L’organigramme du gouvernement du Québec est d’une complexité difficile à imaginer : 22 ministres, 4 ministres délégués, 194 organismes gouvernementaux, 11 commissions parlementaires, 3 réseaux d’éducations, 72 commissions scolaires, 103 municipalités régionales de comté (MRC), 15 agences de santé et services sociaux, etc. Les organisations se superposent, se chevauchent et se jalousent de sorte qu’il est toujours très compliqué d’obtenir les services que l’on requiert. Comme si cela n’était pas suffisant, il faut ajouter aux bureaucraties municipales et provinciales celle du fédéral.
Ainsi, les trois niveaux de gouvernement employaient en 2005 sur le territoire du Québec l’équivalent de 700 500 fonctionnaires à temps plein, soit près de 20% des travailleurs québécois. De ce nombre, seulement 387 000 rendent des services directs à la population : les enseignants (97 000), les professionnels et techniciens du système de santé (220 000), les policiers et employés du système de justice (17 000) et les employés des sociétés d’état (53 000). Donc, 313 500 ou 45% des fonctionnaires gèrent les programmes gouvernementaux et encadrent et surveillent les fonctionnaires qui desservent directement la population. C’est à ces derniers que je réfère lorsque je parle de bureaucratie.
Les rôles et les activités de la bureaucratie.
La tâche première des bureaucrates consiste à gérer les centaines de programmes créés par les gouvernements. Chaque programme subventionne des centaines de projets. Ainsi des milliers de fonctionnaires étudient, approuvent et gèrent des milliers de projets représentant des milliards de dépenses annuellement. Selon une étude de la Fédération des Chambres de Commerce du Québec (FCCQ), les subventions, l’aide fiscale, l’aide au financement, le développement régional et les interventions sectorielles totalisent des dépenses annuelles de plus de 4 milliards. De plus, des subventions totalisant environ 1 milliard de dollars annuellement sont distribuées à plus de 5 000 organismes sociaux et communautaires.
La deuxième tâche en importance de la bureaucratie québécoise consiste à développer et à surveiller l’application de milliers de règlements. Il n’existe malheureusement pas de mesure précise du fardeau réglementaire québécois. Par contre, selon une étude de l’Institut Économique de Montréal (IÉDM) le Québec avec 2345 règlements en 2003 domine largement la scène canadienne. Entre 1990 et 1999 le Québec a produit plus de 5 000 pages de lois et règlements contre moins de 1600 pages en Ontario et en Alberta. En 2003, la Fédération Canadienne de l’Entreprise Indépendante (FCEI) évaluait à plus de 7 milliards de dollars les coûts annuels encourus par les entreprises québécoises pour se conformer à une réglementation omniprésente, tatillonne et souvent inutile.
L’Institut Fraser dans son étude « Economic Freedom North America 2006 », conclut que le Québec se situe au 59e rang sur 60 en Amérique du Nord. James Gwartney, principal responsable de cette étude définit la liberté économique comme suit :
Individuals have economic freedom when (a) property they acquire without the use of force, fraud, or theft is protected from physical invasions by others and (b) they are free to use, exchange, or give their property as long as their actions do not violate the identical rights of others. Thus, an index of economic freedom should measure the extent to which rightly acquired property is protected and individuals are engaged in voluntary transactions.
Les subventions et une réglementation excessive sont les facteurs qui limitent le plus la liberté économique des Québécois. Le Québec souffre d’un immobilisme appauvrissant. Son économie recule par rapport à celle de ses principaux partenaires.
Une perspective historique.
Ce n’est pas nouveau, depuis les tous débuts de la colonie, les observateurs et critiques de la société québécoise dénoncent la bureaucratie. Elle est perçue comme coûteuse et inefficace. Malgré tout, son rythme de croissance s’est remarquablement accéléré au cours des 40 dernières années. Faut-il en déduire que la croissance de la bureaucratie est incontrôlable et qu’un jour la société québécoise croulera sous son poids comme cela s’est produit dans les pays du bloc communiste ?
L’histoire semble nous enseigner que le simple fait de dénoncer la bureaucratie soit insuffisant pour changer les choses. Au mieux, réussit-on à la faire reculer de quelques pas, mais elle reprend rapidement l’initiative pour atteindre de nouveaux sommets.
