Chaque Québécois doit plus de 34 000 $ au provincial seulement

Vaut mieux en rire!

Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

31 juillet, 2022

Libéralisme : les 6 essais à lire pour les vacances

 Par la rédaction de Contrepoints.

Avec l’été viennent pour beaucoup les vacances, et l’occasion de lire les livres qui s’accumulent sur votre table de chevet.

Nous vous proposons des lectures de plage certes, mais des lectures qui font réfléchir et qui sont utiles à une époque où dominent le pessimisme et le socialisme. Elles défendent la liberté, respirent l’optimisme et dessinent une véritable alternative libérale pour le monde de demain. Ménagez vos méninges et respirez un peu d’air frais !

— Pascal Salin, Le vrai libéralisme : Droite et gauche unies dans l’erreur, Odile Jacob, 2019.

Un recueil des meilleurs articles du grand intellectuel libéral, et un rappel utile sur l’esprit du libéralisme menacé par les conservatismes et les collectivismes qui fourmillent dans le débat d’idées. Clair et pédagogue, il offre aussi à celui qui veut se familiariser avec les idées libérales une introduction et un aperçu de sa place dans le combat intellectuel de ces 30 dernières années.

— Alain Laurent, Responsabilité : Réactiver la responsabilité individuelle, Les Belles Lettres, 2020.

Le philosophe libéral Alain Laurent a repris la plume pour parler de l’envers de la liberté, la responsabilité. Notion qui à l’instar du libre arbitre est attaquée par les penseurs contemporains et contestée par les idéologies scientistes à la mode, la responsabilité est toujours d’actualité, et toujours nécessaire pour penser l’individu libre et rationnel.

— Ayn Rand, Une philosophie pour vivre sur la Terre, Les Belles Lettres, 2020.

Une belle édition d’essais signés par la célèbre romancière objectiviste à mettre entre toutes les mains. Quand l’éthique des vertus rencontre l’égoïsme rationnel, on découvre une défense de l’esprit du capitalisme libéral à la fois fascinante et libératrice.

— Carl Menger, Principes d’économie politique, Seuil, 2020.

Emmener la nouvelle édition en français de l’ouvrage classique de Carl Menger sur la plage sera sans doute aussi difficile que lire ce classique de l’économie politique. L’appareil critique de Gilles Campagnolo permet d’en comprendre les subtilités et le caractère révolutionnaire dans l’histoire de la pensée économique. Sa lecture pourrait durer plusieurs étés consécutifs !

— Thierry Aimar, Hayek : Du cerveau à l’économie, Michalon, 2019.

Une introduction à la pensée du grand économiste de l’école autrichienne à mettre entre toutes les mains. En partant de l’ordre sensoriel Thierry Aimar rappelle que Hayek n’était pas seulement économiste, mais a proposé une réflexion globale partant de l’épistémologie, ce qui a fait dire à certains qu’il était aussi précurseur des sciences cognitives.

— Pierre Robert, Fâché comme un Français avec l’économie, Larousse, 2019.

Pierre Robert remet les idées à l’endroit, démontre brillamment ce que l’ignorance française de l’économie nous coûte humainement et matériellement. D’accès facile et dans un style alerte, Pierre Robert démolit tous nos clichés sur l’économie et plaide pour une réconciliation avec la discipline. À mettre entre toutes les mains.

Bonne lecture !

30 juillet, 2022

La mentalité de crabe des anticapitalistes

 Par Jesse Gill.

Si vous mettez un crabe dans un seau, il en sortira en rampant. Cependant, si vous mettez plusieurs crabes dans un seau, ils resteront tous à l’intérieur du seau. Si un crabe décide de sortir du seau, il sera ramené à l’intérieur par ses camarades.

 

La mentalité du crabe

On pense que le raisonnement des crabes qui ne laissent pas les autres s’échapper du seau peut être décrit comme « si je ne peux pas l’avoir, vous non plus ». Même si cela a pour conséquence de les transformer en soupe de crabes, ils resteront dans le seau. De là l’expression « mentalité de crabe« .

Comme les crabes, les anticapitalistes désirent maintenir la société dans le seau, même si cela mène à des fins désastreuses. On le constate à travers les projets socialistes à grande échelle, comme ceux de l’Union soviétique ou de la Chine maoïste, qui étaient déterminés à punir les riches, même si cela signifiait que les pauvres devaient souffrir avec eux. En outre, l’accomplissement personnel et le profit sont punis sous les régimes socialistes car ils vont à l’encontre du collectivisme et de la solidarité des travailleurs. Peu importe que leurs plans quinquennaux entraînent des pénuries alimentaires et une inefficacité économique. Tant que tout le monde est dans le seau, les crabes peuvent souffrir ensemble.

Cette mentalité peut également être observée chez les anticapitalistes modernes à une échelle personnelle. Le capitalisme permet à ceux qui sont habiles et travailleurs de s’élever, laissant à chacun le soin de décider de son propre destin.

 

L’individu contre l’anticapitalisme

Comme l’affirme Ludwig von Mises dans La mentalité anticapitaliste :

L’emprise du principe, à chacun selon ses réalisations, ne permet aucune excuse pour les insuffisances personnelles. Chacun sait très bien qu’il y a des gens comme lui qui ont réussi là où lui-même a échoué. Tout le monde sait que beaucoup de ceux qu’il envie sont des self-made men. Et, bien pire, il sait que tous les autres le savent aussi. Il lit dans les yeux de sa femme et de ses enfants le reproche silencieux : « Pourquoi n’as-tu pas été plus intelligent ? » Il voit comment les gens admirent ceux qui ont mieux réussi que lui et regardent avec mépris ou pitié son échec.

Cet individualisme mène à la responsabilité personnelle, et ceux qui sont incapables d’accepter cette responsabilité essaient de rendre les autres responsables de leurs propres échecs. Le crabe s’inquiète peut-être de ne pas pouvoir quitter le seau, même s’il essayait. Il en veut peut-être à l’autre crabe d’avoir pensé à quitter le seau avant lui. Il projette ses insécurités et devient jaloux de ceux qui réussissent. Au lieu de réfléchir personnellement à la manière d’atteindre ses objectifs, l’anticapitaliste tire tous les autres vers le bas. Il le fait en supposant que toute personne qui réussit l’a fait par méchanceté et par ruse. Il assimile la recherche du profit à de l’égoïsme. Il plaide pour des politiques visant à tirer vers le bas ceux qui réussissent, au nom de l’égalité.

