Régis Labeaume, maire de la ville de Québec, voit grand. Il a plusieurs projets sur la table et à l’instar de la plupart des politiciens, il cherche à les financer avec l’argent des contribuables, et pas seulement ceux de «sa» ville. Il n’est pas le premier à agir de la sorte et il ne sera certainement pas le dernier tant et aussi longtemps que l’on vivra en démocratie. C’est que la démocratie, aujourd’hui, domine la liberté de disposer de ses biens comme on l’entend. Il s’ensuit qu’il n’y a pratiquement plus de limite à ce que l’on peut soutirer des contribuables.
Régis Labeaume n’est pas plus à blâmer que les autres politiciens pour cette façon de procéder, car il s’agit d’une pratique courante. Ses actions ne servent qu’à démontrer comment la démocratie, comme tout autre régime politique qui s’arroge la propriété des gens, conduit inévitablement à une expansion de l’État et à une réduction conséquente des libertés. On taxe et on impose des contribuables qui non seulement n’ont pas voté pour le politicien élu, mais n’en avaient même pas le droit puisqu’ils habitent un autre territoire électoral.
Cette pratique est répandue, mais est-elle légitime? Seulement poser cette question suffit à vous condamner. En effet, plusieurs bien-pensants ont coutume d’ignorer les gens qui se questionnent sur la légitimité de la démocratie sous prétexte que ces derniers sont peu nombreux, par conséquent que l’effort à donner pour obtenir leur vote n’en vaut la peine. Les individus qui cherchent uniquement à circonscrire la démocratie ne sont guère mieux traités. Mieux vaut les discréditer en disant, par exemple, que leurs idées sont radicales, voire dangereuses au bien-être de la population.
Or, une idée radicale n’est pas nécessairement injuste et, à l’inverse, une idée partagée par plusieurs n’est pas juste pour autant. Ignorer cette remise en question permet aux partis politiques d’aller de l’avant avec leurs projets comme si le processus était légitime. Néanmoins, faire comme si c’était légitime n’est pas nécessairement légitime en soi. Cela évite uniquement de se questionner à savoir si ce que l’on fait est juste ou non, voire de se conforter dans ses croyances.
Lorsque des journalistes ont questionné la légitimité d’aller de l’avant avec le projet d’amphithéâtre, le maire a répondu, tel un enfant, que Montréal a eu ses bonbons, alors Québec doit avoir les siens. Avec pareil raisonnement on ne voit pas pourquoi les autres villes du Québec, voire du Canada, ne réclameraient pas les leurs. En plus d’être infantilisante, cette façon de procéder constitue une excellente façon d’attiser l’animosité de ses voisins et partenaires d’échange appelés à «contribuer».
De manière générale on se demande si la construction d’un amphithéâtre, pour accueillir notamment une équipe de hockey, mérite un financement public. Plusieurs commentateurs répondent par la conditionnelle. Ils y seraient plus favorables si l’amphithéâtre avait aussi comme objectif d’attirer les Olympiques de 2022; si le secteur privé y contribuait, si les gouvernements investissaient également dans les arénas, si la contribution publique n’était pas aussi importante, etc.
Lorsqu’il s’agit de la construction d’un hôpital le consensus est généralement plus élevé, mais rarement, comme le souligne le maire Labeaume, sonde-t-on les gens sur les différents projets mis de l’avant par les politiciens. Pourquoi a-t-on sondé les gens sur ce projet en particulier? Est-ce parce que la construction d’un amphithéâtre est à ce point différente de celle d’un hôpital? N’est-ce pas plutôt parce que la majorité des gens considère qu’un amphithéâtre ne constitue pas un besoin essentiel?
Un amphithéâtre est effectivement moins important à la vie qu’un hôpital, mais ce type de comparaison, qui vient rapidement à l’esprit, est trompeur pour quelques raisons. L’une d’elles est qu’il ne tient pas compte des établissements déjà en place. Si, sur un territoire donné, il y a déjà plusieurs hôpitaux mais aucun amphithéâtre, alors la construction d’un amphithéâtre peut être considérée importante pour une population. Les désirs de celle-ci, cependant, sont-ils déterminants pour imposer les contribuables des autres circonscriptions électorales?
Une administration territoriale ne possède pas le pouvoir fiscal d’imposer les individus qui se trouvent sous la gouverne d’autres administrations, à moins que celles-ci soient d’un niveau hiérarchique inférieur. Rien n’empêche celles-ci, cependant, d’encourager l'administration supérieure à «faire sa part», c’est-à-dire à imposer ses propres contribuables. C’est la façon de procéder du maire Labeaume, voire de tous les politiciens. Ceux-ci cherchent à tirer le maximum de ressources des administrations supérieures, par conséquent des contribuables qui ne vivent pas uniquement sur leur territoire électoral. Cette façon de procéder conduit tout le monde à faire pareil, ce qui n’est dans l’intérêt de personne.
