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31 août, 2022

L’État limité et l’État de droit

 Par Samuel Gregg.1

Toute discussion sur la nature et la finalité de la liberté et la justice aborde inévitablement la question du rôle de l’État et du droit dans la société. On peut commencer cette réflexion sur la façon dont le droit naturel aborde ces questions avec Thomas d’Aquin et son approche du droit.

Dans sa Summa Theologiae, Thomas d’Aquin définit le droit comme « Une ordonnance de raison en vue du bien commun, promulguée par celui qui a la charge de la communauté, » (ST I-II, q. 90, a.4) [translation source : Summa Theologiae, La Somme de Théologie en 5 fichiers doc (composée entre 1269-1272), Traduction dominicaine, 1984, à partir du texte de la commission Léonine.]

Dans ce contexte, le terme droit désigne les lois formellement adoptées par l’autorité politique légitime. Raison signifie le droit naturel, qui indique que la loi elle-même doit être raisonnable plutôt que dictée par les autorités. Celui indique l’autorité politique, c’est-à-dire l’État et les responsables juridiques comme les législateurs, les juges et les ministres du gouvernement. Enfin, le bien commun désigne les conditions qui aident les individus et les groupes d’une communauté politique donnée à faire des choix libres pour les biens qui aident l’épanouissement humain.

Ce dernier point est particulièrement important car le bien commun d’une communauté politique donnée n’est pas une licence pour l’État de faire ce qu’il veut. Ce que l’on appelle « le bien commun politique » impose des limites sur ce que l’État peut faire vis-à-vis des individus et des communautés non étatiques, allant de la famille aux entreprises.

 

Le bien commun politique

Le droit naturel considère le bien commun politique comme étant constitué, dans une communauté politique donnée (comme le Commonwealth d’Australie, l’État du Michigan ou la ville de Montréal), de toutes les conditions qui tendent à favoriser, faciliter, et encourager la participation cohérente de chaque individu à des biens comme la vérité, le travail et la beauté, qui sont manifestement bons pour tous les humains.

On remarquera qu’une caractéristique particulière du bien commun de la communauté politique est qu’il ne constitue pas une finalité en soi pour ses membres. Il joue plutôt un rôle instrumental dans la mesure où il vise à aider à l’épanouissement des individus en favorisant les conditions qui facilitent — au lieu d’essayer d’accomplir directement — le libre choix de ses membres de s’épanouir.

Les moyens grâce auxquels les autorités légitimes d’un groupe politique atteignent cet objectif peuvent inclure, entre autres, l’interaction avec d’autres autorités politiques légitimes, la protection des membres de la communauté politique contre les étrangers hostiles, la justification de la justice en punissant les auteurs d’actes répréhensibles et la détermination et l’arbitrage des responsabilités associées à des relations particulières, comme les obligations contractuelles. Par exemple, il est plus difficile de choisir de poursuivre le bien de la connaissance dans une situation de désordre civil. De même, nous savons que les incitations à travailler sont radicalement réduites s’il n’y a aucune garantie que nos revenus ne seront pas arbitrairement confisqués par d’autres ou par l’État.

 

Il est cependant important de se rappeler que l’objectif est d’aider les gens à s’épanouir, et qu’aider les individus et les associations dans une communauté politique donnée signifie précisément cela : aider. L’État n’aide pas les individus et les communautés en amoindrissant, en usurpant ou en annulant leur capacité et leur responsabilité personnelle de faire les choix libres qui mènent à l’épanouissement humain.

En bref, les activités et les pouvoirs des autorités politiques sont eux-mêmes limités par la raison d’être d’un groupe politique. Cela signifie que l’objectif du bien commun politique n’est pas l’accomplissement moral complet de chaque membre de cette communauté. Le bien politique commun limite ainsi ce que les fonctionnaires de l’État peuvent faire dans une communauté politique donnée. Cela inclut le domaine de ce qu’on appelle la moralité publique.

 

Droit naturel, État et moralité

L’approche du droit naturel au sujet du rôle de l’État en matière de moralité publique repose sur trois points cruciaux.

Toute loi humaine (droit positif) a une dimension morale

Même quelque chose d’aussi banal que le Code de la route est considéré comme possédant une logique morale sous-jacente. Il réglemente à juste titre le libre choix de conduire de millions de personnes parce que sans ces lois, la vie et la santé humaines sont exposées à des risques déraisonnables. Quand nous respectons les règles de la circulation, nous embrassons implicitement cette logique morale.

Les principes moraux et les normes de justice qui s’appliquent à toutes les formes d’action humaine s’appliquent autant aux acteurs étatiques qu’aux individus et aux communautés

Dans le premier chapitre, nous avons observé que le droit naturel souligne le fait qu’il existe des normes morales absolues qui identifient certains choix comme étant toujours et dans tous les cas mauvais, et donc ne devant jamais être choisis par des individus ou des groupes. Ceux qui écrivent les lois, appliquent les politiques ou interprètent les lois ne sont pas exemptés du respect de ces normes. Par conséquent l’État ne peut pas participer à des activités telles que voler les biens des gens, violenter leur intégrité physique par la torture ou les forcer à mentir, etc

Tout préjudice moral ne peut et ne doit pas être interdit par l’État

Par exemple, le libre choix de mentir est toujours mauvais car il nuit toujours au bien de la vérité. Pourtant, nous n’interdisons pas et ne punissons pas légalement tous les mensonges. Un  mensonge nuit au menteur lui-même et à différents groupes (amitiés, familles, etc.). Mais tous les mensonges ne compromettent cependant pas directement le bien commun politique. Donc nous limitons généralement l’interdiction légale et la punition du mensonge à des domaines tels que les procédures judiciaires ou des mécanismes comme les contrats.

En revanche, tous les meurtres sont non seulement répréhensibles en eux-mêmes, mais ils portent gravement atteinte au bien commun politique dans la mesure où le fait de ne pas dissuader et pénaliser les meurtriers compromet gravement l’aptitude des individus et des collectivités à rechercher le bien. En conséquence la loi interdit et punit les actes de meurtre.

 

Thomas D’Aquin s’est penché sur quelques-unes de ces distinctions en détail.

Prenons, par exemple, la description de l’objectif approprié du droit dans la Summa :

« Pour la loi humaine, c’est la tranquillité de la cité dans le temps présent; la loi y parvient en refrénant les actes extérieurs, dans la mesure où leur malice peut troubler la paix de la cité. » ST I-II, q. 98 a.1c

Les termes actes extérieurs et paix de la cité nous montrent que le droit positif s’intéresse principalement aux demandes de justice et de paix.

