter les prix de certains produits et services ; d’autres prix augmentent plus tard. La hausse des prix affecte les différents produits et services, comme nous l’avons montré, à des dates différentes et dans une mesure différente.

Cette première phase du processus inflationniste peut durer de nombreuses années. Tant qu’elle dure, les prix de nombreux biens et services ne sont pas encore adaptés à la relation monétaire modifiée. Il y a encore des gens dans le pays qui n’ont pas encore pris conscience du fait qu’ils sont confrontés à une révolution des prix qui se traduira finalement par une hausse considérable de tous les prix, même si l’ampleur de cette hausse ne sera pas la même pour tous les différents produits et services.

Ces personnes croient encore que les prix baisseront un jour. En attendant ce jour, elles restreignent leurs achats et augmentent concomitamment leurs avoirs en espèces. Tant que de telles idées sont encore véhiculées par l’opinion publique, il n’est pas encore trop tard pour que le gouvernement abandonne sa politique inflationniste.

Mais finalement les masses se réveillent. Elles prennent soudain conscience du fait que l’inflation est une politique délibérée et qu’elle se poursuivra sans fin. Une rupture se produit. Le crack-up boom apparait. Chacun est impatient d’échanger son argent contre des biens réels, peu importe qu’il en ait besoin ou non, peu importe le prix à payer pour les obtenir.

En très peu de temps, en quelques semaines ou même en quelques jours, les objets qui servaient de monnaie ne sont plus utilisés comme moyen d’échange. Ils deviennent du papier brouillon. Personne ne veut donner quoi que ce soit contre eux.

C’est ce qui s’est passé avec la monnaie continentale en Amérique en 1781, avec les mandats territoriaux français en 1796, et avec le mark allemand en 1923. Cela se reproduira chaque fois que les mêmes conditions se présenteront. Si une chose doit être utilisée comme moyen d’échange, l’opinion publique ne doit pas croire que la quantité de cette chose va augmenter au-delà de toute limite. L’inflation est une politique qui ne peut pas durer éternellement.

 

Cet article est extrait de Human Action, Scholar’s Edition, pp. 423-425.

30 octobre, 2021

Le climat, la science et les dangers du « pas d’alternative »

par Michael von Liechtenstein

A partir du 31 octobre, la COP26 commencera ses travaux à Glasgow. Les chefs d’Etat vont se réunir pour débattre du changement climatique et des mesures qu’il faut prendre. L’idée que le marché libre est le coupable dans le changement climatique a atteint un statut de dogme. Pourtant, les sociétés capitalistes prospères ont fait plus de progrès que les autres dans la réduction des émissions de CO2 et les entreprises ont beaucoup fait pour améliorer leur capacité de production et la rendre plus écologique. Si nous voulons nous adapter aux dangers à venir, un débat plus ouvert et factuel sur la question doit avoir lieu.

L’utilisation du terme « pas d’alternative » est presque toujours dangereuse. Il insiste sur le fait qu’il n’y a pas d’autres solutions. D’emblée, elle bloque tout débat, les divergences d’opinion et surtout le processus scientifique de falsification et de vérification. "Pas d’alternative" a été l’un des dictons préférés de la chancelière allemande Angela Merkel. Cela lui a apporté beaucoup de succès politiques, mais aussi une incapacité à voir de meilleures stratégies, ce qui a nui à la fois à l’Allemagne et à l’Europe à long terme. Mais Mme Merkel n’est pas la seule personne au pouvoir à utiliser cette stratégie.

Le dogme climatique

Une opinion est largement acceptée – en particulier parmi les politiciens – bien qu’elle ne soit pas incontestée : l’humanité peut ralentir et même arrêter le changement climatique car il est principalement causé par l’homme et l’économie verte est la solution.

Il est certainement bon pour les sociétés de lutter contre la pollution, les émissions et les déchets, en les rendant encore plus durables. Davantage de recyclage et l’utilisation responsable des ressources – y compris humaines, naturelles et économiques – sont des objectifs importants. De nombreuses personnes, entreprises et organisations travaillent dur pour améliorer la durabilité. Malheureusement, cela se produit à des degrés divers dans différentes parties du monde.

Néanmoins, l’affirmation selon laquelle le changement climatique est uniquement causé par l’homme a atteint un statut de dogme. Les points de vue différents sont rejetés d’emblée. Pourtant, l’essence de la science est d’acquérir des connaissances, même si le processus ne se termine pas par le résultat souhaité. La science est si vaste et complexe qu’elle nécessite un débat ouvert – et souvent controversé –, basé sur le respect mutuel et la tolérance.

Un débat sur le climat plus tolérant et ouvert nous aiderait à mieux nous adapter et à prospérer

La nature est rarement stable. Son principe de base est l’adaptation et l’évolution. Comme tout géologue vous le dira, le changement climatique est un phénomène régulier sur terre. Des périodes de réchauffement et de refroidissement se produisent fréquemment. Les raisons de ces changements sont multiples : les fluctuations du rayonnement solaire, l’angle de rotation de la Terre, l’augmentation de la chaleur dans le magma sous la surface terrestre (ce qui provoque des tremblements de terre plus fréquents et des éruptions volcaniques plus fortes, tout en réchauffant les océans qui libèrent plus de CO2). Les cycles sont parfois progressifs mais peuvent être brusques, comme le prouve l’extinction brutale des dinosaures.