Il est certainement possible de gérer efficacement la fonction publique. Les individus qui composent la bureaucratie gouvernementale ne sont pas différents de ceux qui composent l’ensemble de la société. Donc, en leur fournissant les outils appropriés et en créant un environnement propice ils atteindraient une productivité semblable à celle obtenue dans le secteur privé. Certes, une plus grande efficacité permettrait de réduire la taille de la fonction publique. Toutefois, cela règlerait seulement une partie du problème. Comme nous l’avons vu plus tôt, 45% des fonctionnaires sont assignés à des tâches d’encadrement et de surveillance. Trop souvent, ces fonctionnaires, de par la nature même de leurs tâches, nuisent à la productivité de ceux qui servent le public.
L’origine des problèmes.
Les fonctionnaires ne sont pas à l’origine des problèmes découlant de la bureaucratie. Après tout, la fonction publique est composée d’organismes dans lesquels les individus travaillent dans le but d’atteindre les objectifs qui leur ont été assignés. Les bureaucrates sont des individus ayant les mêmes besoins et motivation que nous tous. Ils peuvent être avenants ou désagréables, travaillants ou paresseux, bons époux ou coureurs de jupons, religieux ou athées, etc.
Les problèmes que nous attribuons à la bureaucratie découlent des tâches que nous lui assignons. Les fonctionnaires ne sont pas tous des bureaucrates. Les policiers, les infirmières, les professeurs, pour ne nommer que ceux-là, ne sont pas des bureaucrates. Ce terme réfère aux 313 500 fonctionnaires qui encadrent et surveillent les 387 000 qui desservent la population. Les bureaucrates ne fournissent pas de services à la population. Ils élaborent des règlements, en surveillent l’application et préparent des analyses et rapports pour les hauts fonctionnaires et les politiciens. Pour faire leur travail, ils accumulent des quantités phénoménales d’informations qui doivent leur être fournies par les fonctionnaires œuvrant sur le terrain. Ce faisant ils nuisent grandement à l’efficacité de ces derniers.
Évidemment les bureaucrates justifient leur raison d’être en affirmant qu’ils protègent la vie et la propriété des gens. Est-ce vraiment le cas ? Trop souvent, les règlements concoctés par les bureaucrates limitent inutilement le droit de propriété au lieu de le protéger. Les lois n’ont pas d’influence sur la très petite minorité de gens malhonnêtes présents dans toute société. Par contre, ces mêmes lois briment les libertés de la très grande majorité des gens honnêtes. Même dans les cas où la réglementation protège des droits fondamentaux, le fait demeure que les bureaucrates ne fournissent pas de services directs à la population. Ils s’emploient à règlementer et à surveiller le travail des autres. C’est cette caractéristique « d’autorité sans responsabilité de résultats » qui définit ces fonctionnaires comme bureaucrates.
L’inévitable paperasserie.
La plainte la plus fréquente concerne la paperasserie générée par la bureaucratie. Quiconque requiert un permis s’oblige à fournir des quantités faramineuses d’informations aux différents niveaux de gouvernement impliqués. Une entreprise œuvrant dans une industrie réglementée doit, en plus d’obtenir un permis, fournir périodiquement des rapports, affidavits, documents notariés, démontrant qu’elle se conforme aux règlements en vigueur. Cette paperasserie, qu’elle soit sous forme papier ou électronique, est ce qui justifie l’existence de la bureaucratie auprès de la population. Le seul lien entre la bureaucratie et la population est la paperasserie. Donc, exiger la réduction de la paperasserie équivaut à exiger la réduction de la bureaucratie.
La seule chose qui puisse limiter la quantité de paperasserie nécessaire pour assurer l’application d’un règlement est le manque d’imagination des bureaucrates. Chaque fois que, malgré la réglementation, il se produit un évènement inattendu, les politiciens s’engagent à renforcer la réglementation. Donc, plus de bureaucratie et plus de paperasse. Rarement, en particulier dans les sociétés favorisant un état providence, remet-on en question l’utilité même de la réglementation.
Les bureaucraties sont lentes et inefficaces.
Les bureaucraties sont hésitantes, lentes et souvent arbitraires et capricieuses. Ces caractéristiques sont les deux côtés d’une même pièce. Elles peuvent être décisives et rapides, mais seulement en étant plus arbitraires et capricieuses. Ces caractéristiques bureaucratiques découlent du fait que les bureaucrates sont les premières victimes des politiciens lorsque vient le temps d’apaiser la grogne populaire. De plus, les exigences électoralistes des politiciens compliquent sérieusement leur travail. Ainsi, ils doivent s’assurer que leurs décisions sont inattaquables. Dans ce cas, la meilleure protection qu’un bureaucrate puisse obtenir consiste à refiler le problème à d’autres ou à retarder une décision jusqu’à ce qu’elle s’impose d’elle-même. Salomon n’aurait pas survécu à un tel régime.