Cela se traduit notamment par l’impôt sur le revenu, qui prive les membres productifs de la société de leur argent et l’utilise pour financer l’État-providence. Cela sanctionne ceux qui ont réussi afin de fournir des services et des fonds à ceux qui n’ont pas gagné cette richesse par eux-mêmes.

Pourquoi quelqu’un qui travaille dur pour s’élever hors du seau devrait-il être repoussé vers le bas parce que d’autres sont incapables d’en faire autant ? Les anticapitalistes passent leur temps à chercher des excuses pour justifier que ces personnes ne méritent pas leurs revenus, qu’il s’agisse de propriétaires, de banquiers ou de chefs d’entreprise. Ils adorent dénigrer ceux qui contribuent davantage qu’eux à la société.

Par le biais de la mentalité du crabe, les anticapitalistes sont désireux d’utiliser l’État pour tirer vers le bas les personnes qui réussissent en prônant une législation envahissante punitive. Ils se moquent de ceux qui veulent s’en sortir par leurs propres moyens et encouragent la dépendance à l’égard de l’État-providence.

Le problème est qu’en supprimant l’incitation à travailler dur, ils handicapent la productivité et l’innovation, et c’est tout le pays qui en souffre.

Malheureusement, il n’y a pas de fin heureuse pour les crabes qui restent dans le seau.

29 juillet, 2022

Le PIB fournit une lecture erronée de l’état de l’économie

 Par Frank Shostak.

La statistique du PIB reflète l’idée que le facteur clé de la croissance économique n’est pas la production de richesses mais plutôt leur consommation. Il s’agit plutôt d’un calcul de la valeur des biens et services finaux produits pendant un intervalle de temps donné, généralement un trimestre ou une année. Comme les dépenses de consommation représentent la plus grande partie de la demande globale, de nombreux commentateurs estiment que les dépenses de consommation sont le principal moteur de la croissance économique.

Tout ce qui compte dans cette optique, c’est la demande de biens et de services qui, à son tour, donnera lieu presque immédiatement à leur offre. Comme l’offre de biens est considérée comme acquise, ce cadre ignore les différentes étapes de la production qui précèdent l’émergence du bien final.

Dans le cadre du PIB, les biens apparaissent en raison du désir des gens d’en acquérir. Cependant, il ne suffit pas d’avoir une demande de biens, il faut aussi avoir les moyens de les acheter. Les moyens sont divers biens de consommation finaux nécessaires pour soutenir les individus dans les différentes étapes de la production.

La source principale des moyens de subsistance est l’épargne des individus. Par exemple, Jean le boulanger produit dix pains et en consomme deux. Les huit miches de pain non consommées constituent une épargne. Jean le boulanger pourrait échanger les huit pains économisés contre les services d’un technicien afin d’améliorer son four, c’est-à-dire l’amélioration de son infrastructure. Avec l’aide d’une infrastructure améliorée, Jean pourrait augmenter la production de pain – augmentant ainsi la croissance économique. Notez que les huit pains économisés assurent la vie et le bien-être du technicien pendant qu’il améliore le four.

L’épargne détermine la croissance future. Si un renforcement de la croissance économique nécessite une infrastructure particulière alors qu’il n’y a pas assez d’épargne pour réaliser une telle infrastructure, alors la croissance économique n’émergera pas. Le cadre du PIB ne peut pas nous dire si les biens et services finaux qui ont été produits au cours d’une période donnée sont le reflet de l’expansion de la richesse ou le résultat de la consommation de capital.

 

Le PIB et l’économie réelle : quelle relation ?

Il est difficile de calculer le PIB réel. Pour calculer un total, il faut additionner plusieurs choses, qui doivent avoir une unité en commun. Or, il n’est pas possible d’ajouter les réfrigérateurs aux voitures et aux chemises pour obtenir le total des biens finaux. Pour surmonter cette difficulté, les économistes utilisent la dépense monétaire totale en biens, qu’ils divisent par un prix moyen de ces biens. Il n’est cependant pas possible de calculer le prix moyen.

Supposons que deux transactions aient été effectuées. Dans la première transaction, un téléviseur est échangé contre 1000 dollars. Dans la deuxième transaction, une chemise est échangée contre 40 dollars. Le prix ou le taux d’échange de la première transaction est de 1000 dollars/TV. Le prix de la deuxième transaction est de 40 dollars/chemise. Pour calculer le prix moyen, il faut additionner ces deux rapports et les diviser par deux. Cependant, on ne peut pas additionner 1000 dollars/TV et 40 dollars/chemise, ce qui implique qu’il n’est pas possible d’établir un prix moyen.

L’emploi de diverses méthodes sophistiquées pour calculer le niveau moyen des prix ne peut contourner le problème essentiel qu’il n’est pas possible d’établir un prix moyen de divers biens et services. Par conséquent, les divers indices de prix que les statisticiens gouvernementaux calculent ne sont que des chiffres arbitraires. Si les déflateurs de prix n’ont aucun sens, il en va de même pour la statistique du PIB réel.

Puisqu’il n’est pas possible d’établir quantitativement l’état du total des biens et services réels, on ne peut pas prendre au sérieux les diverses données comme le PIB réel que les statisticiens de l’État produisent. Le concept de PIB donne l’impression qu’il existe une chose appelée production nationale. Or, dans une économie de marché, la richesse est produite par les individus et leur appartient indépendamment. Selon Ludwig von Mises, l’idée que l’on puisse établir la valeur de la production nationale ou de ce que l’on appelle le PIB est farfelue :

Si un calcul commercial évalue une réserve de pommes de terre à 100 dollars, l’idée est qu’il sera possible de la vendre ou de la remplacer contre cette somme. Si une unité entrepreneuriale entière est estimée à 1 000 000 dollars, cela signifie que l’on s’attend à la vendre pour cette somme. L’homme d’affaires peut convertir son bien en argent, mais pas une nation.

Que devons-nous donc penser des déclarations périodiques selon lesquelles l’économie, telle qu’elle est représentée par le PIB réel, a augmenté d’un certain pourcentage ?

Tout ce que nous pouvons dire, c’est que ce pourcentage n’a rien à voir avec la croissance économique réelle et qu’il reflète très probablement le rythme du pompage monétaire. Le PIB étant exprimé en dollars, il est évident que ses fluctuations seront déterminées par les fluctuations de la quantité de dollars injectés dans l’économie. Nous pouvons également en déduire qu’un taux de croissance élevé du PIB réel est susceptible de refléter un affaiblissement du processus de formation de la richesse.

Lorsque l’on se rend compte que la croissance économique dite réelle, telle que représentée par le PIB réel, reflète les fluctuations du taux de croissance de la masse monétaire, il devient clair qu’un boom économique n’a rien à voir avec une véritable expansion économique. Au contraire, un boom conduit à une contraction économique réelle, puisqu’il sape la réserve de richesse, qui est au cœur de la croissance économique réelle.