Thomas d’Aquin en précise une signification plus complète quand il explique :

« La loi humaine vise une communauté civile, celle qui s’établit entre les hommes par le moyen d’activités extérieures, puisque c’est par de tels actes que les hommes entrent en rapports les uns avec les autres. Les rapports de cette sorte sont du ressort de la justice, spécialement qualifiée pour l’organisation des rapports sociaux parmi les hommes. C’est pourquoi les préceptes proposés par la loi humaine n’intéressent que les actes de justice… » (ST I-II q.100 a.2c)

Ensuite, comme pour s’assurer que ses lecteurs le comprennent bien, il ajoute :

« Si des actes d’autres vertus sont prescrits, c’est dans la mesure seulement où ces actes revêtent un caractère de justice » (ST I-II q.100 a.2c)

À la base de cette affirmation se trouve l’argument de Thomas d’Aquin selon lequel tous les actes de vertu ne visent pas le bien commun politique. De nombreux actes de vertu ont pour objet le bien privé des particuliers, des familles et des autres collectivités. De tels actes sont hors du champ d’application immédiat du bien commun politique dont les gouvernants sont responsables.

Cela devient encore plus clair quand Thomas d’Aquin répond à la question, « La loi humaine doit-elle ordonner les actes de toutes les vertus ? »

Il répond de la manière suivante :

« Les espèces des vertus se distinguent d’après leurs objets […] Or tous les objets des vertus peuvent se référer soit au bien privé d’une personne, soit au bien commun de la multitude; ainsi peut-on exercer la vertu de force, soit pour le salut de la patrie, soit pour défendre les droits d’un ami; et il en va de même pour les autres vertus. Or la loi […] est ordonnée au bien commun. C’est pourquoi il n’y a aucune vertu dont la loi ne puisse prescrire les actes. Toutefois, la loi humaine ne commande pas tous les actes de toutes les vertus ; mais seulement ceux qui peuvent être ordonnés au bien commun, soit immédiatement, par exemple quand certains actes sont directement accomplis en vue du bien commun ; soit médiatement, par exemple quand le législateur porte certaines prescriptions ayant trait à la bonne discipline qui forme les citoyens à maintenir le bien commun de la justice et de la paix. » (ST I-II, q.96 a.3c).

Certes, Thomas d’Aquin ne considère pas la justice et la paix comme ayant un contenu minimaliste. Mais dans son esprit, la préoccupation légitime de la loi pour la justice et la tranquillité n’autorise pas l’État à promouvoir tous les actes de vertu. La conception du bien commun politique par le droit naturel impose donc des contraintes de principe à l’utilisation du droit positif pour façonner les choix et les actions libres des individus et des groupes vivant au sein d’une communauté politique donnée.

 

La subsidiarité et l’État

Ce n’est pas la seule façon dont le droit naturel limite la portée du pouvoir de l’État.

Le bien commun politique limite non seulement ce que l’État peut faire en ce qui concerne les individus, il restreint également ce que l’État peut faire en ce qui concerne les libertés des communautés sur lesquelles il exerce son autorité.

On peut comprendre cela à travers le principe de subsidiarité du droit naturel. Le mot lui-même vient du latin subsidium, qui veut dire aider.

Cette idée a été partiellement formulé par Thomas d’Aquin quand il a commenté :

« De même donc que pour un chef de cité, s’opposer ­ si ce n’est momentanément en raison de quelque nécessité ­ à ce que ses sujets accomplissent leur tâche, serait contraire au sens d’un gouvernement humain » (Aquin, SCG III c.71, n. 4) .

Un exemple d’une telle nécessité serait que l’État exige que mon entreprise fournisse certains biens pour l’armée en temps de guerre, même si le fait de les produire me rend incapable de remplir mes obligations contractuelles de fournir les mêmes biens aux acteurs privés. Dans ce cas, la responsabilité de l’État de protéger le pays contre les agresseurs externes l’emporte à juste titre sur mes obligations personnelles.

Le principe de subsidiarité nous rappelle ainsi qu’il existe de nombreuses associations et communautés libres qui précèdent l’État et créent de nombreuses conditions qui aident les gens à atteindre la perfection. Elles ont ainsi une responsabilité première de donner aux autres ce qui leur est objectivement dû en justice.

La façon dont cela fonctionne en pratique a été esquissée par Jean Paul II dans son encyclique de 1991, Centesimus Annus.

Il y dit :

« Une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’un ordre inférieur, en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun. » (Jean Paul II, 1991 :48) Source : Vatican website

Cette même encyclique précise que :

« Ces interventions de suppléance, que justifie l’urgence d’agir pour le bien commun, doivent être limitées dans le temps, autant que possible, pour ne pas enlever de manière stable à ces groupes ou à ces entreprises les compétences qui leur appartiennent et pour ne pas étendre à l’excès le cadre de l’action de l’Etat, en portant atteinte à la liberté économique ou civile. » (Jean Paul II, 1991 :48) Source : Vatican

Les interventions de sociétés d’ordre supérieur, telles que l’État, dans les activités de groupes inférieurs doivent ainsi prendre place en référence au bien commun politique : par exemple les conditions qui permettent aux individus de faire de libres choix par lesquels ils s’accomplissent eux-mêmes. Ainsi la subsidiarité combine des axiomes de non-interférence et d’assistance. Il s’ensuit que lorsqu’un cas nécessite l’assistance ou la coordination par la loi ou l’État, on doit respecter le plus possible les libertés légitimes des personnes ou sociétés assistées.

La signification primordiale de ce principe réside ainsi dans le fait que de telles libertés sont essentielles si les gens doivent choisir librement les biens et les vertus morales : par exemple en agissant et faisant des choses pour nous-mêmes – comme le fruit de notre propre réflexion, choix et action – plutôt que d’autres personnes le fassent pour nous.

Ainsi la subsidiarité suggère que l’État n’intervienne directement que lorsqu’il est évident qu’il n’existe pas d’autre association ou communauté à proximité de ceux qui ont un besoin particulier, ou bien que toutes les autres associations ou communautés proches n’ont pas pu répondre à ce besoin particulier. Et même dans ce cas, quand l’État semble être la seule institution qui puisse satisfaire un besoin, le principe de subsidiarité suggère qu’une fois qu’un groupe ou une association non-étatique émerge qui est capable de répondre à ce besoin, l’État devrait laisser cette association assumer la responsabilité de répondre à ce besoin.

Il est aussi vrai qu’existent des responsabilités particulières que le droit naturel considère comme prérogatives de l’État. La plus importante est ce que les sociétés libres considèrent comme fondamental pour leur identité même: l’État de droit.

 

La raison et l’État de droit

Thomas d’Aquin précise que la règle de droit « n’est pas la règle des hommes » (Aquinas Sententia Libri Ethicorum, V. 11 n. 10 in Busa, 1996).

Par primauté du droit, Thomas d’Aquin ne voulait pas dire principalement que les personnes chargées d’appliquer la loi maintenaient simplement les règles établies de façon cohérente. Pour lui, la primauté du droit était une question d’agir selon la raison plutôt que nos passions ou d’une manière arbitraire.