Le changement climatique est normal. Il est certainement préférable d’affronter des changements lents et graduels que des changements rapides. Mais de tels changements climatiques ne sont pas nécessairement entre nos mains. Le débat public a déjà conclu à l’existence d’un coupable évident : un système économique orienté vers le profit. Nous devrions remplacer le système de marché libre par l’interventionnisme de l’État, par une fiscalité élevée et un contrôle technocratique.
De telles affirmations ne peuvent être ni empiriquement ni scientifiquement étayées. Au contraire, nous savons que les sociétés libres réussissent mieux à réduire les émissions et la pollution que les sociétés en développement. Il est temps d’admettre que l’entreprise privée est le fer de lance de la durabilité.

Le temps de s’adapter

L’objectif de zéro émission nette de carbone est louable. Mais que se passe-t-il si le monde n’y parvient pas ? Un certain nombre de raisons peuvent conduire à ce scénario : les objectifs climatiques peuvent ne pas être réalistes, les facteurs non humains peuvent avoir un effet plus important, une politique erronée peut causer de nouveaux problèmes. Il est crucial que nous ne soyons pas bornés à propos de ce débat.

Le changement climatique est probablement quelque chose auquel nous devrons simplement nous préparer et vivre avec. Déjà, par exemple, il est devenu clair que les types et les variétés d’arbres dans les forêts devront s’adapter aux nouvelles conditions.

Ce serait merveilleux si le changement climatique ralentissait. Mais un leadership avisé doit s’adapter aux opportunités et aux risques de circonstances changeantes – s’en tenir aveuglément à une seule stratégie est presque toujours désastreux.
À tout le moins, nous devons être plus tolérants à l’égard d’un débat ouvert et factuel en politique, dans les universités et dans les médias. Cela nous permettrait de trouver des scénarios dans le cadre desquels nous pourrions mieux nous adapter et prospérer.

29 octobre, 2021

Avons-nous besoin d’un pape économiste « Au nom de Dieu » ?

 par Jean-Philippe Delsol

Dans le cadre d’une rencontre mondiale des Mouvements populaires tenue le 16 octobre, le pape François s’est aventuré sur le terrain économique de façon très politique. Avec une force et une clarté encore sans doute inégalée dans ses propos précédents, il a demandé de dépasser les modèles socio-économiques actuels, fondés sur le marché et la liberté des échanges, qualifiés de systèmes « écocides et génocidaires ». Pêle-mêle, il a, « au nom de Dieu » (répété dix fois), fustigé la mondialisation, requis la libération des brevets sur les vaccins, l’allègement de la dette des pays pauvres… Il a proposé la mise en place d’un revenu de base ou d’un salaire universel afin que chacun ait accès « aux biens les plus élémentaires de la vie », et une réduction de la journée de travail afin de faciliter l’accès aux emplois.

Peut-on dénoncer la libération rapide et considérable des échanges mondiaux qui a contribué à la baisse de la pauvreté ?

Un pape ayant autant de qualités intellectuelles, morales et spirituelles devait-il s’aventurer dans une harangue programmatique et, par-là, réductrice autant qu’utopique et dangereuse pour les plus pauvres ? Certes, il est heureux d’avoir dans une société des « poètes sociaux » comme les appelle le pape François, pour « créer l’espérance » et la dignité. Certes, le Saint Père a raison de dénoncer les systèmes fondés « sur l’exclusion et l’inégalité, le rejet ou l’indifférence ; où la culture du privilège est un pouvoir invisible et irrépressible, et où l’exploitation et les abus sont comme une méthode habituelle de survie. » Il prêche opportunément pour la solidarité et pour « la subsidiarité, qui s’oppose à tout schéma autoritaire, tout collectivisme forcé ou tout schéma étatique ».

Mais peut-on dénoncer si généralement la libération rapide et considérable des échanges mondiaux qui a permis que depuis la fin de la guerre froide, en moins de quarante ans, le taux d’extrême pauvreté passe de 40 % à 10% d’une population mondiale ayant augmenté pourtant sur cette même période de plus de 50% ? La mondialisation a sauvé des peuples de la faim en même temps qu’elle créait d’autres exclusions, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le pape François déplore à juste titre que la Covid ait entrainé « vingt millions de personnes supplémentaires […] dans des niveaux extrêmes d’insécurité alimentaire ». Précisément, cette dégradation est due, de confinement en confinement, à la baisse des échanges mondiaux qui a privé des pays pauvres de débouchés et augmenté le prix de certains produits.

L’économie est plutôt une œuvre de construction commune. Plus on travaille, plus on crée de richesses partageables.

