Propriété, un vilain mot
30 janvier 2007
René Vézina, Journal Les Affaires
Le Québec doit être l'un des rares endroits de la planète où vouloir améliorer son sort est mal vu.
Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec et le Front populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) en veulent à la Banque Laurentienne. Ils viennent de déposer une plainte devant le Conseil des normes canadiennes de la publicité. Motif : la Banque aurait insulté les locataires par ses affiches publicitaires où des enfants demandent à d'autres " T'es encore locataire ? " et " T'as pas encore de maison ? "
Mesurons l'offense. Traditionnellement, le Québec était une terre de locataires, mais la proportion est en train de s'inverser. Les Québécois sont maintenant majoritairement propriétaires. D'autres souhaitent le devenir. Tout le monde n'en a pas les moyens, mais c'est le plus légitime des rêves. Que la publicité joue sur cette aspiration n'a rien de choquant.
Un commentateur respecté vient d'ailleurs d'en faire l'apologie. Dans un texte publié dans le Globe and Mail, il écrit que " La vraie richesse, c'est la propriété d'une maison " et que " si elle demeure inaccessible pour trop de Canadiens, c'est encore par elle que la plupart des gens peuvent raisonnablement espérer s'enrichir " [par rapport aux autres types de placement]. Ce commentateur, c'est Jim Stanford, économiste pour... les Travailleurs unis de l'automobile, un des plus grands syndicats canadiens.
Ce syndicaliste vient-il de basculer dans le camp de l'ennemi ? Pas du tout. Il énonce une vérité toute simple : les gens ont le droit d'aspirer à mieux, et l'achat d'une résidence est un bon départ. En fait, ce devrait même être un objectif social.
Que l'on veuille défendre les locataires victimes d'abus est une chose. Mais qu'on dénonce une publicité parce qu'elle fait la promotion de la propriété en est une autre.
Il n'y a rien d'insultant à dire qu'il vaut mieux être propriétaire que locataire. Les produits financiers de la Banque Laurentienne aident-ils ou non à y parvenir ? C'est secondaire, et ce n'est manifestement pas ce qui énerve les groupes populaires en question. Pour eux, il faut faire attention de ne pas embarrasser les locataires. Ne pas déranger. Ce qui revient à ériger le misérabilisme en système.
Au contraire, il faut brasser la cage. Provoquer. Dire que c'est plus beau vu d'en haut. Tous n'ont pas et n'auront pas les ressources. Ceux-là ont besoin de soutien; pas de censure.
La propension au nivellement par le bas est l'un des réflexes les plus désespérants de la société québécoise. L'ambition est suspecte. Si tout le monde ne peut pas s'élever, personne ne s'évèlera. Ou si tout le monde ne peut être propriétaire, évitons d'en parler. Ça donnerait des idées.
Il va falloir finir par remettre en question cette tendance si ancrée qu'on la tient pour naturelle. Vient-elle du vieux fond catholique qui garantit aux pauvres l'accès au royaume des cieux ? Ou de la force de persuasion des groupes populaires, qui obtiennent si facilement l'attention des médias ? En passant, on perd du pouvoir quand sa base se rétrécit. C'est le cas si le sort des mal-nantis s'améliore. Est-ce là une partie de l'explication ? Reste qu'il est ridicule, compte tenu des problèmes réels, de consacrer autant d'énergie à protester contre une campagne de publicité finalement bien inoffensive
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