Thomas d’Aquin considérait que le droit devrait déterminer aussi longtemps à l’avance que possible ce que les juges devraient décider (Thomas d’Aquin, 1271-1272, Sententia Libri Ethicorum, V. II n.10, in Busa, 1996). Néanmoins, même après que les lois soient faites, annoncées et mises en œuvre, Thomas d’Aquin reconnaissait que d’autres exercices de jugement (et donc de raison) sont nécessaires, notamment parce que de nombreuses lois obligent inévitablement les juges à dénouer les ambiguïtés inévitables de signification, concilier les différentes lois et combler les lacunes du droit.

Cette attention à la raisonnabilité est au cœur de la conception de la primauté du droit que nous donne la loi naturelle. Elle met en valeur le fait que l’idée même de l’État de droit est dérivée en partie de la conclusion qu’il est raisonnable de limiter le pouvoir arbitraire. La primauté du droit inclut donc une moralité intérieure distincte dans la mesure où l’arbitraire est considéré comme intrinsèquement injuste.

Au XXe siècle ce point a été souligné par le philosophe juridique Lon L. Fuller. Il a soutenu que la primauté du droit incarne un raisonnement moral intrinsèque dans la mesure où il y a certaines conditions de raison qu’une loi doit remplir avant d’être considérée comme une loi légitime (Fuller, 1977).

Pour Fuller, la prééminence du droit signifie qu’une loi :

  • doit être suffisamment générale ;
  • doit être promulguée publiquement (on ne peut avoir de lois secrètes) ;
  • doit être prospective (par exemple, la loi s’applique aux actions futures, et non pas passées) ;
  • claire et intelligible ;
  • doit éviter les contradictions ;
  • doit rester constante, être suffisamment stable pour permettre à chacun d’être guidé par la connaissance du contenu des règles ;
  • ne doit pas demander l’impossible, il doit être possible de lui obéir ;
  • doit être administrée d’une manière qui ne s’écarte pas à l’extrême de son sens évident ou apparent (Fuller 1977 : 33-38)

 

Une loi doit être claire et promulguée, sinon elle ne répond pas à une exigence fondamentale de raison et est donc injuste. Il convient toutefois de noter que cette exigence n’est pas simplement une condition technique préalable au fonctionnement d’un système juridique. Elle contient un caractère raisonnable intérieur dans la mesure où ces exigences attestent du fait qu’il existe des façons cohérentes et justes (raisonnables) et incohérentes et injustes (déraisonnables) d’appliquer les lois. Par conséquent, c’est en se conformant à ces principes de base de raisonnabilité que le droit répond aux exigences minimales de la justice et contribue de façon essentielle à la protection contre la coercition injuste et de prise de décision arbitraire par ceux qui exercent un pouvoir coercitif légitime.

 

Du droit à l’économie

Le concept d’État limité et d’État de droit au sein du droit naturel dépend fortement de la notion que la protection de l’aptitude des individus et des communautés à faire des choix libres ne peut être fondée sur une notion de liberté détachée de la raison, ou l’idée de liberté simplement pour l’autonomie.

Cette même logique se manifeste dans un domaine auquel les penseurs de droit naturel ont longtemps consacré une attention considérable : le domaine de la propriété et des relations économiques.

Ceci est un extrait (chapitre 3 de The Essential Natural Law) publié pour l’Institut Fraser en 2021

  1. Samuel Gregg est un chercheur affilié à l’Acton Institute, et occupe la position de Distinguished Fellow en économie politique  à l’American Institute for Economic Research. ↩

30 août, 2022

Le salaire minimum contre la productivité

 Par Michael Peterson.

Ce n’est un secret pour personne que les lois sur le salaire minimum réduisent l’emploi des travailleurs peu qualifiés, en particulier pour les jeunes qui cherchent un premier emploi. Les propres projections du Congressional Budget Office (CBO) indiquent des pertes substantielles d’emploi hebdomadaire en cas d’augmentation du salaire minimum national. Des milliers d’études cherchent à déterminer les effets des hausses du salaire minimum sur l’emploi, avec des résultats mitigés.

La plupart des études trouvent toujours des effets négatifs importants sur l’emploi lorsque des lois sur le salaire minimum sont adoptées. Pourtant, après la signature par le président Biden d’une loi sur le salaire minimum fédéral de 15 dollars, et compte tenu de l’inflation incontrôlée provoquée par les dépenses publiques massives pendant et après la pandémie, les appels à de nouvelles hausses de salaires persistent.

Il est donc important d’analyser le salaire minimum sous tous les angles possibles. L’un de ces angles consiste à examiner ce qui arrive à la productivité des travailleurs lorsque des lois sur le salaire minimum sont adoptées.

Pour ce faire, nous examinons souvent ce qui arrive aux travailleurs ayant des niveaux de qualification différents lorsque le salaire minimum est augmenté.

Comme nous l’avons mentionné, les travailleurs peu qualifiés sont les plus touchés par les hausses du salaire minimum, car les entreprises réduisent l’emploi de leurs salariés les moins productifs. En revanche, les travailleurs moyennement qualifiés en bénéficient souvent car ils sont les plus susceptibles de remplacer leurs homologues peu qualifiés, relativement plus chers. Comme les travailleurs hautement qualifiés jouent moins le rôle de substituts, leurs effets sur l’emploi sont plus ambigus.

Une étude de Terry Gregory et Ulrich Zierahn évalue l’impact d’une loi de 1997 sur le salaire minimum en Allemagne sur le secteur de la construction. Ils constatent que les employeurs ont embauché moins de travailleurs hautement qualifiés en raison de la baisse des revenus (baisse de la productivité) des entreprises.

Ils observent également que le flux de travailleurs hautement qualifiés entrant dans l’industrie a diminué de plus de 9 %, ce qui est supérieur à l’augmentation de 0,5 % de la main-d’œuvre moyennement qualifiée. Ce résultat indique des effets dynamiques négligés sur l’offre de main-d’œuvre peu et hautement qualifiée, qui peuvent réduire la productivité à des niveaux encore plus bas.

 

Une autre étude réalisée par Joseph J. Sabia révèle que les lois sur le salaire minimum n’ont aucun effet significatif (positif ou négatif) sur le produit intérieur brut (PIB) des États. Toutefois, dans les industries peu qualifiées comme le commerce de gros et l’industrie manufacturière, il découvre une baisse légère à significative de la productivité par rapport aux industries hautement qualifiées comme la finance ou l’immobilier.

Dans l’ensemble :

« Les résultats de cette étude indiquent peu de gains de productivité globale résultant des augmentations du salaire minimum, et certains éléments indiquent que le PIB des secteurs peu qualifiés par rapport à celui des secteurs très qualifiés peut baisser en réponse aux augmentations du salaire minimum ».

Le choc de productivité est le plus important à court terme, ce qui suggère que les salaires minimums ne peuvent pas stimuler de brusques poussées de croissance de la productivité.