Quand le pape demande que chacun travaille « moins pour permettre à un plus grand nombre de personnes d’accéder au marché du travail », il en reste à cette idée que l’économie et le travail sont des gâteaux à partager de telle façon que ce que chacun reçoit, il le prend à l’autre. Sauf que l’économie est plutôt une œuvre de construction commune. Plus on travaille, plus on crée de richesses partageables, de besoins qui requièrent toujours plus de travail pour les satisfaire ; tandis que moins les gens travaillent, moins ils gagnent, moins ils dépensent, moins il y a d’offre de travail et plus tous s’appauvrissent. La réforme Aubry l’a démontré en France. L’économie n’est pas un jeu à somme nulle, mais au contraire un système de régression ou progression plus que proportionnelles, algébriques plutôt que géométriques. Et la croissance, fondée sur l’innovation et le travail, a sorti le monde de la pauvreté. Distribuer de l’argent sous forme de revenu universel revient à tuer la valeur travail et l’initiative, et à gonfler la masse monétaire sans créer autant de produits à offrir sur le marché en contrepartie, ce qui détruit la boussole des prix et des salaires et peut générer très vite des déséquilibres producteurs d’inflation au détriment des plus pauvres.

Par ailleurs, la force civilisatrice de l’évangile s’est fortifiée dans l’édification du principe « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Cette séparation de la Cité de Dieu et de la Cité des hommes a mis un obstacle aux despotismes nourris de la confusion et de l’appropriation de tous les pouvoirs. Elle a permis aux libertés de s’épanouir dans le long combat qui a conduit, des papes Gélase 1er à Grégoire VII et Léon XIII, à la balance des forces et au respect mutuel du spirituel et du temporel. Ces deux cités sont nécessairement enchevêtrées observait Saint Augustin, mais chacune a son ordre. Et celui de l’économie, tâtonnant sur l’imperfection humaine, n’est pas celui de la foi qui croit déjà la Vérité qu’elle espère. Il ne peut donc pas y voir de catalogue des mesures économiques à instaurer « au nom de Dieu » sans risquer de faire disparaître les limites sur lesquelles repose l’équilibre de toute société libre et ouverte.

Faut-il rappeler que le Bon Samaritain était un homme riche ?

Enfin faut-il rappeler que le Bon Samaritain était un homme riche, sinon il n’aurait pu laisser à l’aubergiste les pièces d’argent nécessaires à l’hébergement de celui qu’il avait secouru. Le pape François, qui aime à le donner en exemple, a bien raison de rappeler aux riches leurs devoirs moraux et la valeur très relative de l’argent. Mais cette parabole explique aussi que la société ne secourra pas les pauvres sans le concours des riches. Et quant à vouloir désormais que se lèvent des « Samaritains collectifs », sans méconnaître les vertus du collectif, ne nous abandonnons pas à ses mirages, n’oublions pas, encore, l’enseignement de saint Augustin selon lequel « le bonheur de la cité ne procède pas d’une autre source que celui de l’individu ».

 

28 octobre, 2021

Les États adorent l’inflation : ils ne feront rien pour l’arrêter

 Les États n’agissent jamais contre l’inflation car ils en profitent et, surtout, ils peuvent en rejeter la responsabilité sur tout le monde, sauf sur leurs politiques.

Un article du Mises Institute

Aucun État cherchant à accroître massivement son importance dans l’économie et à monétiser un déficit galopant ne va agir contre la hausse des prix, bien qu’il prétende le contraire.

L’une des choses qui surprend le plus les citoyens d’Argentine ou de Turquie, c’est que leurs gouvernements populistes parlent toujours des classes moyennes et d’aider les pauvres, alors que l’inflation continue de grimper en flèche, rendant tout le monde plus pauvre.

L’inflation est l’érosion progressive du pouvoir d’achat de la monnaie. Les gouvernements utiliseront toujours différentes excuses pour justifier l’inflation : l’explosion de la demande, les « perturbations de la chaîne d’approvisionnement » ou l’avidité d’entreprises malveillantes.

Cependant, la plupart du temps, ce ne sont que des excuses. L’inflation est toujours un phénomène monétaire. Les prix s’envolent parce que la masse monétaire augmente massivement au-dessus de la production et de la demande monétaire réelles.

Comment des « goulets d’étranglement dans le transport maritime » peuvent-ils entraîner une hausse de 100 % des frets alors que le secteur du transport maritime était accablé par une surcapacité massive en 2019 ? Comment peut-on dire que les prix du gaz naturel et du pétrole ont grimpé en flèche en raison de perturbations de la chaîne d’approvisionnement alors que l’offre a parfaitement suivi la demande ?

La réalité est que certains de ces facteurs peuvent expliquer une petite partie de la hausse des prix, mais l’indice alimentaire mondial et l’indice Bloomberg des matières premières ne sont pas à des sommets pluriannuels en raison de ces problèmes.

LA CRÉATION MONÉTAIRE COMME CAUSE DE L’INFLATION ET DE LA HAUSSE DES PRIX

Ce qui s’est passé en 2020, c’est que la création massive de monnaie au milieu d’un blocage économique a créé une inflation monétaire pour des biens et services non reproductibles et relativement rares. Pourquoi cela ne s’est-il pas produit auparavant ?

