Chaque Québécois doit plus de 34 000 $ au provincial seulement

Vaut mieux en rire!

Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

03 septembre, 2007

Le système

Pierre Foglia, avec raison, attribue au « système » l’incompétence des enseignants en français. Mais, c’est quoi le « système »? Le « système » c’est le ministre de l’éducation, les bureaucrates du ministère et le syndicat des enseignants. Ces trois « pouvoirs » sont plus intéressés à préserver et à croître leur influence respective qu’à satisfaire les besoins des enfants, des enseignants et des parents.

Pour améliorer l’enseignement il faut « casser » le « système ». Il suffirait d’instituer un régime compétitif entre les écoles. Dans ce nouvel environnement le rôle du ministère serait limité à définir les normes de performances et à voir à leur application.

La maman de Marius
Pierre Foglia
La Presse, Samedi le 1 septembre 2007

Une petite école primaire, en banlieue, le jour de la rentrée. Pour l'occasion, les parents ont été invités à passer la première heure en classe avec leurs enfants. L'institutrice, toute jeune, souhaite la bienvenue aux enfants et leur sert le laïus que toutes les institutrices de la province doivent servir aux enfants le jour de la rentrée.

Au fond de la classe, la maman de Marius prête plus ou moins attention quand, tout à coup, elle se raidit. La maîtresse vient de dire:


Il faut que vous faisiez...

Pardon? Que vous fassiez, madame l'institutrice, c'est le subjonctif. Bien sûr, la maman de Marius a corrigé mentalement, silencieusement. Mais elle a maintenant les oreilles bien ouvertes et c'est ni plus ni moins l'horreur qui tombe dedans. La maîtresse vient de dire:

Posez-vous pas la question de qu'est-ce qu'il faut faire.

Holà! Une heure plus tard, la maîtresse a répété au moins trois fois si j'aurais, pas une seule fois elle n'a employé une négation au complet, omettant systématiquement le «ne», gênez-vous pas, parlez pas, levez-vous pas...

Et puis il y a eu le clou de la matinée. La maîtresse est passée à un jeu. Elle a demandé aux enfants: est-ce que quelqu'un peut me citer des noms d'insectes? Un petit garçon a levé la main:

Un escargot, madame.

Bravo, bien trouvé, a dit la maîtresse. Quelqu'un d'autre pour me donner d'autres noms d'insectes?

Marius s'est retourné, il cherchait sa maman des yeux. Il sait, lui, parce que son papa le lui a appris, qu'un insecte a toujours six pattes. Quand une bestiole a plus que six pattes ou pas du tout de pattes, alors ce n'est pas un insecte.

Dans la cour de l'école, la maman de Marius, abasourdie, s'ouvre aux autres parents: cela ne vous inquiète pas, ces il faut que vous faisiez? Ces si j'aurais? Cela ne vous dérange pas que l'escargot soit un insecte?

Non, cela n'inquiétait pas outre mesure les autres parents. Bof, madame, ne prenez pas cela tant à coeur, ce n'est pas si important. Un autre: on ne peut rien y faire, se plaindre serait placer nos enfants dans une situation délicate. Et comme la maman de Marius, bien que Québécoise, a un accent un peu pointu, elle s'est fait dire aussi: vous savez, madame, c'est notre façon de parler à nous, ici. Ce qui a achevé de l'enrager.

Je suis québécoise et je ne dis pas si j'aurais. Mon père, plombier/électricien, savait qu'un escargot n'est pas un insecte. Ma mère ne disait pas il faut que vous faisiez et, à ma petite école, au lieu de dire «Posez-vous pas la question de qu'est-ce qu'il faut faire», mon institutrice disait: Ne vous demandez pas ce qu'il faut faire. Elle parlait simplement et correctement et n'en était pas moins québécoise.

La maman de Marius a passé quelques jours à se demander si elle irait trouver le directeur. Si j'y vais, je vais passer pour une emmerdeuse. Si je n'y vais pas, je cautionne une aberration. Finalement, elle y est allée. Le directeur l'a écoutée poliment et, à la fin, il a eu ce commentaire:

Vous pourriez facilement trouver pire, madame!

C'est tout ce que vous trouvez à me dire? a demandé la maman de Marius. Très bien, lorsque la maîtresse reprochera à mon fils d'avoir mal travaillé, je vais lui conseiller de répondre: Vous pourriez facilement trouver pire, madame.

Le directeur a dit aussi: Vous savez, cette enseignante est une excellente pédagogue. La maman de Marius est sortie avant d'exploser. Si elle ne s'était pas retenue, ce qu'elle aurait crié au directeur aurait pu ressembler à ceci: que voulez-vous que ça me foute que ce soit une excellente pédagogue? Sa pédagogie en fait seulement une conne plus redoutable, en cela que la pédagogie la rend seulement plus efficace à transmettre que l'escargot est un foutu insecte.

Je ne sais pas quoi faire, vient de me dire la maman de Marius, aussi désemparée que fâchée. Ce n'est pas à une exception que je me bute, mais à un système. Pourquoi les parents cautionnent-ils ce système? La solution serait-elle: tous à Stanislas? J'en ai deux, ça ferait pas loin de 10 000$ par année, je n'ai pas les moyens.

Attendez, je lui ai dit, ça va peut-être s'arranger...

Attendre quoi? Que Marius rate l'examen de français qu'il faut passer pour entrer à l'université?

Je me suis mis à rire. C'est encore loin et cela n'arrivera pas, c'est sûr!

Pourquoi?

Parce que faut vraiment être très, très nul pour rater ce truc-là. Pensez à la prof de Marius, qui l'a réussi avec ses si j'aurais et ses je voudrais que vous faisiez.

N'empêche que la maman de Marius a raison. Le problème n'est pas l'institutrice de Marius, mais le système dont elle est issue. Savez-vous combien de cours de grammaire pure reçoivent, durant leur formation, les étudiants qui vont avoir à enseigner le français au secondaire? Deux. Tous les deux dans la première des quatre années du bac. Après ça, débarrassés de cette niaiserie, mon vieux, ils peuvent se concentrer sur l'essentiel: la pédagogie.

L'autre jour, un prof de français du secondaire, justement, me demande la permission d'utiliser pour un de ses cours un mienne chronique déjà pas mal ancienne.

Pourquoi cette chronique-là, toute paisible, toute en paysages?

Pour les paysages, justement, me dit-il.

Pourquoi pas, alors, un grand texte classique?

Lequel?

Laissez-moi y penser et passez à l'entrée de La Presse à la fin de la semaine, j'aurai laissé un livre dans une enveloppe à votre nom. Je lui ai laissé Un balcon en forêt, de Julien Gracq, cet immense écrivain, aussi confidentiel qu'immense, dernier des grands classiques français à la prose surabondante et pourtant sans un mot de trop, une prose qu'on dirait écrite par un géographe, par le plus poète des géographes. Personne, même pas Lapouge, même pas Colin Thubron, même pas Nicolas Bouvier ne peut écrire un paysage après Gracq.

Le prof me rappelle quelques jours plus tard: j'aimerais mieux utiliser votre chronique.

Cette réflexion d'Alain Finkielkraut dans L'imparfait du présent, à propos de l'enseignement de la littérature, réflexion que je souligne à l'intention de notre ministre de l'Éducation: Les pessimistes ne sont pas assez pessimistes. Ils prévoient la catastrophe alors que, ni vu ni connu, elle a déjà eu lieu. Ils noircissent l'avenir quand c'est le présent qui est sinistré.

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