Certaines études observent en effet des augmentations de la productivité chez les travailleurs individuels. Malheureusement, ces études ne portent que sur les effets statiques des hausses du salaire minimum pour un groupe particulier – généralement les travailleurs peu qualifiés. Certains économistes attribuent aux salaires d’efficience la source des gains de productivité consécutifs aux augmentations du salaire minimum. Le salaire d’efficience est l’idée qu’un salaire plus élevé se traduit par un meilleur moral des employés, un taux de rotation plus faible et une meilleure réserve de candidats, ce qui augmente la productivité des travailleurs directement touchés par l’augmentation de salaire.

Les salaires d’efficacité sont également interprétés comme améliorant la productivité des travailleurs, car les travailleurs peu qualifiés craignent la perspective d’un licenciement. Mais toute politique fondée sur la peur d’être licencié donne des résultats malsains à long terme. Dans tous ces cas, les analyses fixent leur regard sur un groupe de travailleurs et négligent les effets dynamiques des lois sur le salaire minimum.

Par exemple, les économistes Jonathan Meer et Jeremy West utilisent un modèle dynamique pour tester les effets du salaire minimum sur la croissance de l’emploi. Ils découvrent que « le salaire minimum réduit l’emploi sur une période plus longue que ce qui a été précédemment examiné dans la littérature. » L’impact négatif du salaire minimum sur l’emploi et la productivité s’amplifie une fois que l’analyse est élargie pour inclure un horizon temporel plus long.

Un article d’Isaac Sorkin énonce diverses méthodes statistiques pour déterminer les effets à long terme du salaire minimum sur les résultats de la croissance de l’emploi. Sorkin montre que lorsque le salaire minimum est permanent – comme lorsque le salaire minimum est indexé sur l’inflation – les effets négatifs sur l’emploi dépassent de loin ceux observés lorsque le salaire minimum est temporaire. Sorkin attribue ces effets au fait que les employeurs entament le processus précoce de substitution du travail au profit du capital, ce qui réduit la croissance de l’emploi pour les moins bien lotis.

Le dernier angle qui reçoit moins d’attention est l’interaction entre les travailleurs peu qualifiés et les travailleurs hautement qualifiés. Dans un article de l’Institute of Labor Economics (IZA), Abdurrahman Aydemir décrit la complémentarité entre les immigrants peu et hautement qualifiés sur la productivité des travailleurs autochtones :

« L’immigration de travailleurs peu qualifiés réduit les revenus des travailleurs peu qualifiés et améliore la productivité des travailleurs hautement qualifiés et du capital dans leur pays d’accueil ».

Il en va de même pour les travailleurs hautement qualifiés.

 

Alex Nowrasteh, directeur des études de politique économique et sociale du Cato Institute, illustre comment les immigrants peuvent accroître la productivité des travailleurs autochtones. Il cite une étude de Giovanni Peri et Mette Foged :

« Les immigrants ont incité les travailleurs danois et les autres Européens nés dans le pays à occuper des postes à forte intensité de communication au sein des entreprises… En conséquence, les salaires danois ont en fait augmenté après 5 ou 6 ans, car les travailleurs danois sont devenus plus productifs. »

Si les avantages mutuels entre les niveaux de compétences relatifs des travailleurs s’appliquent dans le contexte de l’immigration, ils devraient également s’appliquer à la politique nationale en matière de salaire minimum. En d’autres termes, des travailleurs relativement plus qualifiés peuvent devenir moins productifs lorsque des travailleurs peu qualifiés sont licenciés en raison d’une politique de salaire minimum.

Par exemple, imaginez ce qui pourrait arriver à un mécanicien automobile qui doit passer plus de temps à classer des documents ou à fixer des rendez-vous lorsque la réceptionniste devient trop chère pour être maintenue dans la masse salariale. Ou encore, réfléchissez à ce qui pourrait arriver à la propriétaire d’un restaurant qui devra assumer davantage de tâches de service maintenant qu’elle ne peut plus se permettre de payer le préposé à l’accueil ou le cuisinier qui nettoie les tables.

Un marché du travail faussé est mauvais pour la productivité, car il empêche les travailleurs les plus pauvres d’acquérir sur le tas des compétences qui font progresser leur carrière, tout en privant les travailleurs hautement qualifiés de la main-d’œuvre peu qualifiée qui les rend plus efficaces.

La politique du salaire minimum est enveloppée d’un langage noble qui nuit surtout aux personnes qu’elle est censée aider.

Comme Don Boudreaux et le regretté Walter Williams l’ont écrit un jour dans le Wall Street Journal :

« Toutes les bonnes intentions des champions de l’augmentation du salaire minimum ne font rien pour remédier à ces conséquences néfastes… Une politique compatissante exige que nous réfléchissions avec nos cerveaux et non avec nos cœurs sans tact. »

29 août, 2022

Amélioration des résultats en éducation: il faut plus de choix, et non plus de dépenses

 Par Vincent Geloso.

Cette Note économique a été préparée par Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et économiste senior à l’IEDM. La Collection Éducation de l’IEDM vise à explorer dans quelle mesure une plus grande autonomie institutionnelle et la liberté de choix pour les étudiants et les parents permettent d’améliorer la qualité des services d’éducation.

Selon le dernier budget provincial, six écoles du Québec sur dix sont en mauvais état. En réaction à cette triste statistique, le gouvernement a annoncé l’injection de nouveaux fonds pour rectifier la situation(1). Il faut toutefois souligner que des « crises » similaires se sont produites à répétition au cours des dernières décennies : résultats décevants aux épreuves normalisées, faible taux d’obtention d’un diplôme, violence dans les écoles, manque de préparation aux études postsecondaires, etc. Chaque fois, les acteurs de la scène politique appellent à injecter de nouvelles sommes, à réinvestir, à refinancer ou à rehausser le financement. Autrement dit, on cherche toujours à améliorer les résultats scolaires en dépensant plus.

Or, en bonifiant les ressources consacrées à l’éducation, on passe à côté d’un enjeu primordial : la manière dont ces ressources sont utilisées. En fait, le Québec gagnerait énormément à réduire les activités du ministère de l’Éducation (notamment en comprimant le personnel administratif), à réaffecter les fonds destinés aux écoles pour que les choix des parents déterminent où va l’argent des contribuables, et à renforcer l’autonomie des écoles. Ces mesures feraient vraisemblablement baisser les dépenses gouvernementales, en plus d’augmenter les retombées cognitives et non cognitives pour les élèves.

Faible corrélation entre les dépenses et les résultats

Beaucoup d’études empiriques – portant sur des cas passés et contemporains – constatent une faible corrélation entre l’ampleur des sommes injectées et les résultats scolaires(2). Dans le meilleur des cas, on observe une petite corrélation positive, mais seulement quand les sommes dépensées par élève sont majeures(3). Ces maigres avantages engendrés dépendent aussi grandement du type de dépense (par exemple, pour des bâtiments et du personnel au lieu de matériel destiné aux enfants)(4). Dans le pire des cas, l’effet peut même être contre-productif dans certaines circonstances(5). C’est le constat – largement dégagé dans les études états-uniennes et internationales – qui ressort de statistiques du Québec montrant que les résultats aux épreuves de mathématiques du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) semblent stagner (-1,5 %) depuis 2006, alors que les dépenses par élève ont considérablement augmenté (+18 %) (voir la Figure 1).