Eh bien, c’est arrivé. Avant, nous avons assisté à une hausse massive du prix des actifs. L’inflation est créée là où va l’excès d’argent, qu’il s’agisse de la flambée des actions, des rendements élevés sur les marchés obligataires ou des valorisations sans précédent des logements et des capitaux privés. Plus d’argent pour le même nombre de biens.

En outre, il y a également eu une inflation massive des biens et services essentiels. Les prix du logement, des soins de santé et de l’éducation ont augmenté bien au-delà de l’indice officiel des prix à la consommation (IPC).

Pourquoi l’inflation a-t-elle éclaté de façon si agressive maintenant ? Tout d’abord, l’impression massive de monnaie en pleine période de confinement a maintenu les valorisations des actifs à un niveau élevé, mais a également commencé à générer des flux de fonds vers des secteurs rares, dits de valeur.

Et que sont les secteurs de valeur ?

Ce sont ceux qui ont souffert de surcapacité et d’un affaiblissement de la croissance de la demande au cours de la dernière décennie. Ainsi, davantage d’argent a afflué vers le pétrole, le gaz naturel, voire le charbon ou l’aluminium, dont l’industrie a souffert d’une surcapacité pendant la décennie d’argent bon marché.

L’inflation ne se produit pas le jour suivant où vous imprimez de l’argent. C’est un processus lent d’érosion progressive du pouvoir d’achat de la monnaie qui a commencé il y a des années et qui a culminé avec la décision insensée de mettre en œuvre des politiques de demande monstrueuses (dépenses publiques énormes et impression de monnaie) au beau milieu d’un verrouillage.

Mais pourquoi les gouvernements l’ignorent-ils ? Pourquoi n’agissent-ils pas ? Il est sûrement dans leur intérêt de maintenir les prix bas et de satisfaire les consommateurs-électeurs. La réponse est simple : parce que les gouvernements sont les plus grands bénéficiaires de l’inflation. Ils perçoivent davantage de recettes provenant des impôts indirects et leur dette galopante est lentement érodée par l’inflation.

En outre, les États n’agissent jamais contre l’inflation car ils en profitent et surtout, ils peuvent en rejeter la responsabilité sur tout le monde, sauf sur leurs politiques.

Même en Argentine, où l’inflation est supérieure à 50 % et dix fois plus élevée que dans les pays voisins, les citoyens sont progressivement convaincus qu’il doit y avoir d’autres causes que l’impression monétaire. Même lorsqu’on leur présente les preuves d’une banque centrale qui a augmenté la masse monétaire de plus de 120 % en deux ans, alors que la demande diminue, la presse et les politiciens imputent l’inflation à des effets « multicause ». C’est une blague.

UNE POLITIQUE DE L’AUTRUCHE DES GOUVERNEMENTS EN MATIÈRE D’INFLATION

Prenez les récents commentaires de l’administration américaine sur la flambée des prix aux États-Unis.

Le chef de cabinet de la Maison Blanche, Ron Klain, a déclaré que l’inflation était un « problème de riches ». Confrontée à cette affirmation, l’attachée de presse Jen Psaki a répondu que les gens dépensaient davantage, ce qui était la cause de l’inflation. Toutefois, selon les derniers chiffres, les dépenses réelles de consommation sont en baisse de 1 % en rythme annuel aux États-Unis, selon Capital Economics.

Le directeur du Conseil économique national, Brian Deese, a déclaré que si vous déduisiez l’augmentation du prix du bœuf, du porc et de la volaille, la hausse des prix était normale.

Si vous retirez ces trois catégories, nous avons en fait vu des augmentations de prix qui sont plus conformes aux normes historiques.

Donc, si vous déduisez la hausse des prix des produits que vous mangez chaque jour et que vous éliminez le prix des produits que vous achetez, il n’y a pas d’inflation, n’est-ce pas ?

Tous utilisent des excuses habituelles. Ils accusent les entreprises d’être responsables de la hausse des prix (méchants éleveurs de porcs et de poulets, méchants expéditeurs et gestionnaires de ports), accusent les consommateurs (vous achetez trop et trop vite), et sourient en disant qu’ils s’en soucient vraiment et qu’ils y travaillent… En imprimant et en dépensant plus.

UNE CONSÉQUENCE DES AUGMENTATIONS DES DÉPENSES PUBLIQUES

La rhétorique de l’inflation transitoire est toujours d’actualité, autant chez les gouvernements qui ne sont pas disposés à réduire leurs dépenses massives, que du côté des banques centrales prises entre le marteau et l’enclume, puisqu’elles doivent monétiser les déficits croissants des gouvernements très endettés tout en défendant leur stratégie de « stabilité des prix ». Entre les deux, devinez ce qu’ils ont décidé de choisir ? Oui, continuer à imprimer et se dire qu’un jour ça passera.

Le problème de l’argument de l’inflation transitoire est qu’il est fallacieux lorsque l’on considère l’inflation cumulée. Si la hausse de l’indice des prix à la consommation est de 5 % en 2021 et, disons, de 3 % en 2022, ils diront que l’inflation est en baisse, mais vous et moi aurons vu nos salaires réels et nos économies érodés de plus de 8,1 %. Pire encore, si l’inflation dépasse 6 % en 2021 et passe sous la barre des 2 % en 2022, vous et moi aurons perdu également plus de 8,1 % de pouvoir d’achat, mais les banques centrales diront qu’elles doivent imprimer davantage pour « combattre les risques de déflation ».