Comme le cadre du PIB suppose que la banque centrale peut provoquer une croissance économique réelle, la plupart des commentateurs suivent servilement ce récit. Une grande partie de la soi-disant recherche économique apporte un soutien scientifique au point de vue selon lequel le pompage monétaire peut permettre à l’économie de croître. Ce que ces études négligent, c’est qu’aucune autre conclusion ne peut être tirée une fois que l’on a réalisé que le PIB est un proche parent de la masse monétaire.

 

Pourquoi avons-nous besoin d’informations sur la croissance économique ?

On est tenté de se demander pourquoi il est nécessaire de connaître la croissance de ce que l’on appelle l’économie. À quoi peut servir ce type d’information ? Dans une économie libre, ce type d’information serait peu utile aux entrepreneurs. Le seul indicateur auquel tout entrepreneur se fierait serait celui des pertes et profits. Comment l’information selon laquelle l’économie a augmenté de 4 % au cours d’une période donnée peut-elle aider un entrepreneur à générer des bénéfices ?

Ce dont un entrepreneur a besoin, ce n’est pas d’informations générales, mais plutôt d’informations spécifiques concernant la demande d’un ou de plusieurs produits spécifiques. L’entrepreneur doit lui-même établir son propre réseau d’informations concernant une entreprise particulière.

Les choses sont différentes, cependant, lorsque l’État et la banque centrale manipulent le cours des affaires. Dans ces conditions, aucun homme d’affaires ne peut ignorer la statistique du PIB puisque l’État et la banque centrale réagissent à cette statistique par le biais de politiques fiscales et monétaires.

Grâce au cadre du PIB, les responsables des États et des banques centrales donnent l’impression qu’ils peuvent piloter l’économie. Selon ce mythe, l’économie est censée suivre une trajectoire de croissance définie par des fonctionnaires omniscients. Ainsi, chaque fois que le taux de croissance tombe en dessous du sentier de croissance défini, les fonctionnaires sont censés donner à l’économie une impulsion appropriée. Inversement, lorsque l’économie croît trop rapidement, les fonctionnaires sont censés intervenir pour ralentir le taux de croissance de l’économie.

Si l’effet de ces politiques se limitait uniquement à la statistique du PIB, l’ensemble de l’exercice serait inoffensif. Cependant, ces politiques altèrent les activités des producteurs de richesse et nuisent ainsi au bien-être des gens. De même, par le biais du pompage monétaire et de la manipulation des taux d’intérêt, la Réserve fédérale ne contribue pas à générer plus de prospérité, mais met plutôt en mouvement un « PIB plus fort » et la menace conséquente du cycle d’expansion et de contraction qui aboutit à l’appauvrissement économique.

 

Conclusion

La statistique du PIB fournit un cadre de référence illusoire pour évaluer les performances des responsables étatiques. Les mouvements du PIB ne peuvent toutefois pas nous fournir d’informations significatives sur ce qui se passe dans l’économie réelle.

En fait, elle peut même nous donner une fausse impression. Dans la plupart des cas, un fort taux de croissance du PIB est susceptible d’être associé à une dilapidation intensive de la masse des richesses. Ainsi, malgré de « bonnes données » sur le PIB, beaucoup plus d’individus peuvent avoir beaucoup plus de mal à joindre les deux bouts.

28 juillet, 2022

L’État ne peut pas réguler le pouvoir d’achat

 Par Pierre Allemand.

Le gouvernement s’agite pour faire croire qu’il va améliorer le pouvoir d’achat à la suite de la réapparition de l’inflation, comme si une loi avait le pouvoir miraculeux de changer les règles de l’économie.

Voici quelques évidences qui ne paraissent pourtant pas l’être tant que ça aux yeux de nos médias.

 

Gouvernement et Parlement ne peuvent pas améliorer le pouvoir d’achat des Français

Il est donc étonnant et même inquiétant de constater que depuis plusieurs semaines l’ensemble des médias et des politiques acceptent le concept de cette amélioration comme si ce pouvoir était acquis, et qu’il suffisait maintenant de choisir comment le mettre en pratique.

Cela démontre l’inculture économique alarmante de l’ensemble des commentateurs. Au cours de son interview du 14 juillet, le président a bien essayé de remettre si possible « la Mairie au milieu du village » selon sa propre expression, en énonçant un point qui n’a malheureusement pas été développé et qui constitue la deuxième évidence.

Le pouvoir d’achat des Français provient exclusivement de leur travail

Pour améliorer le pouvoir d’achat, il faut donc simplement qu’ils travaillent davantage, ou que leur productivité s’améliore, ce qui ne se fait pas en cinq minutes, et nécessite de gros investissements.

Les deux autres méthodes d’amélioration, que j’ai citées dans mon dernier article ne créent pas réellement de pouvoir d’achat supplémentaire :

Déshabiller Pierre pour habiller Paul

Cette locution verbale illustre parfaitement l’immoralité de cette méthode qui consiste à prendre du pouvoir d’achat à certains pour améliorer celui d’autres personnes. Cette méthode est en désaccord profond avec les articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, et pose en plus un problème de fond : qui peut s’attribuer le droit quasi divin de désigner qui doit payer et qui doit recevoir ? La gauche de l’échiquier politique a répondu depuis longtemps à cette question : celui qui appartient à la catégorie des riches doit donner, et les autres recevoir. Savoir qui entre dans la catégorie des riches reste du domaine exclusif des politiques. (On ne s’attendait pas à moins de leur part). Le montant des contributions est déterminé par le montant de la distribution à assurer, baptisée ici redistribution, ce qui laisse supposer qu’une distribution préalable a déjà eu lieu. Le mystère reste entier sur combien et quand.

Un système analogue a existé, qui tirait sa justification de la morale chrétienne : la charité. Mais avec une nuance importante puisque le don était volontaire.

Le KoiKilEnKoute

C’est une variante de la première. Elle consiste à emprunter les sommes à distribuer, le montant de la charge de l’emprunt (les intérêts) étant naturellement mis à la charge du contribuable actuel, et le remboursement du principal (le montant de l’emprunt sans les intérêts) à celle des contribuables futurs. Elle revient donc bien aussi à déshabiller Pierre (les contribuables) pour habiller Paul (les bénéficiaires).

C’est la méthode qui sera appliquée dans la loi dite sur le pouvoir d’achat. Personne ne parle de la provenance de l’argent qui y sera consacré, alors que c’est précisément tout le problème.