Les bureaucrates produisent les règlements et en surveillent l’application, mais ne sont pas responsables des résultats. Ce sont les entreprises privées ou les fonctionnaires desservant directement la population qui en assument la responsabilité. Lorsqu’une réglementation ne donne pas les résultats escomptés ce sera parce qu’on a mal interprété l’intention du règlement ou qu’on a erré dans la façon de l’appliquer. Ainsi, les nombreux règlements, mal conçus, nuisent et démotivent les fonctionnaires et génèrent des coûts considérables pour l’entreprise privée.
De même, les bureaucrates ne sont pas responsables de l’efficacité des programmes de subventions. Personne ne se préoccupe de savoir si ces programmes atteignent les objectifs visés. Ces subventions servent avant tout aux politiciens pour mousser leur popularité à la veille d’une élection. Si par malheur il se produit un fiasco – Commandites, Papiers Gaspésia, la SONACC - il suffit de nommer une commission d’enquête et attendre que la tempête passe.
Peut-on y faire quelque chose ?
Les individus vivant en société ont besoin d’être protégés contre les fraudes, les bandits et les abus. Toutefois, l’expérience démontre qu’une bureaucratie, quel que soit son ampleur, joue rarement ce rôle.
L’immense bureaucratie québécoise n’a pas empêchée le fiasco de Norbourg, l’épidémie de C-difficile ou l’effondrement du viaduc Concorde à Laval. On peut même prétendre que c’est tout le contraire. Dans un système d’état providence comme celui que nous connaissons au Québec, tous les intervenants - les entreprises, les institutions publiques, les syndicats et les individus - se fient au gouvernement pour veiller à leurs intérêts. Les grandes entreprises exigent des lois protectionnistes et des subventions pour compenser leur manque de dynamisme. Les syndicats réclament toujours plus d’étatisation et des lois du travail qui leur procurent un membership captif. Les institutions publiques expliquent leur médiocrité et leur manque d’imagination par le manque d’argent. Les individus tiennent le gouvernement responsable de tout sans même faire l’effort de veiller à leurs propres intérêts.
L’expérience démontre que les individus sont mieux protégés par :
- un système de loi axé sur les libertés individuelles et la protection de la propriété privée ;
- un environnement économique de libre marché favorisant la compétition ;
- la responsabilisation des individus envers eux-mêmes et la société.
que par une bureaucratie anonyme et souvent inhumaine.
Conclusion.
Les bureaucraties sont des manufactures de paperasseries en continuelle croissance et impossible à gérer. Tous les efforts pour les réformer sont voués à l’échec. Au mieux on fera des gains marginaux à court terme. À la première occasion elles reprendront le chemin de la croissance.
Pour avoir un effet à long terme il faut plutôt éliminer la bureaucratie. Toutefois, ceci représente un défi titanesque :
- dans un premier temps il faut repenser et mettre à jour les lois avec comme premier objectif la protection des libertés individuelles et de la propriété privée. Il serait opportun de réviser en priorité la Charte des droits et libertés pour en faire une Charte des droits, libertés et responsabilités;
- ensuite, il faut éliminer tous les règlements qui ne sont pas absolument nécessaires, ou dans le pire des cas les simplifier, et s’en remettre à l’application des lois. L’élimination des règlements inutiles permettra de réduire d’autant la bureaucratie devenue superflue. Mais, encore plus important, l’élimination de ces règlements créera un environnement dynamique favorable à la responsabilisation des individus et à la création de richesse;
- finalement, un environnement économique et social dynamique sera suffisant pour attirer et retenir les individus et les entreprises au Québec. Il sera donc possible de canceller la plupart, sinon la totalité, des programmes de subventions. En plus des économies ainsi obtenues, il deviendra possible d’éliminer la bureaucratie assignée à la création et la gestion de ces programmes de subventions.
En s’engageant résolument dans un processus de réduction de la bureaucratie on crée un cercle vertueux : moins de bureaucratie crée un environnement économique et social dynamique ; cet environnement favorise l’utilisation optimale des ressources ; la société s’enrichit ; l’ensemble de la population peut s’offrir plus de services ; et ainsi de suite.
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