Ce constat cadre avec la théorie économique standard, selon laquelle ce n’est pas seulement la quantité d’argent injecté dans la prestation d’un bien ou d’un service qui compte : le mode de prestation est tout aussi important, voire plus. La structure organisationnelle du système joue donc un rôle déterminant. Par ailleurs, comme le montre clairement la littérature, les systèmes qui décentralisent la gestion à l’échelle locale, offrent des choix et des portes de sortie aux parents, et créent des mécanismes locaux de prise de parole (comme la participation à des associations scolaires) gagnent en efficacité, quel que soit le montant dépensé(6). En général, ces systèmes prévoient que l’État ne s’occupe pas de la prestation du service et se concentre uniquement sur le financement, lequel est orienté par les choix des parents.

Il y a trois raisons principales qui expliquent ces résultats. Premièrement, les caractéristiques socioéconomiques des enfants varient énormément, même à l’échelle locale. En règle générale, les politiques « taille unique » ont tendance à produire des résultats décevants chez des groupes si hétérogènes. En contrepartie, davantage de décentralisation et d’autonomie pour les écoles laisse place à la personnalisation, ce qui permet aux établissements scolaires d’organiser les ressources reçues de manière à en maximiser l’efficacité en fonction des groupes servis. Deuxièmement, les parents jouent généralement un rôle plus important dans les systèmes décentralisés, ce qui crée une boucle de rétroaction positive entre les administrateurs des écoles et la population locale et contribue à améliorer la personnalisation. Troisièmement, quand l’affectation du financement repose sur les choix des parents, ces derniers ont une porte de sortie qui, par ricochet, incite fortement les écoles à faire une personnalisation de grande qualité.

Autrement dit, il est possible de réduire les dépenses en éducation tout en améliorant les résultats par une révision de la structure du système. La littérature états-unienne sur le rapport coût-efficacité des écoles à charte en fournit un bon exemple empirique. Même si les écoles à charte des États-Unis sont financées par l’État, elles bénéficient d’une plus grande autonomie que les écoles publiques traditionnelles, à condition de respecter certains critères de rendement. Une étude récente qui compare le rapport coût-efficacité dans sept grandes villes américaines a révélé que chaque tranche de 1000 $ de dépenses publiques engendrait une hausse des résultats scolaires de 4,5 % à 92,0 % plus élevée dans les écoles à charte que dans les écoles publiques traditionnelles (voir la Figure 2). Cet écart, aussi observé dans de nombreux articles revus par des pairs(7), est attribuable à la flexibilité que procure une autonomie accrue, qui permet d’adapter les méthodes à la population locale.

Retombées cognitives et non cognitives

Cette personnalisation procure des avantages plutôt substantiels, qui vont au-delà d’un simple rapport coût-efficacité. On peut les répartir en deux catégories : les retombées cognitives (soit les résultats aux épreuves) et non cognitives.

En ce qui concerne les retombées cognitives, la littérature est assez solide, reposant sur des essais contrôlés randomisés (ECR). Les ECR ont l’assentiment des économistes, parce qu’ils recréent des conditions expérimentales permettant d’évaluer directement la causalité d’un traitement donné – en l’occurrence, l’instauration des choix pour les parents et de l’autonomie des écoles. Ici, le terme « randomisé » signifie que les parents ont la possibilité de choisir l’école s’ils participent à un système de loterie qui permet à certains d’entre eux d’envoyer leurs enfants dans une autre école publique ou de recevoir des bons d’études. Comme la loterie est aléatoire, nous pouvons comparer l’incidence sur les enfants sélectionnés ou non et ainsi formuler des affirmations sur l’incidence des choix des parents et de l’autonomie des écoles.

La majorité des ECR portant sur l’augmentation des choix des parents établissent clairement une corrélation positive avec les retombées cognitives. En effet, 10 des 17 ECR ont révélé des améliorations statistiquement significatives des résultats en mathématiques et en lecture, 4 n’ont montré aucune incidence, 1 a révélé des effets mitigés et 2, des répercussions négatives(8). De plus, les deux études ayant montré des répercussions négatives portaient sur des cas où la hausse de l’autonomie des écoles et des choix des parents était faible comparativement à d’autres cas étudiés dans la littérature(9). Il est donc très clair qu’une hausse importante des choix des parents et de l’autonomie des écoles améliore généralement le rendement.

Pourtant, les retombées cognitives ne représentent pas la part du lion dans les avantages qu’apportent les choix des parents et l’autonomie des écoles. Pour les parents, l’éducation ne se résume pas aux résultats à des épreuves normalisées testant les capacités en lecture et en mathématiques. Ils se soucient également de l’environnement social où leurs enfants seront éduqués et du bien-être mental qu’il leur procurera. Quand les aspects de santé mentale sont un critère important pour eux dans l’environnement d’éducation, les parents seront mieux à même de trouver un service adapté s’ils ont un plus grand choix d’écoles. Et en effet, la littérature constate une forte corrélation entre l’étendue des choix offerts aux parents en matière d’éducation et l’amélioration de la santé mentale des élèves.

Une étude récente compare la santé mentale des élèves avant et après l’instauration de la possibilité de choisir l’école dans certains États américains et dans les États qui ne donnent pas ce choix aux parents(10). Cette méthodologie, largement répandue dans le domaine des analyses économiques, donne l’occasion aux chercheurs de pondérer les causes des effets constatés(11). Chez les adolescents de 15 à 19 ans, les auteurs ont observé une baisse de 10 % du taux de suicide après l’instauration de la possibilité de choisir l’école(12).

Lorsqu’ils ont intégré à leur analyse d’autres données, comme le pourcentage d’enfants signalant des problèmes de santé mentale (par exemple, anorexie ou boulimie), ils ont constaté des retombées similaires. La probabilité que l’enfant ait des problèmes affectifs diminuait de 1,9 à 2,9 points de pourcentage(13), une amélioration considérable étant donné que 3 % des membres du groupe étudié signalaient ce genre de problèmes(14). Ce constat important vient étayer des études passées, moins solides, qui établissaient un lien entre la possibilité de choisir l’école et la santé mentale(15). Selon les auteurs, les retombées positives découleraient de la meilleure sensibilisation des écoles aux enjeux que sont l’intimidation, les activités parascolaires et l’engagement civique. Elles adaptent donc leurs services aux besoins de la population locale et créent une culture scolaire plus positive.