Les gouvernements interventionnistes ne veulent pas réduire les dépenses ou les déficits de manière substantielle. Ils utiliseront donc la taxe inflationniste, sachant qu’ils peuvent utiliser les excuses habituelles :

  1. Il n’y a pas d’inflation si on élimine les prix en hausse.
  2. C’est transitoire.
  3. C’est la faute des entreprises.
  4. C’est la faute des consommateurs.
  5. Nous avons la solution grâce au contrôle des prix.

L’inflation est une taxation sans législation, comme le disait Milton Friedman. L’inflation multi-cause n’existe pas. C’est beaucoup plus d’argent qui va au même nombre de biens. Et la taxe de l’inflation augmente la taille de l’État dans l’économie dans deux sens : par des dépenses massives de déficit et par l’érosion du pouvoir d’achat et de l’épargne du secteur privé par la dépréciation de la monnaie.

27 octobre, 2021

« Les Machiavéliens » de Burnham, une lecture libérale (III)

 Une leçon importante des machiavéliens est donc que l’individu doit se méfier du pouvoir politique même lorsqu’il vit dans une  démocratie.

La première partie de l’article se trouve ici
La seconde partie de l’article se trouve ici

Si les tendances oligarchiques du système démocratique étaient déjà bien comprises au début du XXe siècle par les machiavéliens, leurs conclusions n’ont malheureusement pas été retenues, même par la plupart des politologues. Cela n’est pas étonnant puisque la majorité n’a jamais pris connaissance des travaux de ces penseurs. Leurs noms sont très rarement cités, que ce soit dans l’enseignement secondaire ou à l’université.

Ni le livre de Burnham ni ceux des machiavéliens ne sont aussi connus qu’ils devraient l’être. Ils sont aujourd’hui difficiles à acquérir. Celui de Burnham est sorti récemment dans une nouvelle édition anglaise mais n’avait pas été publié depuis 1964 en langue originale. Le chef-d’œuvre de Gaetano Mosca, La Classe Dirigeante vient d’être réédité en français pour la première fois depuis longtemps et n’a pas été republié en anglais depuis des décennies. Il ne peut être acheté que d’occasion pour des centaines de dollars. Le magnum opus de Robert Michels, Partis politiques, ne peut être acheté qu’en réimpression (en anglais), car il semble qu’il n’y ait pas d’édition récente de cet ouvrage dans cette langue.

Au risque de sembler conspirationniste, l’accès difficile à ces œuvres et l’ignorance des idées des machiavéliens ne sont peut-être pas une coïncidence. Burnham a donné une explication qui, ironiquement, peut s’appliquer directement à son propre ouvrage :

« L’application au public de la méthode scientifique à la politique est entravée par ceux au pouvoir. Ils ne veulent pas que de véritables connaissances politiques soient disponibles, et ils bloquent la liberté d’enquête quand elle menace, comme elle menace si souvent, de saper leur pouvoir. Depuis l’époque des sophistes grecs jusqu’à aujourd’hui, tous ceux qui, par une enquête objective, divulguent une partie de la vérité sur le pouvoir ont été dénoncés par l’opinion officielle comme subversifs. » 1  

Aujourd’hui, le filtrage de contenu et la censure d’information sur Internet jugés politiquement sensibles peuvent s’expliquer de cette manière. Le sort de Julian Assange est un exemple flagrant du traitement réservé à ceux qui « divulguent une partie de la vérité sur le pouvoir » dans des systèmes politiques qui se veulent démocratiques.

Existerait-il un effort plus ou moins concerté pour limiter la circulation des œuvres des machiavéliens de la part de la minorité dirigeante, de peur que ces idées ne se répandent dans la majorité dirigée ? Bien que l’ignorance de la société au sujet des machiavéliens puisse avoir une explication plus prosaïque, il serait utile d’étudier pourquoi leurs œuvres si originales et éclairées ne sont pas plus largement disponibles, et encore moins enseignées.

Indépendamment de la réponse à cette question, il n’aura pas échappé au libre penseur que la majorité n’a pas la possibilité de prendre conscience de la nature oligarchique de ses démocraties. À  travers l’école publique, elle a été éduquée depuis son plus jeune âge à croire au mythe de la démocratie. Cela peut se comprendre car la plus grande menace pour la minorité au pouvoir, comme l’a noté Burnham, est l’adoption par la majorité de la méthode scientifique d’analyse de la politique.

Une leçon importante des machiavéliens est donc que l’individu doit se méfier du pouvoir politique même lorsqu’il vit dans une démocratie. Le mythe de la démocratie existe précisément pour que la majorité se contente de ne pas s’impliquer dans les affaires politiques de sa nation, à part se rendre périodiquement dans l’isoloir.

LA TENDANCE AU BONAPARTISME

La nature oligarchique des systèmes politiques explique pourquoi dans une démocratie les actions des branches exécutive et législative sont souvent très différentes des programmes politiques sur lesquels elles ont été élues. Ce déficit démocratique est particulièrement évident dans les systèmes présidentiels où le président est élu au suffrage universel.