Un autre problème, plus fondamental, avec ce type de raisonnement est que l’on prétend parler pour la majorité. Or, ce qui est important pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre. On doit donc se méfier des affirmations qui prétendent conclure que la population est d’accord avec tel ou tel projet puisque ces affirmations passent outre le désaccord de plusieurs individus.
Lorsqu’on réalise que les partis politiques, dans les démocraties, reçoivent rarement plus de 30% de l’appui de la population éligible à voter, on ne doit pas se gêner de remettre en question les décisions qui engagent l’ensemble des contribuables; d’autant moins lorsque les projets mis de l’avant engagent les contribuables des autres juridictions électorales.
À titre d’exemple, le Parti libéral du Québec a été élu par 24% des gens éligibles à voter lors des dernières élections. 57% de la population éligible à voter a exercé son droit de vote et la majorité d’entre elle a voté, à hauteur de 42%, pour le Parti libéral (57% x 42% = 24%). À Montréal, en 2009, 36% des gens éligibles à voter ont exercé leur droit de vote et 37,5% de ceux-ci ont voté pour le parti mené par Gérald Tremblay, ce qui fait de lui, en réalité, un représentant de 13,5% des gens éligibles à voter (36% x 37,5% = 13,5%). Ces taux de représentation sont similaires dans toutes les démocraties; ils dépassent rarement les 30%. Ils deviennent infinitésimaux lorsque les politiciens engagent les contribuables des autres juridictions territoriales.
Malgré cette faible représentativité, la plupart des politiciens prétendent parler au nom de l’ensemble de la population. Non seulement ont-ils tendance à exagérer cette représentativité, mais la plupart d’entre eux sentent le besoin, et pour cause, d’utiliser d’autres arguments pour justifier leurs actions. L’argument des retombées économiques fait partie de ceux-là. Or, cet argument ne sert qu’à faire croire à la population que les projets avancés par les politiciens sont rentables pour tout le monde, d’où qu’il n’y a pas lieu pour celle-ci de s’y opposer. Encore une fois, ce qui est rentable ou important pour les uns ne l'est pas nécessairement pour les autres.
Concurremment aux arguments fallacieux utilisés par les politiciens pour justifier leurs projets, plusieurs d’entre eux n’hésitent pas à attiser la division entre différents groupes d’individus pour s’assurer d’atteindre leurs objectifs. On peut penser ici à l’opposition que tente d’établir le maire Labeaume entre la population de Montréal et celle de Québec. Le maire n’hésite pas non plus à discréditer les gens qui demandent une contribution du secteur privé pour construire ledit amphithéâtre.
À trop vouloir pourfendre ses détracteurs, cependant, on y perd souvent en crédibilité. Ainsi, le maire prétend que la Ville de Québec n'a ni la population, ni les moyens pour justifier une contribution du secteur privé. Autrement dit, puisque la Ville ne peut se payer seule ce qu’elle veut, il est normal, pense Labeaume, d’exiger des autres autorités politiques de faire leur part, soit d’imposer leurs propres contribuables pour satisfaire celle-ci.
Encore une fois, il ne s’agit pas de blâmer davantage le maire de Québec que les autres politiciens, mais de se questionner sur la légitimité de financer des projets par l’entremise des contribuables. La légitimité ou l’illégitimité du financement public ne relève pas du fait qu’il s’agisse de la construction d’un amphithéâtre plutôt que celle d’un hôpital ou de l’établissement de services quelconques. La légitimité en cause est celle du processus lui-même, peu importe ce qu’on cherche à financer.
Suffit-il d’être élu pour légitimer l’imposition et la taxation des contribuables? Répondre que c’est «démocratique» est un peu court, mais malheureusement c’est la seule réponse qu’on entend. Autrement dit, lorsqu’un individu prononce ces mots sous forme exclamative, il laisse entendre qu’il n’y a pas lieu de chercher une plus grande justice, car la démocratie en constitue le sommet. Pour cet individu, remettre en question cette façon de procéder, cette croyance, constitue un sacrilège, une profanation qui mérite au moins qu’on vous ignore.
Pourtant, est-il exagéré de concevoir le politicien démocrate comme un être rusé qui sait créer la division entre différents groupes d’individus pour obtenir ce qu’il veut? Comme un individu qui attise les sentiments nationalistes? Qui utilise des arguments spécieux pour se justifier? Qui n’hésite pas à imposer et à taxer les contribuables contre leur gré et à prétendre que cela est fait nom d’une certaine idée de la morale? On peut concevoir qu’un politicien démocrate ne soit pas manipulateur, prétentieux, hypocrite et lâchement complaisant, mais le régime démocratique s’y prête mal, voire pas du tout.