Alors que la plupart des gens applaudissent les avantages des améliorations cognitives – dont les implications sont évidentes –, il est plus difficile de saisir les retombées des améliorations non cognitives. Cependant, cela ne signifie pas qu’elles ont peu de valeur. En fait, leur importance est probablement équivalente à celle du développement cognitif, car on sait que la santé mentale au début de l’adolescence est un bon indicateur des capacités au travail et du revenu plus tard dans la vie(16).

Le problème de l’intimidation est probablement ce qui illustre le mieux l’importance de ces retombées. Quand une personne est victime d’intimidation entre l’âge de 13 et 16 ans, ses réalisations scolaires et ses revenus sont nettement moindres une fois rendue à 25 ans(17). Comme la possibilité de choisir l’école semble inciter les établissements scolaires à s’attaquer à l’intimidation, les retombées de ce type de politique ne pourront s’observer qu’après un certain temps, mais elles seront néanmoins considérables à long terme.

Conclusion

Tous en conviendront : il est important d’améliorer les retombées cognitives et non cognitives pour les enfants, et les politiques éducatives jouent un rôle crucial à cet égard. Néanmoins, il serait illusoire de penser que c’est uniquement par l’augmentation des dépenses gouvernementales en éducation que l’on obtiendra ces améliorations, car la manière dont l’argent est utilisé a plus d’importance que le montant dépensé. L’essentiel de la littérature empirique dans le domaine de l’économie de l’enseignement indiquent que les politiques augmentant les choix des parents et l’autonomie des écoles ouvrent la voie à une meilleure utilisation des fonds. La seule question qui demeure est de savoir comment adapter les principes du choix de l’école et de l’autonomie des établissements scolaires à la situation particulière du Québec, dans l’intérêt des parents et des élèves de la province.

Références

  1. Marie-Eve Morasse, « L’état des écoles se détériore », La Presse, 22 mars 2022.
  2. Eric A. Hanushek, « The Failure of Input-based Schooling Policies », The Economic Journal, vol. 113, no 485, février 2003, p. F64-F98; Eric A. Hanushek, « Assessing the Effects of School Resources on Student Performance: An Update », Educational Evaluation and Policy Analysis, vol. 19, no 2, juin 1997, p. 141-164; Eric A. Hanushek, « The Impact of Differential Expenditures on School Performance », Educational Researcher, vol. 18, no 4, mai 1989, p. 45-62; Eric A. Hanushek, Making Schools Work: Improving Performance and Controlling Costs, The Brookings Institution, 1994; E. G. West, Education and the Industrial Revolution, Liberty Fund, 1975; E. G. West, Education & The State: A Study in Political Economy, Liberty Fund, 1994.
  3. C. Kirabo Jackson et Claire Mackevicius, The Distribution of School Spending Impacts, document no w28517, National Bureau of Economic Research, juillet 2021.
  4. E. Jason Baron, « School Spending and Student Outcomes: Evidence from Revenue Limit Elections in Wisconsin », American Economic Journal: Economic Policy, vol. 14, no 1, février 2022, p. 1-39.
  5. Desire Kedagni et al., « Does class size matter? How, and at what cost? », European Economic Review, vol. 133, avril 2021, p. 19; Eric A. Hanushek, « Education production functions », The Economics of Education, 2020, p. 161-170.
  6. Laura López-Torres et al., « The effects of competition and collaboration on efficiency in the UK independent school sector », Economic Modelling, vol. 96, mars 2021, p. 40-53; Luis Gonzalez et Brandon C. Koford, « Impact of Parental Resources on Student Outcomes Using Elementary School Data », International Advances in Economic Research, vol. 25, no 4, décembre 2019, p. 417-427; Levon Barseghyan, Damon Clark et Stephen Coate, « Peer Preferences, School Competition, and the Effects of Public School Choice », American Economic Journal: Economic Policy, vol. 11, no 4, novembre 2019, p. 124-158; Eric A. Hanushek et Steven G. Rivkin, Does Public School Competition Affect Teacher Quality?, National Bureau of Economic Research, 2003, p. 23-48; Steve Bradley, Geraint Johnes et Jim Millington, « The effect of competition on the efficiency of secondary schools in England », European Journal of Operational Research, vol. 135, no 3, décembre 2001, p. 545-568; Patrick J. Wolf et Michael McShane, « Is the Juice Worth the Squeeze? A Benefit/Cost Analysis of the District of Columbia Opportunity Scholarship Program », Education Finance and Policy, vol. 8, no 1, janvier 2013, p. 74-99; Daniel L. Millimet et Trevor Collier, « Efficiency in public schools: Does competition matter? », Journal of Econometrics, vol. 145, nos 1-2, mai 2008, p. 134-157.
  7. Corey A. DeAngelis, « The Cost-Effectiveness of Public and Private Schools of Choice in Wisconsin », Journal of School Choice, vol. 15, no 2, 2021, p. 225-247; Martin F. Lueken, « The fiscal effects of tax-credit scholarship programs in the United States », Journal of School Choice, vol. 12, no 2, avril 2018, p. 181-215; Patrick J. Wolf et Michael McShane, op. cit., note 6; Michael R. Ford et Fredrik O. Andersson, « Determinants of organizational performance in a reinventing government setting: evidence from the Milwaukee school voucher programme », Public Management Review, vol. 19, no 10, mars 2017, p. 1519-1537.
  8. Andrew D. Catt et al., The 123s of School Choice: What the Research Says about Private School Choice Programs in America, EdChoice, avril 2021, p. 12; voir aussi Corey A. DeAngelis et Heidi Holmes Erickson, « What Leads to Successful School Choice Programs? A Review of the Theories and Evidence », Cato Journal, vol. 38, no 1, décembre 2018, p. 247-263.
  9. Yuije Sude, Corey A. DeAngelis et Patrick J. Wolf, « Supplying Choice: An Analysis of School Participation Decisions in Voucher Programs in Washington, DC, Indiana, and Louisiana », Journal of School Choice, vol. 12, no 1, 2018, p. 8-33; Corey A. DeAngelis, Lindsey M. Burke et Patrick J. Wolf, « The Effects of Regulations on Private School Choice Program Participation: Experimental Evidence from Florida », Social Science Quarterly, vol. 100, no 6, juillet 2019, p. 2316-2336.
  10. Corey A. DeAngelis et Angela K. Dills, « The effects of school choice on mental health », School Effectiveness and School Improvement, vol. 32, no 2, décembre 2020, p. 326-344.
  11. Michael A. Bailey, Real Econometrics: The Right Tools to Answer Important Questions, Oxford, Oxford University Press, 2017; Joshua Angrist et Jörn-Steffen Pischke, Mostly Harmless Econometrics: An Empiricist’s Companion, Princeton (New Jersey), Princeton University Press, 2009, p. 221-247.
  12. Corey A. DeAngelis et Angela K. Dills, op. cit., note 10, p. 334.
  13. Ibid., p. 339.
  14. Ibid., p. 336.
  15. Corey A. DeAngelis et Martin F. Lueken, « School Sector and Climate: An Analysis of K–12 Safety Policies and School Climates in Indiana », Social Science Quarterly, vol. 101, no 1, octobre 2019, p. 376-405; Corey A. DeAngelis, « Does Private Schooling Affect Noncognitive Skills? International Evidence Based on Test and Survey Effort on PISA », Social Science Quarterly, vol. 100, no 6, juillet 2019, p. 2256-2276; Jude Schwalbach et Corey A. DeAngelis, « School sector and school safety: a review of the evidence », Educational Review, vol. 74, no 4, septembre 2020, p. 1-17.
  16. Jessica Kansky, Joseph Allen et Ed Diener, « Early Adolescent Affect Predicts Later Life Outcomes », Applied Psychology: Health and Well-Being, vol. 8, no 2, avril 2016, p. 192-212; David Fergusson, Joseph Boden et John Horwood, « Recurrence of major depression in adolescence and early adulthood, and later mental health, educational and economic outcomes », The British Journal of Psychiatry, vol. 191, no 4, octobre 2007, p. 335-342; Alissa Goodman, Robert Joyce et James Smith, « The long shadow cast by childhood physical and mental problems on adult life », Proceedings of the National Academy of Science, vol. 108, no 15, mars 2011, p. 6032-6037.
  17. Emma Gorman et al., The Causal Effects of Adolescent School Bullying Victimisation on Later-Life Outcomes, Bonn (Allemagne), IZA Institute of Labor Economics, mai 2019, p. 41.