Comme dans un tel système le président est élu directement par le peuple, il est souvent perçu, par lui-même et par d’autres, dans les mots de Burnham, comme « l’incarnation la plus parfaite de la volonté du groupe, du peuple ».2 Ainsi, selon le mythe de la démocratie, non seulement le président a la légitimité de gouverner mais il ne peut être blâmé car il n’est qu’un instrument de la quasi sacrée volonté du peuple.

Parce que son élection est confirmée par le peuple, il peut justifier ou excuser presque n’importe quelle action politique, y compris celles qui lui permettent d’augmenter ses chances de rester au pouvoir. Ces méthodes consistent souvent à utiliser le pouvoir de la fonction présidentielle pour soutenir sa réélection, pour affaiblir l’opposition et influencer le pouvoir judiciaire. De tels actes ne sont pas nécessairement anticonstitutionnels ou illégaux et, en tout état de cause, le président jouit de l’immunité du poste.

Enchâssé dans le système démocratique lui-même, il y a donc une tendance à l’autoritarisme, que les machiavéliens désignaient sous le terme de bonapartisme. Napoléon s’est couronné Empereur, mais Empereur des Français, pas de la France. C’est-à-dire que la légitimité du chef de l’État provenait dès lors non pas d’en haut, de droit divin, mais d’en bas, du peuple. Cela s’exprime encore plus clairement avec le deuxième Bonaparte à gouverner la France, Napoléon III, qui prétendit avec astuce qu’il était « simplement l’organe exécutif de la volonté collective manifestée lors des élections ».3  

Dans ce contexte, pour quiconque qui suit la vie politique aujourd’hui, il est difficile de nier la véracité du passage suivant de Burnham :

« Les dirigeants ne sont plus personnellement responsables de leurs actes : ils peuvent aller en guerre, persécuter, voler, violer les libertés, ne pas se préparer aux crises sociales ou militaires, et ne jamais être mis en cause pour quelque crime ou échec que ce soit ; ils diraient qu’ils n’ont fait que réaliser la volonté du peuple ».4

Poussé à l’extrême, comme le dirigeant démocratiquement élu « personnifie la majorité, toute résistance à sa volonté est anti-démocratique. »5 Il y a des signes évidents de ces tendances aujourd’hui. L’intolérance à l’égard des opinions minoritaires et même la censure des opinions qui ne sont pas considérées comme démocratiques sont en augmentation depuis plusieurs années dans plusieurs démocraties occidentales.

LE CAS DU REFERENDUM

Le référendum est un exemple où les démocraties modernes sont déjà bonapartistes. En effet, le référendum est souvent utilisé pour donner un sceau de légitimité à des décisions politiques qui ont déjà été prises par le gouvernement, sans l’implication ou l’assentiment de la population.

Comme Burnham écrivit :

« L’usage le plus visible du référendum… est dans le plébiscite bonapartiste… où le vote attache la fiction de la volonté populaire à ce qui a déjà été décidé dans les faits historiques. »6

En général, la minorité dirigeante obtient à l’avance le résultat souhaité du référendum. Si malgré tout le résultat n’est pas celui souhaité par celle-ci, ce résultat du scrutin est généralement ignoré ou bien le vote s’organise une deuxième fois afin d’obtenir le bon résultat. Il y a plusieurs récents exemples de cela, en France et ailleurs.

Ainsi, le problème de la démocratie représentative par rapport aux autres systèmes politiques n’est pas qu’elle ne représente pas le peuple – ce n’est le cas d’aucun système politique – mais qu’elle est considérée comme un système politique légitime à tel point que même de nombreux régimes manifestement non démocratiques ont ajouté démocratique à leur nom officiel. Les démocraties modernes ne peuvent évidemment pas tenir la promesse utopique du pouvoir du peuple, et cela commence à devenir de plus en plus évident pour la majorité dirigée.

La crise de légitimité de la démocratie est bien sûr aussi aggravée par d’autres difficultés bien connues du processus démocratique, qui ne sont pas directement liées à la science politique machiavélienne ; tel que le concept de la tyrannie de la majorité, et d’autres aspects.

Les difficultés inhérentes à la démocratie représentative et la tendance au bonapartisme présentées ici contribuent donc à expliquer les tensions politiques et l’instabilité sociale que connaissent les démocraties modernes. Burnham propose dans son dernier chapitre une solution à ces problèmes de démocratie.

Dans la prochaine partie, cette solution sera revue et comparée aux propositions libérales pour faire face à ce dilemme du système démocratique.

  1. Burnham, J., The Machiavellians: The Defenders of Freedom, 2nd edition, Gateway, 1964, p290. ↩
  2. Ibid. p179. ↩
  3. Ibid. p178. ↩
  4. Ibid. p296. ↩
  5. Ibid. p179. ↩
  6. Ibid. p182. ↩

26 octobre, 2021

« Les machiavéliens » de Burnham, une lecture libérale (II)

 L’analyse historique et sociologique des penseurs machiavéliens montre que le système démocratique moderne n’est en fait  démocratique que de nom.