Si l’on cherche à laisser aux individus plus de liberté à disposer de leurs biens comme ils l’entendent, il vaut mieux préconiser un autre régime que d’attendre l’improbable sauveur de la démocratie. On doit se rendre à l’évidence, depuis sa renaissance, au 18e siècle, la démocratie n’a prise qu’une direction : celle d’un plus grand contrôle de l’État sur la vie des gens. Il y a peu d’espoir que surgisse de ce régime un individu qui renverse cette tendance, si ce n’est que pour une courte période. Par conséquent, pour atteindre cet objectif on considère qu’il vaille mieux changer de régime.
Une alternative à la démocratie
La monarchie peut être moins vorace envers les contribuables que la démocratie, mais elle est également plus risquée puisqu’elle dépend beaucoup du monarque lui-même. Ce régime comporte des avantages sur la démocratie et ne peut être rejeté du revers de la main, mais ce n’est pas de lui dont on veut discuter. Il existe un autre régime qui donne plus de poids aux individus que la démocratie, mais on n’hésite à le qualifier de politique puisqu’il cherche justement à s’en débarrasser, ou à tout le moins, à réduire les services offerts via l’imposition et la taxation.
On peut qualifier ce régime de liberté, soit un régime où l’individu est son propre représentant dans la mesure du possible, où ses paroles sont entendues plutôt qu’édulcorées et travesties par des représentants qu’il connaît à peine, voire pas du tout. Mieux encore, ce régime ne conduit pas les électeurs à voter sur ce que les politiciens leur offrent, mais tout au plus sur le choix de ceux qui sont appelés à gérer des services identifiés et délimités. On qualifie ce régime de liberté parce que c’est lui qui en offre le plus aux individus. Il ne cherche pas à tromper les gens en tâchant de leur faire croire que leurs «contributions» sont dans l’intérêt général. Il n’étire pas ce concept pour y intégrer des intérêts particuliers.
Étant conscient que les «valeurs» des gens sont subjectives et qu’elles doivent être respectées tant et aussi longtemps qu’elles respectent la liberté d’autrui, tout ce que ce régime impose sont les principes universels de ne pas tuer et de ne pas voler. On peut qualifier ces principes de «valeurs objectives» puisque ce sont les seules qui ne nuisent à personne lorsqu’on les pratique. Toutes les autres «valeurs» que l’on tente d’intégrer au concept d’intérêt général, par exemple un système public de santé, nuisent au moins à un individu et souvent à plusieurs d’entre eux dès lors qu’on les met de l’avant. Il s’ensuit que ces valeurs constituent des intérêts particuliers, non un intérêt général.
Parce qu’un régime de liberté s’en tient à l’intérêt général strictement défini, soit aux principes universels, il s’avère plus respectueux des choix de chacun que le régime démocratique. Par conséquent, on ne voit rien de radical à le suggérer à ses compatriotes. Ce qui est radical n’est-il pas, au contraire, d’encourager les individus à poursuivre ce processus qui encourage les gens à vivre aux dépens des autres? Exiger que des inconnus paient pour ses choix personnels est effectivement beaucoup plus radical que de soulever le doute sur la légitimité de ce processus puisque cela revient à se faire complice d’injustice.
Non seulement la démocratie conduit l’homme à perdre son sens de l’autonomie, elle tend aussi à lui faire perdre son sens de la justice. Elle substitue la coercition à la coopération pacifique entre les hommes, c’est-à-dire qu’elle se sert de la loi pour établir des services qui pourraient et devraient être offerts uniquement par le marché. Elle tente également d’établir une égalité là où il n’y en a pas et où il ne devrait pas y en avoir. Bref, elle conduit lentement mais sûrement à une plus grande pauvreté, voire à une homogénéisation de l’homme, soit à sa dénaturation. Plusieurs y voient un progrès, alors qu’il faudrait plutôt y voir une régression, une décadence.
Dans cette perspective, le maire Labeaume n’est pas un mauvais démocrate puisqu’il est tout aussi rusé et manipulateur que la plupart d’entre eux. Son franc-parler le rend plus facile à suivre, mais aussi à dénoncer. Sa franchise a néanmoins un aspect éducatif, car elle montre au grand jour l’injustice de la démocratie, c'est-à-dire comment le contribuable sert de vache à lait à des projets qu’il n’a jamais demandés.