Certains politiques (toujours de gauche) sûrement trompés par la présentation du budget national qui respecte évidemment l’orthodoxie comptable, ont probablement considéré, en étudiant un peu rapidement peut-être les comptes de la Nation, que l’emprunt n’impliquait aucune sortie d’argent lorsque les taux était nuls ou négatifs, et pouvait donc être illimité. D’autres, comme Jean-Luc Mélenchon, malencontreusement inspirés par le comportement des bolcheviks en leur temps, pensent que ne pas rembourser les emprunts est une bonne méthode. Ils oublient simplement que les prêteurs s’en souviendront peut-être lorsqu’ils seront à nouveau sollicités après que le montant de l’emprunt aura été dépensé.

Cependant, exceptés les auteurs de ces quelques raisonnements spécieux, une majorité de personnes raisonnables semble d’accord pour considérer dangereuse la méthode KoiKilEnKoute, car elle parait régler un problème alors qu’elle revient simplement à décaler le règlement des factures en l’alourdissant du montant de la charge de l’emprunt. Il est curieux et inquiétant que pas une voix ne s’élève à ce sujet.

 

Gouvernement et Parlement ne produisent rien

Si l’argent qu’ils distribuent ne provient pas d’un prélèvement sur le revenu ou le patrimoine des contribuables, il ne peut provenir que d’un emprunt. Or, même emprunté à un taux favorable, il faut bien rembourser un jour, et plus on rembourse tardivement, plus l’opération est coûteuse. Ceux qui veulent vous persuader du contraire sont des irresponsables. Cette vérité toute simple et facile à vérifier n’est malheureusement jamais clairement énoncée par le gouvernement (mais on peut le comprendre), mais aussi par les médias qui ne jouent pas le rôle d’informateurs qu’ils se sont attribués.

Par ailleurs, le KKEK revient à créer de la monnaie. En effet, les banques commerciales ou centrales ont ce pouvoir que l’on pourrait qualifier d’exorbitant, lorsqu’elles ouvrent un crédit à une personne, une entreprise ou un État. Au moment de cette ouverture, la quantité de monnaie totale se trouve augmentée du montant du crédit.

Mais étant donné que l’opération n’implique aucune création simultanée de valeur comme dans le cas de la fabrication d’un produit ou de la fourniture d’un service, nous arrivons à la quatrième évidence.

 

L’ouverture d’un crédit crée de l’inflation

Le grand public en général et les médias en particulier confondent régulièrement deux phénomènes distincts et nomment inflation l’augmentation constatée des prix.

Or, ce phénomène n’est en fait que la conséquence de la véritable inflation. Celle-ci est en réalité constituée par la diminution du pouvoir d’achat de l’unité monétaire car il faut davantage d’euros pour acheter le même bien. Cette confusion provient de la méthode d’évaluation de cette inflation : comme il n’est pas possible de connaître exactement ni le montant de la monnaie en circulation, ni la valeur totale des biens achetables, la mesure de l’inflation s’opère indirectement et imparfaitement en déterminant l’évolution de certains prix et en les affectant d’un certain poids afin d’arriver à un chiffre satisfaisant pour les autorités monétaires. L’INSEE est un grand spécialiste de ce genre de calcul, évidemment sujet à caution, car permettant toutes les dérives.

 

Les conséquences néfastes des décisions de nos politiques

La distribution d’argent magique telle qu’elle est décrite dans la loi en cours d’élaboration procède du célèbre KoiKilEnKoute institué par le président lui-même.

Elle aggrave encore la situation peu enviable de la France au sujet de la dette publique. L’apparition de l’inflation durable, niée dans un premier temps par madame Lagarde et par le ministre de l’Économie et des finances Bruno Le Maire, puis déclarée comme de courte durée par les mêmes personnes, est une conséquence directe de ce KoiKilEnKoute appliqué docilement pendant la crise du covid par les gouvernements européens sous l’influence de notre président. Les prétendues causes de cette inflation largement diffusées comme la guerre en Ukraine, ne sont pas exactes, mais naturellement largement acceptées parce qu’elles désignent un responsable commode en la personne de monsieur Poutine. Et c’est une pratique universellement utilisée dans l’Histoire que de désigner un coupable lorsque le bon peuple se trouve confronté à un évènement néfaste.

Les évènements en question sont complexes, et les relations entre eux sont très diverses.

Oui, monsieur Poutine porte la responsabilité du déclenchement des hostilités contre l’Ukraine. Mais la situation de dépendance totale de l’Europe au gaz n’est pas de son fait. Et il est logique qu’il profite de la situation. La force de la Russie réside dans sa situation de fournisseur de ressources fossiles indispensables. On ne peut pas reprocher sa force au fort. Cette situation aurait du être envisagée avant, car toutes les données du problème étaient déjà connues.

Par ailleurs, souvenons-nous du moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste en France voté par nos députés en 2011 et confirmé en 2013 par le Conseil constitutionnel, qui a interdit pratiquement l’exploitation de cette source d’énergie alors que les réserves du sous-sol français estimées par l’agence américaine de l’information sur l’énergie nous assureraient 80 ans de consommation actuelle (source). Actuellement, la France achete du gaz de schiste américain au lieu d’exploiter ses propres réserves. On ne voit pas très bien les avantages de cette situation. En revanche, les inconvénients sont évidents…

Ces constatations nous amènent à conclure qu’une fois encore, les politiques ont failli dans la mission consistant à prévoir l’avenir, et à prendre les mesures adéquates pour assurer tout simplement la sécurité des Français. Cette énorme erreur devrait interroger sur les autres mesures que veulent nous imposer ces mêmes politiques concernant l’énergie et le climat : ils viennent en effet de nous montrer à quel point ils peuvent se tromper dans leurs estimations des risques. Il serait utile de ne pas les laisser refaire les mêmes erreurs.

27 juillet, 2022

Droit naturel : aux racines du libéralisme

 Par Raphaël Candé.

Lorsqu’un néophyte découvre la pensée libérale, il ne peut manquer de noter la diversité d’auteurs, de courants et d’idées l’esquissant. Toutefois, il retrouve trois principes communs à tous, à savoir la préservation de soi, la liberté (et son corollaire, la responsabilité) et la propriété privée. Les justifications de ces principes peuvent être regroupées selon trois grandes traditions. 

La plus récente de celles-ci est qualifiée d’utilitariste ou de conséquentialiste et défend le libéralisme pour ses bienfaits supposés, ce dernier garantissant notamment le plus grand bonheur et la plus grande prospérité pour tous. Elle remonte à Jeremy Bentham (1748 – 1832) et regroupe des auteurs aussi variés que John Stuart Mill (1806 – 1873), Ludwig von Mises (1881 – 1973), Milton Friedman (1912 – 2006) et son fils David (1945).

