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Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

09 septembre, 2007

L'immobilisme en éducation

Dans son billet, Pierre Légaré explique que rien n’a changé dans le système d’éducation depuis trente ans. L’immobilisme n’est pas limité à l’économie. C’est une déficience qui affecte tous les domaines de la vie en société.

L’immobilisme dans les services publics est la conséquence de l’interventionnisme de l’état. Les bureaucrates du ministère, secondé par le syndicat, gèrent dans les plus menus détails le système scolaire. Donc, les directeurs d’écoles, les parents, les professeurs et les élèves n’ont aucune raison de se responsabiliser.

Les couilles décrocheuses
Pierre Légaré, Le dimanche 09 sept 2007, Collaboration spéciale, La Presse

C’était il y a 30 ans. Le ministère de l’Éducation avait décidé que, à 13 ans, un élève devait passer au secondaire, quel que soit son niveau scolaire. Bonne décision, certains mesuraient six pieds et avaient de la barbe.

Dans les écoles secondaires censées les accueillir, il fallait tout organiser : comment on les regroupe, combien par groupe, qu’est-ce qu’on leur met dans les mains, qui va leur enseigner et leur enseigner quoi, que vise-t-on pour eux : la récupération de leur retard étalée sur deux ou trois ans puis une réintégration au cours régulier ou on les occupe jusqu’à ce qu’ils décrochent à 16 ans. Un beau défi organisationnel, une belle job, la mienne à l’époque.


Première constatation, ces enfants étaient tous d’intelligence normale. L’aspect verbal de leur intelligence, ce qui est relié au langage, à la pensée formelle, à la stimulation culturelle était d’un score légèrement plus faible, mais le potentiel, lui, normal ou supérieur. C’était prévisible. Ils provenaient généralement d’un milieu familial moins stimulant, souvent désuni, peu encadrant, une télé mais pas de livres. Le plus frappant : on y dénombrait six fois plus de gars que de filles. Quelle que soit l’école élémentaire, le quartier, le village ou la ville d’où ils provenaient : six fois plus de gars que de filles. À croire que la cause de leurs retards d’apprentissage était dans les couilles.

Elle était ailleurs, à la fois multiple et unique. En plus du père absent de la maison, les enseignants masculins étaient rares dans les écoles élémentaires d’où ils provenaient. À leur arrivée au secondaire, ils étaient complètement perdus devant leurs huit ou même 10 profs qui, eux-mêmes ne parvenaient, parmi leur 135 élèves, à se rappeler leur visage qu’en novembre, leur nom qu’en janvier.

Absent aussi depuis leur entrée à la maternelle, le trip des gars : le sport d’équipe.

Au secondaire, la récré était de 10 minutes le matin, zéro l’après-midi. Ces gars retournaient dans leur chez-eux, vide, à 15 h, les autobus jaunes décidant de l’horaire des écoles et les autobus jaunes ayant décidé que l’après-midi, on ramène le secondaire avant l’élémentaire.

Problèmes de gars

On avait des problèmes de gars à régler.

À partir de 7 ou 8 ans, un enfant se socialise. Les filles le font en échangeant, en partageant, en parlant. Pas les gars. Les gars le font en « faisant de quoi » ensemble : en compétitionnant, en intégrant des règles, en se tiraillant, en se dépassant, en échangeant un ballon, en visant un objectif commun, en développant un sentiment d’appartenance à un groupe. Tiens, justement comme dans le sport d’équipe.

Un gars a besoin d’un modèle, d’un mentor, d’un héros auquel s’identifier. Huit ou 10 qu’il doit partager avec 135 autres, ça ne marche pas. Si on ne comblait pas ces besoins, vitaux pour qu’il accroche, on savait qu’il risquait de les combler autrement, par exemple dans un gang, avec des règles et des objectifs communs, un sentiment d’appartenance identitaire sacré, qu’il y trouverait son héros.

Un gars a besoin que ce modèle soit un gars, que ce soit son père, un coach, un prof ou le boss du dépanneur pour lequel il est livreur la fin de semaine.

On ne pouvait rien faire rapidement pour combler le manque de profs masculins à l’élémentaire, mais on pouvait réduire le nombre de profs intervenant auprès de ces gars atterrissant au secondaire, perdus, et nous assurer qu’il s’y trouvent des héros. On pouvait aussi profiter, trois après-midi par semaine, du « deuxième transport » de 16 h 30, pour leur faire faire du sport d’équipe, avec et contre les élèves du cours régulier où, pour la première fois de leur vie, ils étaient les meilleurs. Ça goûte bon et ça rend bon.

Pas juste avec ça, mais entre autres avec ça, on en a raccroché une majorité.Je vous en parle aujourd’hui parce que, dans notre société, les étapes, les codes, les rites par lesquels les gars doivent passer pour devenir des hommes ont presque entièrement disparu. Aussi parce que, en psychologie, ce qui est curatif est souvent, réciproquement, préventif. Aussi parce que je me demandais si les pères sont encore souvent absents de la maison, les profs masculins encore rares à l’élémentaire, les profs du secondaire encore incapables de se rappeler le nom de leurs 135 élèves avant janvier, les récrés au secondaire encore de 10 minutes le matin et zéro l’après-midi, si les autobus jaunes continuent de ramener le secondaire à la maison avant l’élémentaire et s’il y a encore six gars pour une fille, tous d’intelligence normale, qui pensent à s’offrir un décrochage pour leur 16e anniversaire. Parce que tout ça, c’était quand même il y a 30 ans.

Aussi parce que j’ai, par hasard, croisé un ancien collègue encore actif dans le domaine. Ça n’a pas changé, m’a-t-il dit.

C’était la semaine passée.

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