28 août, 2022

La pauvreté, l’État de droit et l’épanouissement humain

 Par Samuel Gregg.

Si l’on veut être cohérent dans notre lutte contre la pauvreté, nos préoccupations ne peuvent pas être enracinées dans des récits émotionnels ou relativistes sur ce que sont les êtres humains. Elles doivent être fondées sur la reconnaissance de la liberté, de la rationalité et de la dignité de chaque personne.

En 2012, le financier George Soros et Fazle Hasan Abed, qui est à la tête de l’une des plus importantes ONG anti-pauvreté, remarquaient dans le Financial Times que malgré la Grande Récession, le nombre de ménages qui vivaient dans un état de pauvreté extrême avait chuté dans toutes les régions du monde pour la première fois depuis que l’on avait commencé à maintenir une base de données. On parle peu de ce sujet aujourd’hui — ainsi que de plusieurs autres concernant la baisse mesurable de la pauvreté et des inégalités économiques lorsque davantage de gens participent aux marchés mondiaux. Ces tendances ne conviennent pas au récit populiste qui parfois obscurcit la discussion sur le sujet.

Mais Soros et Abed ont ajouté que le processus de sortie de la pauvreté était fragilisé par l’absence d’État de droit dans de nombreux pays en voie de développement. La pauvreté, déclaraient-ils, ne sera vaincue que lorsque la loi s’appliquera à tous. Si c’est vrai, des pays comme la Chine et l’Inde, qui ont sorti de la pauvreté des centaines de millions de personnes ces dernières dizaines d’années, mais qui sont aussi des pays au classement faible quand on considère les règles des différents aspects de l’État de droit, sont ainsi toujours confrontés à des défis importants.

Le contexte plus large de cette attention croissante à l’importance de l’État de droit dans la réduction de la pauvreté est une prise de conscience qu’élargir l’accès aux bénéfices de la croissance économique et maintenir la prospérité dépendent moins de la redistribution de richesse que du contexte constitutionnel du pays.

Pour illustrer cette position, intéressons-nous aux trajectoires économiques respectives de l’Australie et de l’Argentine au XXe siècle.

 

Institutions, pauvreté et valeurs

En 1900, l’Australie et l’Argentine — deux pays avec des structures politiques et légales stables, de taille similaires, avec une population en majorité européenne, pays riches en ressources naturelles, et bénéficiant d’influx larges de capitaux étrangers — étaient classés parmi les dix pays les plus riches du monde en revenu par habitant.

Aujourd’hui l’un de ces deux pays est toujours prospère et stable, politiquement et juridiquement, et classé troisième pays le plus libre du monde d’après l’indice de liberté économique (Index of Economic Freedom) de 2014. Par contre, l’autre pays est synonyme de dégénération économique, corporatisme, populisme et corruption. Comme l‘écrit le prix Nobel d’économie Douglass North, l’Argentine incarne aujourd’hui une évolution chaotique, des institutions démocratiques fragiles avec des fondations de droits civiques et d’échanges personnels aléatoires, et des marchés monopolistiques. En bref, contrairement à l’Australie, le cadre institutionnel de l’Argentine est mal en point. Ce n’est pas par hasard si ce pays se situe très bas sur l’Index of Economic Freedom en ce qui concerne l’index de primauté du droit : 159ème sur 178 pays.

Les cheminement institutionnels de l’Australie et celui de l’Argentine n’avaient rien d’inévitable. À un moment donné, leurs dirigeants politiques—et leurs électorats—firent des choix. Cependant, davantage de travail est nécessaire pour comprendre la façon dont les choix de valeurs ont un effet sur les institutions qui émergent, sur la façon dont elles fonctionnent et leur impact sur des problèmes comme la pauvreté. Certaines écoles de pensée économique comme la nouvelle économie institutionnelle et l’économie constitutionnelle, ont fait des progrès considérables dans ce domaine. En s’inspirant de penseurs comme Max Weber et de travaux comme le livre de Alan MacFarlane Les origines de l’individualisme anglais : la famille, la propriété et la transition sociale, les universitaires dans ces domaines ont prouvé combien ces croyances ont leur propre pertinence dans la vie économique.

Dans les sciences sociales comme l’économie, l’influence continue du positivisme encourage la tendance à considérer les valeurs comme non pertinentes, terriblement subjectives et difficiles à mesurer (ce qui, pour certaines personnes, signifie qu’elles n’existent pas). Par conséquent, faire valoir que les valeurs sont importantes sur le plan économique suppose toujours de remettre en question des positions encore dominantes. Mais si l’établissement de protocoles solides de primauté du droit est essentiel à la réduction à long terme de la pauvreté, ce lien peut illustrer comment un engagement généralisé à l’égard de biens moraux particuliers contribue à promouvoir et à soutenir une institution qui contribue à réduire la pauvreté.

 

Capital moral et État de droit

Les philosophes du droit n’ont jamais été d’accord sur la quantité de capital moral investie dans l’idée de l’État de droit.

Par exemple, dans les années 1960, dans La moralité du droit Lon Fuller, de Harvard, disait que les desiderata qu’il a associés avec l’État de droit, — c’est-à-dire que les règles :  sont prospectives et non rétroactives ; sont promulguées et claires et cohérentes les unes par rapport aux autres ; ne sont pas impossibles à respecter ; sont suffisamment générales et stables au fil du temps pour que les gens puissent être guidés par la connaissance de leur contenu ; il existe une concordance entre les règles déclarées et l’action officielle — reflétaient une sorte de moralité intérieure et faisaient qu’il était plus difficile pour les tyrans de parvenir à leurs fins.