La seconde de ces traditions, issue des Lumières écossaises et à laquelle sont rattachés David Hume (1711 – 1776), Adam Smith (1723 – 1790) ou Friedrich Hayek (1899 – 1992), est celle du scepticisme ou de l’ordre spontané. Pour cette tradition, il s’agit de protéger certaines conventions déjà existantes (comme la justice et la propriété) plutôt que de les inventer ou réinventer.  

Dans ce cas, l’activité de gouverner consiste à protéger l’ordre social existant, les conventions établies, sans chercher une finalité en dehors d’elles-mêmes et sans interférer sur leur contenu. 

La dernière de ces traditions, celle du Droit naturel moderne libéral, est la plus ancienne et peut être attribuée au philosophe anglais John Locke (1632 – 1704). Mais qu’est-ce que le Droit naturel moderne libéral ? Le lecteur sagace notera la présence des épithètes « moderne » et « libéral » qui supposent donc l’existence d’un Droit naturel ancien ou classique, d’une part, et, d’autre part, d’un Droit naturel moderne non nécessairement libéral.

Afin de comprendre ce qu’est le Droit naturel moderne libéral, il est donc nécessaire de s’intéresser au Droit naturel (ou jusnaturalisme) pris dans son ensemble, établir ce qui rapproche Droits naturels ancien et moderne, en quoi le Droit naturel moderne marque une rupture avec l’ancien et ce qui caractérise le Droit naturel moderne libéral par opposition au non libéral.

 

Grèce antique et naissance du conventionnalisme

S’intéresser à la tradition du Droit naturel nécessite de remonter aux fondements de la philosophie politique classique, c’est-à-dire en Grèce antique au IVe siècle avant J.C. La Grèce de cette époque est un regroupement de cités plus ou moins indépendantes les unes des autres (Athènes, Sparte, Corinthe, Thèbes, etc.). Pour les habitants de chaque cité, la légitimité de son régime politique et du code de lois la régissant repose sur son ancestralité, son caractère à la fois ancien et familier.

Or, le constat d’une grande diversité de régimes (monarchie, timocratie, oligarchie, démocratie ou tyrannie) et de lois parfois contradictoires au sein de la Grèce ne peut que saper cette légitimité. En effet, comment décider, entre deux lois contradictoires, laquelle est vraie, bonne ? 

Ce constat fait, entre autres, par les présocratiques (dès le VIe siècle avant J.C.), puis repris et développé par les sophistes du IVe siècle, les mène à la conclusion que l’ancestralité d’une chose n’est pas un critère suffisant pour juger de son caractère bon ou mauvais et qu’il existe une distinction, inconnue jusqu’alors, entre ce qui relève du domaine de la nature (ce qui touche aux êtres naturels) et ce qui relève de l’artificiel ou de la convention (ce qui touche aux productions humaines).

Ainsi, pour ces penseurs, la cité est une construction artificielle visant à subvenir aux besoins que ses habitants ne pourraient combler seuls. De même, la coexistence de lois parfois contradictoires et de concepts de justice différents entre cités ne peut s’expliquer que par leur caractère conventionnel : la justice n’existe donc pas en tant que telle, la législation de chaque cité n’ayant d’autres fondements que les hommes eux-mêmes, et plus spécifiquement ceux qui détiennent le pouvoir.

Peux eux, le bien et l’agréable se confondent. Une telle approche, poussée à sa conclusion logique, se révèle dangereusement relativiste car il n’existerait alors aucune norme supérieure permettant de juger du bien-fondé d’une loi ou d’un régime.

 

Génèse de la philosophie et du Droit naturel ancien

Par ailleurs, la découverte de cette distinction entre nature et convention marque la naissance de la philosophie, de la recherche des choses, des causes premières. Les choses artificielles présupposant l’existence de la nature, elles lui sont en effet postérieures, subordonnées et donc d’une dignité inférieure. La nature devient alors un étalon pour juger du caractère des choses.

Ce présupposé sert de fondation à la doctrine classique du Droit naturel esquissée par Socrate puis reprise et développée par Platon (428/427 – 348/347 av. J.-C.), Aristote (384 – 322 av. J.-C.), les Stoïciens, Cicéron (106 – 43 av. J.-C.), saint Augustin (354 – 430) et saint Thomas d’Aquin (1225/1226 – 1274). Ces philosophes souhaitent réfuter la position des sophistes en trouvant une origine naturelle à la justice et au Droit, en prouvant qu’elles ne sont pas de simples créations humaines. En effet, et de même que la présence de diverses théories portant sur l’univers ne remet pas en cause son existence, de même, des conceptions divergentes de la justice ne suffisent pas à conclure quant à son inexistence. 

Constatant la présence d’une multitude de besoins parfois contradictoires chez l’homme, par l’usage de la raison ces auteurs en concluent à l’existence d’un ordonnancement hiérarchisé naturel de ceux-ci.

Estimant les besoins de l’âme supérieurs à ceux du corps, ils établissent qu’une vie bonne est une vie conforme à la nature, la vie d’un homme dont l’âme et la satisfaction de ses besoins sont ordonnés harmonieusement. Il existe donc un ensemble de règles qualifié de Loi naturelle, appréhendable par la raison et délimitant les caractéristiques de cette vie bonne.

Contrairement à ce que défendaient les sophistes, pour l’homme le bien ne se confond donc pas à l’agréable et au plaisir, c’est-à-dire à la satisfaction des besoins, mais correspond à la perfection de sa nature, à sa fin ou « cause finale » (pour reprendre un terme issu de la physique aristotélicienne) en tant qu’homme.

Ces différents philosophes notent par ailleurs que l’homme est non seulement capable de communiquer avec ses semblables mais prend même plaisir à leur fréquentation. L’homme est donc, par nature, un être social voire politique ne pouvant bien vivre qu’en société : « celui qui n’est pas capable d’appartenir à une communauté ou qui n’en a pas besoin parce qu’il se suffit à lui-même n’est en rien une partie d’une cité, si bien que c’est soit une bête soit un dieu » soit le membre d’un forum internet libéral. Les sophistes sont à nouveau dans l’erreur : les cités sont naturelles et cela du fait de la sociabilité intrinsèque à l’homme.