Une démocratie qui ne respecte pas la propriété individuelle conduit tôt ou tard à retirer toute souveraineté au peuple. Elle est appelée à imploser, à s’annihiler à l’instar du socialisme soviétique. Le progrès social et économique des 250 dernières n’est pas dû à l’avènement de la démocratie, mais des droits individuels et plus précisément du respect de la propriété. Tant et aussi longtemps que cela ne sera pas compris et partagé, on doit craindre un retour en arrière, une régression sociale et une plus grande pauvreté.
2 commentaires:
Bel exposé.
Seul petit hic: nous ne vivons pas dans une démocratie.
Pire encore, avec la ligne de parti, la démocratie représentative (donc l'acte de représenter les électeurs des districts électoraux... avant tout), n'existe pratiquement plus.
Je suis un "populiste" (pour reprendre le terme de ceux qui méprisent la véritable démocratie)
;-)
Le mot démocratie a UN sens, c’est un gouvernement PAR LE PEUPLE, POUR LE PEUPLE.
Tous les systèmes e gouvernance qui ne donnent pas le pouvoir ultime au peuple, ne sont PAS des démocraties (technocratie-par-les-experts, dans notre cas?).
Ce n’est pas parce que je me dis « intelligent » que je le suis.
Il faut le démontrer par des arguments.
Ce n’est pas parce que je me dis « ouvert », que je le suis.
Il faut le démontrer par des gestes.
Il faut juger un arbre à ses fruits, et les fruits de notre système, ne sont vraiment pas bons… JUSTEMENT parce qu’il n’est pas démocratique.
Aujourd’hui, trop d’individus pensent que la masse des gens est trop conne et qu’il faut donc qu’une minorité « d’experts » et de technocrates décident pour tous… nous voyons ce que ça donne…
Les Suisses ont très bien compris.
Les Suisses ne considèrent pas comme pleinement démocratiques les pays où le peuple ne peut qu’élire des représentants et perd tout pouvoir de décision en dehors des élections.
Comme le peuple n’a pas le temps de prendre lui-même toutes les décisions politiques, il élit des représentants qui légifèrent et gouvernent. Ces représentants ne sont toutefois pas autorisés à confisquer le pouvoir. Le peuple conserve en effet la possibilité d’intervenir dans les affaires publiques en lançant des référendums (refuser une décision des élus) et des initiatives (proposer une modification de la législation): si le nombre requis de signatures est atteint, une votation populaire doit être organisée dont le résultat s’impose aux élus.
Concernant tous les problèmes de gouvernance, l’idéal serait -selon mon humble avis et celui de Jean-Luc Migue, auteur de: « On n’a pas les gouvernements qu’on mérite »- ceci:
Suite et fin:
« Référendums et initiatives populaires
• Lorsque les décisions gouvernementales sont soumises au scrutin majoritaire direct, chacun des citoyens vote sur chaque mesure dans un référendum distinct, sans considération des décisions à venir ultérieurement ou prises antérieurement. La démocratie directe retire aux politiciens les outils indispensables au maquignonnage (l’échange de votes) qu’ils pratiquent pour gagner les votes en régime de démocratie représentative. Le marché politique pipé qui caractérise notre régime perdrait une part de ses travers. Les initiatives populaires, où de simples citoyens prennent l’initiative de soumettre une proposition au vote, servent à faire obstacle à la domination des groupes organisés. La faible taille de l’État suisse peut illustrer le sens de cet impact.
•Cette argumentation explique en même temps l’hostilité des politiciens au principe du référendum et des initiatives populaires. À leurs yeux, l’homme de la rue est trop ignorant pour faire les bons choix. Chez nous, seuls les politiciens peuvent mettre en branle une consultation référendaire et, on le devine, ils le font rarement. La formule freine la puissance des groupes d’intérêt et renforce la voix des simples citoyens aux dépens de l’élite politique
• La thèse que défendent Romer et Rosenthal (1979) et le résultat qu’obtiennent la plupart des observateurs veulent que l’impact général du référendum soit favorable à l’efficacité des choix publics. Ces deux auteurs concluent qu’en effet les référendums ont plutôt tendance à freiner l’instinct de dépenser qui caractérise toutes les administrations. La Suisse et la Californie font l’objet de critique pour recourir systématiquement à la démocratie directe. Soulignons que le reproche émane des élites politiques et des médias qui s’en font les échos.
• Recall: La valeur du référendum et des initiatives populaires tient souvent à la menace qu’ils font planer sur la tête des politiciens qui se distancent un peu trop allègrement de l’électorat. »
***
Tiré de:
« On n’a pas les gouvernements qu’on mérite »
Catégorie : Gestion et économie
Auteur : JEAN-LUC MIGUE
Date de parution : novembre 2007
Éditeur : CARTE BLANCHE
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