La première partie de l’article se trouve ici

L’analyse historique et sociologique des penseurs machiavéliens montre que le système démocratique moderne n’est en fait démocratique que de nom. Comme explique Burnham, aucune organisation politique de quelque importance que ce soit ne peut être dirigée par la majorité de ses membres ; sa désintégration chaotique s’ensuivrait rapidement.

De même, aucune société ne peut être dirigée de manière ordonnée par le peuple car le règne de la foule s’ensuivrait, ou ce que les Grecs appelaient ochlocratie. Dixit Burnham1 :

« Aucune société n’est dirigée par le peuple, par une majorité ; toutes les sociétés, y compris les sociétés dites démocratiques, sont dirigées par une minorité. Mais la minorité dirigeante cherche toujours à justifier et à légitimer sa domination en partie par une formule, sans laquelle la structure sociale se désintégrerait. »

En effet, toutes les minorités dirigeantes cherchent constamment à justifier leur pouvoir par une certaine « formule politique », pour reprendre l’expression de Gaetano Mosca. Dans un système dit démocratique, cette formule est le concept de démocratie, dans le sens étymologique de règne du peuple. C’est le mythe de la démocratie représentative qui fournit la légitimité au pouvoir de la minorité dirigeante dans les systèmes démocratiques.

LE MYTHE DE LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE

Ce mythe de la démocratie représentative repose d’une part sur l’idée que les représentants politiques sont loyaux et désintéressés, et d’autre part sur l’idée que l’électorat est rationnel et scientifique en ce qui concerne la politique. Ainsi, les populations des démocraties représentatives modernes sont convaincues qu’elles sont les véritables dirigeants collectives de la société. Elles prennent le mot « représentant » au pied de la lettre. Elles pensent décider du programme politique par le biais de représentants francs et dignes de confiance, simplement en glissant un bout de papier dans une urne tous les cinq ans dans le cas de la France.

Plus exactement, la majorité équivaut le concept de démocratie à la démocratie représentative – et non pas directe – parce que la population est aujourd’hui très largement en accord avec les machiavéliens pour dire que toute forme de démocratie directe dans un contexte moderne est pratiquement impossible sauf à une échelle très réduite.

La démocratie athénienne, bien que souvent critiquée pour ne pas être une démocratie impliquant tous les habitants de la ville, était une démocratie directe qui fonctionnait précisément parce qu’elle n’impliquait pas l’ensemble de la population adulte, mais seulement ses citoyens.

Ainsi, aux débuts des mouvements démocratiques au XIXe siècle, la démocratie représentative n’était généralement pas perçue comme véritablement démocratique dans ce sens traditionnel.

Comme Robert Michels l’a noté, ce n’est que lorsque les impossibilités pratiques de la démocratie directe à grande échelle devinrent évidentes, que le concept de représentation gagna en légitimité2.

Au fil du temps, ce concept est devenu synonyme de démocratie. Pourtant, accepter la représentation politique signifie accepter en pratique le pouvoir d’une minorité, involontairement ou non, comme les machiavéliens l’ont montré de façon si convaincante.

Afin de maintenir l’illusion de la démocratie et de préserver la stabilité sociale, la minorité dirigeante fait régulièrement des concessions mineures mais stratégiques à la majorité dirigée. Mais toutes les grandes décisions politiques sont prises par une petite élite politique et économique, indépendamment des souhaits et souvent même à l’insu de la majorité.

Il devrait être évident pour tout observateur averti que dans les démocraties modernes, les majorités n’ont pratiquement aucune influence sur la politique étrangère, la politique de défense, la politique monétaire, la politique de sécurité, la politique d’immigration, la politique de santé, et sur l’investissement public (dans l’innovation par exemple).

Et la majorité de ces supposées démocraties n’ont généralement qu’une influence mineure sur la politique fiscale, la politique de protection sociale, la politique des retraites, le droit du travail et sur l’éducation publique.

Il suffit de voir, comme exemples évidents, la façon totalement antidémocratique dont les questions considérées comme prioritaires par la minorité dirigeante sont traitées dans le monde dit démocratique : les politiques liées au changement climatique, aux pandémies, à l’immigration, aux interventions militaires, etc.

L’influence de Rousseau est évidente ici, et il est surprenant que Burnham ne l’ait pas mentionné dans son ouvrage alors que les machiavéliens l’ont fait. Il s’agit en particulier de l’idée que la minorité a le droit de diriger la majorité en raison de la légitimité que lui confère périodiquement le vote majoritaire.

En d’autres termes, la nature oligarchique de la minorité au pouvoir est justifiée en faisant appel à la notion floue de Volonté Générale de Rousseau, et en faisant des élections un moyen de contrôler régulièrement le pouvoir de la minorité au pouvoir.

Cependant, comme les démocraties sont généralement des sociétés ouvertes, elles bénéficient dans une plus large mesure que les autres systèmes politiques de la « circulation des élites ».