L’accomplissement total de ce dernier inclut alors la vertu sociale par excellence, à savoir la justice (qui est donc, de ce fait, naturelle) et nécessite une participation active dans la vie politique en tant que dirigeant afin de mener l’ensemble de ses concitoyens vers la perfection de leur nature. Fins ultimes de la cité et de l’homme se confondent donc. De ce fait, pour atteindre sa pleine perfection, l’homme doit vivre dans la meilleure cité, celle dotée du meilleur régime, un régime proposant le meilleur mode de vie à ses citoyens.

Mais, quel est ce meilleur régime ?

Il s’agit de celui reposant sur la Justice ou Droit naturel (classique) et consistant à attribuer à chacun ce qui lui revient naturellement. Or les hommes étant dissemblables sur les plans de l’intelligence et de leur capacité à rechercher la vertu, ils ne sont donc pas tous également perfectibles et certains se révèlent, à ce sujet, supérieurs aux autres.

Les meilleurs, que nous qualifierons de sages, doivent alors, conformément au Droit de la Nature, gouverner les autres. Pour les philosophes de la doctrine classique du Droit naturel, le régime le meilleur est ainsi celui du gouvernement absolu des sages, un gouvernement auquel doit consentir l’ensemble de la population pour être légitime. Cependant, ce régime, bien que possible car conforme à la nature, est très improbable et, donc, condamné à rester théorique, « [situé] là-haut dans le ciel, comme un modèle pour qui veut [le] regarder ». En effet, les conditions de sa réalisation ne dépendent pas des hommes1

Si sur un plan plus pratique, cette recherche du meilleur régime est fructueuse, permettant en effet une classification des régimes existants du meilleur au pire en fonction des fins qu’ils se proposent, sa conclusion est décevante pour les auteurs de la Renaissance. Ainsi, Machiavel (1469 – 1527) raille les philosophes anciens pour « s’être imaginé des républiques et des principautés qu’on n’a jamais vues ni jamais connues existant dans la réalité ».

Il faut cependant attendre Thomas Hobbes (1588 – 1679), père du Droit naturel moderne, pour que s’opère une rupture franche au sein de la tradition du Droit naturel. Si les notions de Nature et de Raison sont à la racine de la tradition du Droit naturel classique, celle amorcée par Hobbes repose sur la volonté et l’artifice. 

 

La rupture hobbesienne

Détaillons un peu sa pensée politique.

Celle-ci s’inscrit dans un système philosophique plus global : pour Hobbes, philosopher c’est raisonner sur le monde appréhendé comme un ensemble de causes entraînant des effets. La raison a donc deux fins : déterminer les causes à l’origine d’effets donnés et, inversement, préciser les effets découlant de causes connues.

Pour Hobbes, le monde rationnel est donc analogue à une machine mécanique, un monde dont les principes premiers sont le corps (ou matière) et le mouvement2

. Sa philosophie est donc une philosophie de la puissance. Par ailleurs, Hobbes est un sceptique, considérant notamment les capacités de raisonnement de l’homme comme faillible. Celui-ci n’est donc pour lui non un être raisonnable mais une créature de passions.

Le but de la pensée politique de Hobbes, en accord avec son système philosophique général, est de découvrir la cause hypothétique de la société civile. Pour cela, notre philosophe démarre son enquête par une analyse introspective de la nature de l’homme et de ses sensations. Celles-ci sont notamment causes des émotions et passions auxquelles appartiennent le désir et l’aversion guidant l’action humaine.

De ce constat, il est possible de définir ce que sont le Bien et le Mal (ce que l’homme appelle, respectivement, l’objet de ses désirs et celui de ses aversions) et la Volonté (la décision prise par suite d’une réflexion sur ses désirs et aversions). Les désirs changeant d’un homme à l’autre et évoluant dans le temps, Bien et Mal sont des notions variables. Ainsi, contrairement à ce que prétendent les philosophes classiques, il n’existe pas de finalité, de perfection morale de l’homme.

Mais quel est le but visé par la conduite humaine ?

La Félicité, la satisfaction durable et continue des désirs. Dans ce but, l’homme recherche la puissance, les moyens grâce auxquels il peut satisfaire ses désirs. Pour Hobbes, le Droit naturel (c’est-à-dire la liberté que chacun a d’atteindre les fins qu’il s’est fixées et de préserver sa propre vie dans la limite de sa puissance) dérive, non de la fin de l’Homme, mais directement de la nature humaine ainsi déterminée, de cette notion de Volonté. L’homme possède cependant un défaut majeur l’entravant dans la poursuite de la Félicité : l’Orgueil, mauvaise estimation personnelle de sa propre puissance.

Quelque chose manque dans ce début d’enquête cependant : la nature humaine étudiée est celle d’un humain solitaire. Hobbes complète donc son étude en s’interrogeant sur la conduite de l’être humain confronté à d’autres hommes dans un état de nature, c’est-à-dire avant l’institution d’une société civile. Dans cet état, les hommes sont tous concurrents, ennemis même, dans leur recherche de la Félicité. S’ajoute une aversion majeure, celle d’une mort violente.

Or, les hommes étant égaux en termes de puissance, l’état de nature est donc une situation de guerre de tous contre tous attisée par l’orgueil et où une mort violente s’avère plus probable que la Félicité. Dans ces circonstances peu enviables, l’individu a néanmoins besoin des autres pour échanger, notamment des biens nécessaires à sa félicité. Des accords gré-à-gré peuvent donc exister mais sans moyens indépendants de les faire appliquer ils ne sont pas nécessairement respectés.

Il y a donc conflit entre la nature humaine, solitaire, ennemie de ses semblables, et la condition naturelle de l’humanité, la nécessaire coexistence entre hommes. L’homme n’est donc pas, pour Hobbes, un animal politique ou social, différence majeure avec les penseurs classiques.

Pour Hobbes, la résolution de ce conflit et l’instauration d’une paix civile passe par l’inhibition de l’orgueil humain grâce à la peur de la mort violente complétée de l’usage de la raison. En effet, le raisonnement permet de dégager des vérités relatives à la poursuite concurrentielle de la Félicité. Ces vérités, ces articles de paix que l’on peut résumer par : « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît à toi-même », permettent, si suivies par tous, d’atténuer la compétition, d’éviter la guerre de tous contre tous et d’accroître la certitude de la satisfaction des désirs de chacun.

Ces articles de paix sont cependant sans effets tant qu’ils n’ont pas été transposés en Lois (dites naturelles quand elles émanent de Dieu ou d’un souverain) associées à des punitions sanctionnant leur non-respect. Une puissance visible visant à contraindre ceux sous sa juridiction à suivre ces règles, condition de la paix civile, est donc nécessaire. Pour cela, les hommes s’accordent, au moyen d’un contrat social, à transférer à un souverain, personnage artificiel sans intérêts propres, leur Droit naturel à être gouverné inconditionnellement par leur propre raison. Dans cette association civile (artificielle, car fruit de la volonté des hommes, et non naturelle comme le pensait les philosophes du Droit naturel ancien), sont délégués au souverain les fonctions d’instaurer et d’imposer ces articles de paix à tous ses sujets et de les protéger de l’hostilité des individus extérieurs.