La position de Fuller a été critiquée, entre autres, par Herbert Hart d’Oxford. Il a maintenu que de tels processus, aussi utiles soient-ils, n’avaient pas vraiment empêché des régimes injustes comme l’Allemagne nationale-socialiste de poursuivre des fins diaboliques.

La réponse de Fuller fut d’insister sur le fait qu’aucune tyrannie ne s’était jamais développée en présence d’un État de droit vraiment solide. Nous pourrions ajouter à cela l’observation de Platon dans son Politicus : si une société perçoit largement l’État de droit comme souhaitable (comme cela peut bien se produire dans certains pays en voie de développement qui vivent sous des régimes injustes, comme la Chine communiste), le régime choisit souvent de faire davantage attention au cadre juridique officiel.

Le fait qu’un État de droit fort se trouve généralement en corrélation avec une plus grande prospérité matérielle pour tous semble indéniable. Ces conditions sont plus propices pour attirer, par exemple, des investissements étrangers en comparaison d’environnements dans lesquels règne une incertitude importante quant au sens et à l’applicabilité des règles juridiques.

Mais si le seul fondement moral pour l’État de droit est son potentiel d’enrichissement financier, il pourrait théoriquement être annulé par les gouvernements qui insistent sur le fait que des arrangements différents faciliteraient un développement économique plus rapide. Ce n’est pas un scénario aussi improbable que certains l’imaginent. De nombreux régimes communistes du XXe siècle et des philosophes juridiques marxistes comme Evgeny Paschukanis se sont moqués de l’État de droit comme d’un « dispositif bourgeois » conçu pour maintenir le prolétariat à sa place. Ils proposent comme autres choix des systèmes légaux bâtis sur la « justice socialiste » : une structure qui a pour objet de créer de meilleurs conditions économiques pour ceux qui sont dans le besoin, et qui a légitimé le fait d’infliger de graves injustices systématiques à des millions de personnes.

 

Quel est le fondement de l’État de droit? Liberté et raison

Quels pourraient alors être les fondements moraux plus profonds de l’État de droit qui soutiennent, mais vont au-delà des avantages de la croissance économique ?

Deux semblent particulièrement pertinents.

Adam Smith a observé il y a longtemps que le bien-être économique d’un « paysan laborieux et rangé » en Europe occidentale au XVIIIe siècle était probablement inférieur à celui d’un « prince d’Europe », mais qu’il dépasserait certainement « ceux de tel roi d’Afrique qui règne sur dix mille sauvages nus, et qui dispose en maître absolu de leur liberté et de leur vie ».

Mais Smith ne fait pas seulement allusion aux différences matérielles. Le paysan européen de Smith n’est pas simplement plus riche que le potentat africain et ses sujets. Il est aussi un homme libre, en partie grâce à l’État de droit. Contrairement à ceux qui se trouvent sous le joug du roi africain, l’État ne peut pas faire ce qu’il veut de lui. Ainsi l’État de droit est enraciné dans la liberté qu’il accorde à chaque personne par l’égalité véritable qu’elle accorde à tous devant la loi. Ce n’est pas par hasard que Smith a présenté ces arguments à l’époque où des cas juridiques importants en Écosse (Knight c. Wedderburn, 1778) et en Angleterre (Somerset c. Stewart, 1772) avaient officiellement éliminé l’esclavage dans les îles britanniques (mais pas l’Empire) et avaient renforcé l’égalité devant la loi.

Un deuxième principe sur lequel l’État de droit est fondé devient évident lorsque nous nous rendons compte que toutes les conditions de Fuller soulignent un engagement à ce qui n’est pas arbitraire : qu’il existe des façons raisonnables et donc justes d’agir. Il n’est pas raisonnable, par exemple, d’adopter des lois auxquelles personne ne peut se conformer. En résumé, un bien dont la primauté du droit tire sa cohérence intérieure est la raison elle-même — et non pas la raison instrumentale qui nous est utile dans les sciences empiriques et sociales. C’est plutôt le genre de raison qui nous permet de dire que ce chef d’État agit injustement lorsqu’il agit « de façon extraconstitutionnelle » alors que ce juge agit raisonnablement, parce qu’il se récuse d’un procès lorsqu’il semble avoir un conflit d’intérêts.

 

Des économies et des lois dignes de l’homme

On trouve une autre révélation essentielle au cœur de la dépendance de l’État de droit de biens tels que la liberté et la raison : nous nous attendons à ce que les rouages internes de la loi soient étayés par la raison et facilitent la liberté humaine parce que nous pensons qu’il existe quelque chose de distinct chez tous les êtres humains qui les rend dignes (dignus) d’un tel traitement. Cela devrait nous rappeler aussi pourquoi nous voulons que le plus grand nombre de gens puissent échapper à la pauvreté attire notre sympathie.

Ce ne devrait pas être simplement parce que nous ne voulons pas que les gens souffrent. Bien que cela soit important, notre engagement dans la lutte contre la pauvreté devrait également refléter la conviction que les êtres humains sont libres, qu’ils ont une raison et qu’ils sont donc capables de prospérer, y compris dans l’économie. L’État de droit et la prospérité économique ne vont pas résoudre tous les problèmes sociaux. Mais de même qu’un engagement en faveur de l’État de droit dans le sens énoncé par Fuller reflète un investissement moral dans des systèmes juridiques qui « satisfont » la vérité que les humains sont des personnes rationnelles et libres, ainsi tout effort visant à réduire la pauvreté matérielle devrait découler de cette même vérité.

C’est là le message pour tous ceux qui s’inquiètent de la pauvreté. Si nous voulons être cohérents dans la lutte contre la pauvreté, plutôt que de simples bienfaiteurs sentimentaux, nos préoccupations ne peuvent pas être enracinées dans des récits émotifs et relativistes de ce que sont les êtres humains. Si les gens deviennent soumis à des règles arbitraires ou à une pauvreté matérielle accablante, cela devrait être considéré comme un affront à leur raison et à leur liberté et, par conséquent, comme une atteinte à leur dignité. Cette même dignité guide également la manière dont nous cherchons à achever les conditions qui offrent une certitude économique minimale, tout en préservant l’espace dont les gens ont besoin pour utiliser leur raison et leur liberté pour prospérer dans l’économie.

Cela devrait suffire à convaincre toute personne se préoccupant de la pauvreté de ne pas se concentrer de façon presque exclusive sur la redistribution mais plutôt de se rendre compte que, comme l’a dit l’économiste Julian Simon, l’homme est en effet la plus grande ressource de l’homme. Car c’est vrai non seulement sur le plan économique, mais aussi en ce qui concerne la capacité unique de l’humanité à connaître les biens moraux plus profonds sur lesquels comptent nos institutions les plus efficaces pour réduire la pauvreté.