Non seulement des élections périodiques aux niveaux local, régional et national sont un moyen pour une partie de la minorité dirigeante de se renouveler un peu, mais les démocraties essaient souvent de rendre les carrières dans la fonction publique comparables à celles du secteur privé. La croissance spectaculaire de l’État dans la plupart des démocraties au cours des dernières décennies témoigne du succès de cette stratégie.

L’APPROCHE NON SCIENTIFIQUE DE LA MAJORITÉ A LA POLITIQUE

Comme indiqué par Burnham, la minorité peut dominer la majorité car elle est informée et organisée, contrairement à la majorité. En effet, dans une démocratie, la plupart des électeurs n’appliquent évidemment pas le même effort intellectuel ni ne consacrent le même temps à la politique qu’ils le font généralement pour des domaines d’intérêt personnel.

Comme l’ont fait remarquer les machiavéliens, les électeurs, ne voyant pas de lien de causalité clair entre la politique nationale et leur propre vie, sont souvent mal informés sur cette première. Leur niveau d’ignorance politique provient de leur niveau d’indifférence politique.

Cette indifférence est rationnelle, elle est le résultat d’une analyse basique de coût-avantage ; à savoir, quel effort fournir pour une certaine récompense. Les électeurs comprennent inconsciemment que leur vote n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de bulletins, et fera qu’une différence infinitésimale dans le résultat de l’élection.

Ainsi, comme dit Burnham3 , il est « extrêmement difficile pour l’homme d’être scientifique, ou logique, à propos des problèmes sociaux et politiques ». Par conséquent, la plupart des électeurs sont influencés par des arguments émotionnels, ce qui explique pourquoi les politiciens ont tendance à s’adresser à l’électorat dans ce registre.

Burnham a fait les observations suivantes à cet égard :

« L’analyse machiavélienne, confirmée et reconfirmée par les preuves de l’Histoire, montre que les masses ne pensent tout simplement pas scientifiquement à des fins politiques et sociales…

Au cours du XIXe siècle, beaucoup pensaient que l’éducation universelle permettrait aux masses d’être scientifiques en ce qui concerne la politique et d’atteindre ainsi une démocratie parfaite. Cette attente s’est avérée infondée. Dans la plupart des grands pays, l’analphabétisme a été presque éliminé. Néanmoins, les masses n’agissent pas plus scientifiquement aujourd’hui qu’il y a un siècle ou un millénaire. Dans les affaires politiques, les potentialités scientifiques de l’alphabétisation plus large ont été plus que contrebalancées par les nouvelles opportunités que l’éducation de masse donne à la propagande non scientifique. »4   

Ce passage est très perspicace car dans tous les systèmes démocratiques, les médias traditionnels ont depuis longtemps joué le rôle de propagandistes, souvent très subtilement, en faveur des positions de la minorité dirigeante (et les plus influents éditeurs et journalistes en font évidemment partie), soutenus par de nombreux intellectuels publics.

Ces personnes ont pour but de maintenir le consentement de la majorité dirigée à la politique de la minorité, ce que Hayek a contribué à exposer dans son fameux essai Les intellectuels et le socialisme.

De plus, aujourd’hui les méthodes et les outils de surveillance utilisés par la minorité au pouvoir (largement relevés par les publications de Wikileaks et les fuites du lanceur d’alerte Edward Snowden) ne font que se renforcer à mesure que l’information et la vérité sur la situation politique sont devenues plus facilement accessibles à la majorité.

Les dernières avancées en matière de technologies d’information sont déjà et seront demain utilisées par les services de renseignements des démocraties occidentales afin de maintenir le doigt sur le pouls des populations.

L’INSATISFACTION ACCRUE DE LA MAJORITÉ

Cela n’empêche évidemment pas les démocraties modernes d’être en proie à des tensions inhérentes qui ont été exacerbées ces dernières années par une insatisfaction populaire grandissante. Une partie de ces tensions provient de l’inadéquation entre, d’une part, une croyance naïve de la majorité en la démocratie et d’autre part, une prise de conscience périodique par une partie de la population de l’existence d’une oligarchie.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux et les médias alternatifs commencent à contribuer de manière non négligeable à cette prise de conscience. En conséquence, une partie croissante de la majorité dirigée se sent privée de ses droits politiques et réagit de plus en plus vigoureusement.

Ces dernières années, ces électeurs désenchantés ont essayé de voter pour des candidats populistes perçus à tort ou à raison comme venant de l’extérieur de la minorité dirigeante.

Ils ont essayé d’organiser des manifestations et des soulèvements populaires contre les élites politiques, ainsi que de soutenir de nouveaux mouvements, en dehors du processus politique habituel. Même si ces initiatives ont créé des développements politiques imprévus dans plusieurs pays occidentaux, elles ne semblent pas encore avoir beaucoup affaibli la minorité dirigeante.

  1. Burnham, J., The Machiavellians: The Defenders of Freedom, 2nd edition, Gateway, 1964, p266. ↩
  2. Michels R., Political Parties: A Sociological Study of the Oligarchical Tendencies of Modern Democracy, Partie One, chap. II. ↩
  3. Burnham, J., The Machiavellians: The Defenders of Freedom, 2nd edition, Gateway, 1964, p303. ↩
  4.  Ibid. p294. ↩