Le souverain, contre lequel les sujets n’ont pas droit de résistance, est doté de nombreux pouvoirs afin d’exercer ses fonctions : celui de maintenir l’ordre public, de faire la guerre, de lever des impôts et des armées, de faire des lois, de censurer les opinions morales et religieuses susceptibles de mettre à mal la paix civile. La société civile hobbesienne vise ainsi à assurer à ses membres, non plus leur parfait accomplissement moral, mais leur préservation physique par la paix civile et l’abondance matérielle. De plus, si le meilleur régime repose, pour les classiques, sur des devoirs naturels, l’association civile hobbesienne est fondée, elle, sur un Droit naturel dérivant d’une passion, celle de la préservation de son existence.

Cet abaissement dans les exigences de la société civile est censé rendre possible son apparition, contrairement au meilleur régime classique, utopique. Ces deux derniers éléments marquent la différence majeure, la rupture, entre, d’un côté, Hobbes et ses successeurs de la tradition du Droit naturel moderne, et de l’autre les auteurs classiques rattachés à la tradition du Droit naturel ancien. 

Du fait de l’autorité accordée au souverain et de l’absence de séparation des pouvoirs dans la pensée hobbésienne, faut-il pour autant faire de ce philosophe un apologiste de l’absolutisme ? Non. En effet, la loi édictée par le souverain législateur n’a pas vocation à être arbitraire.

De plus, celle-ci, en instaurant la paix civile, vise à augmenter la liberté de ses sujets, ces derniers pouvant enfin vaquer à leurs occupations sans craindre la féroce concurrence de leurs semblables ou une mort violente. De plus, la loi du souverain, contrairement celle de la Raison, ne cherche pas à prescrire l’ensemble de la conduite humaine. Et là où la loi ne dit mot, une liberté totale demeure. Par ailleurs, les sujets du souverain conservent deux libertés absolues : celles de ne pas s’accuser ou de se donner la mort.

Enfin, la pensée politique de Hobbes possède un caractère profondément individualiste : sa société civile repose sur un accord qui n’est pas une volonté commune mais un objet commun de volontés d’individus différents ne se dissolvant donc pas en s’associant. Bien que non libéral (car il octroie trop de pouvoirs à un souverain qui pourrait être tenté d’en abuser, ne reconnait pas à un peuple le droit de résister à l’oppression et ne fait pas de la propriété privée un des fondements de sa pensée), Hobbes est cependant parfois considéré comme un précurseur du libéralisme. La paternité de ce courant de pensée reste néanmoins réservée au philosophe britannique John Locke (1632 – 1704).

 

John Locke et la naissance du libéralisme

Entre ses références au théologien Richard Hooker (1544 – 1600) inspiré par saint Thomas d’Aquin et à une Loi naturelle considérée comme étalon de tout code de lois civiles, la pensée politique de Locke semble marquer un retour vers le Droit naturel classique. Il n’en est rien cependant et dans sa recherche (reposant sur sa théorie de la connaissance) du fondement, du but et des limites du (bon) gouvernement, le « sage Locke » se rapproche à maintes reprises des positions hobbésiennes.

Considérons ainsi le point de départ de la réflexion lockéenne : à l’instar de Hobbes, notre philosophe anglais part d’un état de nature compris comme un état de liberté et d’égalité parfaite, un état où personne n’est investi de l’autorité de juger les hommes entre eux et où il n’existe d’autres lois que la Loi naturelle3. Cette dernière, ne visant pas l’excellence morale de l’homme, dispose que chaque homme a pour devoir de se préserver lui-même ainsi que l’ensemble de l’Humanité.

De là, tout homme peut tuer toute personne menaçant son existence, cette dernière devenant de fait une menace pour tous les autres êtres humains. Seulement, cette Loi naturelle n’a de naturelle que son nom : en effet, fruit de la réflexion, elle n’est pas innée chez l’homme mais repose sur une passion puissante qui est de ce fait un Droit naturel : celui de sa propre conservation.

Par opposition à cet état de nature, Locke définit la société civile comme une situation où une ou des personnes sont investies de l’autorité de juger les hommes entre eux et où sont établies des lois dites positives (ou conventionnelles car édictées par les hommes). Locke ajoute cependant deux autres états dans lesquels peuvent se trouver les hommes : l’état de guerre, défini comme un état où des hommes usent de la force indépendamment de tout droit, justice ou autorité, et son opposé, l’état de paix. Et si ces deux états existent aussi bien dans l’état de nature que dans la société civile, l’état de guerre est cependant plus probable dans l’état de nature.

En effet, dans l’état de nature, la pauvreté (qui lui est généralement associée) couplée à un désir de conservation parfois démesuré (car mal orienté ou canalisé) menacent la paix générale, les hommes en venant à considérer le reste de l’humanité comme une menace potentielle. Trois points communs entre Hobbes et Locke sautent donc aux yeux du lecteur attentif : l’état de nature est un état qu’il convient d’abandonner car le conflit y est plus que probable ; la Loi naturelle, censée guider l’homme hors de cet état de nature, trouve son fondement et son but dans le désir de conservation de soi ; enfin, cette Loi naturelle fait signe vers la société civile comme condition d’une paix générale.

La violence est cependant moins grande dans l’état de nature lockéen, celle-ci prenant source, non dans un défaut majeur de l’homme comme l’orgueil, mais dans la pauvreté. De ce fait, la société civile comme remède à l’état de nature présente des différences majeures entre Locke et Hobbes.

En effet, là où Hobbes fait de la propriété privée l’objet des lois du souverain, Locke en fait un Droit. Pour ce dernier, Dieu a donné la Terre en commun aux hommes. Dans l’état de nature originelle, antérieur à la société civile, il n’y a donc pas de propriété privée initiale à une exception près : les hommes étant libres et égaux dans cet état, ils sont donc propriétaires de leur propre personne.

Or, le travail effectué par un individu donnant de la valeur à une chose (une pomme n’a de valeur que cueillie ou ramassée par exemple), son produit appartient, de fait, à cet individu : nous avons ainsi ici la source de la propriété privée. Locke ajoute cependant une condition à ce droit de propriété privée dans l’état de nature originelle : cette propriété n’est valable que tant que les denrées premières restent abondantes pour tous, tant en quantité qu’en qualité.

Seulement, Locke note que ces denrées tendent à se détériorer (ainsi les fruits par exemple). L’état de nature est donc un état de pénurie car tout surplus, source de prospérité, finit par pourrir et devenir ainsi inexploitable. Pour Locke, c’est l’émergence de l’argent, un bien durable, qui a mis fin à cette misère en permettant l’échange et ainsi l’utilisation des denrées périssables, la formation de surplus et donc l’augmentation de la production de biens4.

Cette introduction de la monnaie entraîne cependant une raréfaction des denrées premières et des inégalités économiques qui sont néanmoins justifiées par l’augmentation générale de la richesse globale : le plus pauvre des manœuvres, dans ce nouvel état de nature inégalitaire, reste en effet plus riche que le plus riche des hommes dans l’état de nature originel. Dans cet état de nature inégalitaire, une denrée naturelle n’a donc plus besoin d’être en abondance pour devenir la propriété de quelqu’un. Seulement, ces inégalités économiques engendrent la cupidité et la jalousie. Dans cette situation, l’état de guerre est plus probable et l’existence d’un gouvernement protégeant la propriété privée devient alors nécessaire.

Le but d’une société civile dotée d’un bon gouvernement nous apparaît donc clairement : elle vise à conserver la propriété au sens large, à savoir conserver la vie, la liberté et les biens de ses membres.

Étudions de plus près les détails de la formation et des fonctions de cette société civile. Celle-ci prend vie sous la forme d’un corps politique avec gouvernement au moyen d’un contrat social.

Ceux qui reconnaissent ce contrat quittent ainsi l’état de nature et, dans son cadre, transfèrent deux pouvoirs naturels (celui de tout faire en vue de conserver sa vie et celles des autres conformément à la Loi naturelle et celui de punir les hommes qui contreviennent à cette Loi) à la communauté ainsi formée. Ces pouvoirs deviendront deux pouvoirs politiques séparés (afin de limiter les abus), à savoir le législatif (auquel est rattaché le judiciaire selon Locke) et l’exécutif. Cette société civile permet donc, contrairement à l’état de nature, d’établir des lois fixées et connues par tous, appliquées à tous (membres du gouvernement inclus), de juger les litiges et de faire exécuter les jugements et punitions appropriées.

Le gouvernement de cette société civile ayant pour but de réduire les incertitudes présentes dans l’état de nature et de protéger la propriété au sens large, son pouvoir, le pouvoir politique, ne peut être que limité : ni arbitraire, ni absolu, ni instable dans ses lois et choix. En effet, une société civile tyrannique est pire pour ses membres que l’état de nature. Locke est donc plus strict que Hobbes dans les limitations imposées à son bon gouvernement, visant à le rendre plus respectueux du droit à la conservation de soi.

Mais que se passe-t-il quand un gouvernement abuse de ses pouvoirs au détriment des membres de la société civile ?

Pour Locke, il se met hors de la société civile. Et si vient s’ajouter l’usage de la force contre le peuple, un tel gouvernement se met en état de guerre avec celui-ci qui a un Droit naturel de se défendre. Pour autant, ce droit face à la tyrannie n’est valable que dans la situation où il n’est plus possible de faire appel à la loi, où le gouvernement est dysfonctionnel.

Ainsi s’achève notre périple historique. Celui-ci, en partant du Droit naturel ancien, nous aura permis de comprendre comment se justifient les trois grands principes libéraux pour les tenants du Droit naturel libéral et quel est le gouvernement le plus approprié pour les préserver.

Il s’agit d’un gouvernement ayant des pouvoirs limités afin de limiter les abus et respectant la Loi naturelle visant à défendre les Droits naturels de ses membres, à savoir le droit de préservation de soi, le droit d’être libre et le droit de posséder des biens. Un tel gouvernement ne cherche donc pas à guider ou orienter ses citoyens dans leur choix mais vise à les protéger des menaces extérieures et à arbitrer entre eux en cas de conflit.

Bien qu’ancienne et souvent réduite à une caricature d’économisme auprès de nos contemporains, la pensée libérale s’avère donc peut-être, encore et toujours, le meilleur antidote aux maux actuels.

En effet, en défendant, en premier lieu, la liberté et la propriété privée des membres d’une société civile, le libéralisme favorise l’émergence d’institutions et de principes visant la coopération, le dialogue et la prospérité plutôt que le conflit et la discorde et permet, ainsi, la coexistence pacifique d’individus et de groupes aux fins divergentes. Ce type de gouvernement prôné par les libéraux, aux fonctions et fins réduites, ouvre, par ailleurs, la possibilité d’une cohabitation apaisée d’utopies variées, le « canevas d’utopie » cher au philosophe Robert Nozick (1938 – 2002).

 

Sources :

Strauss, Leo. Droit naturel et histoire, 1953
Strauss, Leo. Les trois vagues de la modernité, 1975
Strauss, Leo et Cropsey, Joseph. Histoire de la philosophie politique, 1963
Oakeshott, MichaelL’association civile selon Hobbes, 1975
Oakeshott, MichaelMorale et politique dans l’Europe moderne, 1993
Locke, John. Traité du gouvernement civil, 1690

Article modifié le 25/09/2021 à 8h40 : rajout de notes de bas de page.

Article publié initialement le 24 septembre 2021

  1. Ainsi, et à titre d’illustrations, la survenance de ce meilleur régime repose, pour Platon, sur la coïncidence entre la philosophie et le pouvoir politique. Pour Aristote, elle nécessite le bon substrat, une population dont la nature convient à ce régime. Notons que des alternatives existent à ce meilleur régime théorique : sur un plan politique, le meilleur régime « en pratique » ; sur un plan extra-politique, la vie philosophie, vie conforme à la nature. ↩
  2. Deux remarques complémentaires : tout d’abord, si la vision hobbesienne semble inspirée de la physique moderne émergeant à cette époque (Hobbes est, en effet, contemporain de Galilée, qu’il rencontre entre 1634 et 1637, et de Kepler), elle repose sur le raisonnement pur et non de l’expérimentation comme la science moderne. Par ailleurs, la philosophie ne peut rien dire des causes finales, des choses éternelles et, de manière générale, de tout ce qui touche à la Foi ou à la révélation. ↩
  3. Notons que cet état de nature n’est pas nécessairement antérieur à la société civile mais peut apparaître dès lors que deux individus ne peuvent faire appel à l’autorité d’un juge afin de régler leur conflit immédiat. ↩
  4. Nous pouvons d’ailleurs remarquer que, pour Locke, l’argent émerge non dans la société civile mais avant celle-ci, dans l’état de nature. ↩