André Dorais
Depuis 1971, la plupart des monnaies ont perdu leurs derniers liens avec l’or. Le franc suisse est une exception notable puisque ses liens avec l’or sont restés importants jusqu’en 1992 en maintenant 40% de couverture. Avoir une monnaie sujette à de plus amples manipulations gouvernementales était la condition de son adhésion au FMI… Sa réputation d’avoir une monnaie «forte» la suit toujours, bien que cela s’avère moins vrai aujourd’hui.
Ce qui détermine la force d’une monnaie est son pouvoir d’achat et ce qui détermine celui-ci est la «quantité» de monnaie émise, ou plus précisément sa valeur nominale. La demande de monnaie pour ses besoins courants affecte aussi le pouvoir d’achat, mais puisqu’elle est plutôt stable par rapport à l’offre, on se contente de dire que l’offre est le seul facteur qui affecte son pouvoir d’achat. Cela est moins vrai en temps de crise et particulièrement lorsque les gens perdent confiance en l’autorité monétaire.
Étant donné que les gouvernements ne se préoccupent plus de savoir s’ils ont de l’or ou non dans leurs coffres, ils créent de la monnaie, c’est-à-dire de l’inflation, beaucoup plus facilement. Sa source est la banque centrale, mais aussi, et surtout, les banques à charte et autres institutions similaires via des prêts n’ayant aucune richesse comme contrepartie. En d’autres mots, il y a plus de prêts émis qu’il n’y a de richesse pour les rembourser. Ce processus indirect d’inflation est non seulement légal, mais il est encouragé par les gouvernements.
La monnaie utilisée aujourd’hui est plus difficile à évaluer que la monnaie d’espèces (or, argent métallique, etc.), car elle se distingue mal du crédit. Le nombre élevé d’agrégats monétaires (MZM, M1, M2, M2+, M2++, M3, etc.) le démontre bien. Malgré que chacun de ces agrégats représente une définition de la monnaie et que chacun soit accompagné d’une valeur nominale différente, ils ne constituent pas de différentes mesures d’inflation. Pour les gouvernements, comme pour trop d’économistes et de supposés experts, ces différentes mesures ne sont que des tentatives pour représenter le PIB, lui-même censé exprimer la richesse. Autrement dit, si un agrégat monétaire possède une forte corrélation avec le «revenu national» (ou PIB), alors ils présument qu’ils ont trouvé une bonne définition de la monnaie. La réalité est qu’ils sont confus, que ce soit relativement à la monnaie, le crédit, l’inflation et la richesse.
Monnaie vs crédit
Il n’y a pas si longtemps la monnaie était métallique, alors que la monnaie de papier lui servait de substitut. La monnaie de métal étant abandonnée on a fait monter en grade son substitut, qui sert maintenant de monnaie officielle. Quelles sont ses caractéristiques? Si la plupart des économistes cherchent à les établir d’après une corrélation avec le revenu national, les tenants de l’École autrichienne d’économie, de leur côté, les établissent d’après ses qualités originelles. Deux points de vue méritent l’attention. Le premier, à l’instar des définitions actuelles, tend à caractériser la monnaie selon son degré de «liquidité», c’est-à-dire sa capacité d’être échangée rapidement contre biens et services. Le second va plus loin dans cette direction en excluant toutes les transactions de crédit. Cependant, que l’on penche pour l’un ou l’autre point de vue, l’inflation, telle qu’entendue par l’École, ne diffère pas.
On ne distingue pas la monnaie par son aspect physique, mais par ses caractéristiques. Sa principale caractéristique est sa capacité immédiate d’échange. On échange la monnaie contre pratiquement n’importe quoi et n’importe quand, ce qui n’est pas le cas des autres biens. Dès lors que cette capacité perd de son immédiateté, on ne devrait plus parler de monnaie, mais de crédit. Les caractéristiques de l’une et l’autre sont importantes à préciser pour identifier les liens de propriété. Le crédit est également un moyen d’échange, mais qui comporte des risques, ou à tout le moins un délai d’usage, que la monnaie n’a pas. Il y a autant de transactions de crédit qu’il y a de types de risques, alors qu’il n’y a qu’un seul type de transaction sans risque, celle qui permet la jouissance immédiate de sa propriété.
Dans une transaction de crédit la monnaie est transférée soit du prêteur à l’emprunteur, soit de l’acheteur au gestionnaire, mais dans les deux cas l’objectif est de recevoir une plus grande somme d’argent au bout d’un certain temps. Les différences à établir entre l’une et l’autre forme d’investissement sont avant tout d’ordre légal, par conséquent financières, mais elles demeurent sans grande importance du point de vue économique. En effet, dans les deux cas l’investisseur confie sa propriété monétaire à certaines conditions et dans le même but, soit de la faire fructifier.
La plupart de ces investissements contiennent des risques plus ou moins grands et bien que certains de ces investissements garantissent le capital, puisqu’ils ne sont pas encaissables avant terme, on qualifie ces transactions de «crédit» pour les différencier des autres transactions, qui ne comportent pas les risques généralement associés à la durée des investissements. Du point de vue économique, on peut qualifier la transaction de crédit d’échange de «biens présents» pour des «biens futurs» nécessairement incertains. Il s’agit d’une image illustrant que l’argent est investi et reviendra «transformé» au bout d’un certain temps, c’est-à-dire haussé ou réduit par le capital ou l’intérêt.
Les autres transactions sont celles qui impliquent un échange de biens présents pour d’autres biens présents. Elles s’effectuent ou bien directement à l’aide de billets ou de substituts de monnaie (chèque certifié, mandat, etc.), ou bien indirectement à l’aide de titres (carte débit, chèque, etc.) donnant accès à un compte chèque. Il est à noter que cette version indirecte de se procurer un bien est qualifiée de crédit au sens légal. Toutefois, bien que cette transaction ne soit pas finale de par les titres utilisés, question de sécurité, elle ne donne pas moins accès à son argent, censé être disponible car non investi. On parle donc d’un échange entre «biens présents», à savoir un compte chèque et un titre, que l’on peut qualifier de «promesse immédiate de payer», qui y donne accès. Pour qualifier cette transaction de crédit au sens économique, à la dimension temporelle devrait se joindre la «transformation» d’un bien par l’entremise d’un investissement. Or, puisque cet aspect ne s’y trouve pas, on ne peut la qualifier de crédit en ce sens.
Par suite de cette caractérisation on peut exclure de la monnaie les certificats de dépôts parce qu’ils sont retirables à échéance et la plupart des fonds d’investissement dans les marchés monétaires, parce qu’ils comportent des risques, aussi minimes soient-ils, de perte en capital. Si l’on exclut de la définition de la monnaie toute transaction de crédit au sens économique, alors les services d’épargne qui s’apparentent aux services de dépôt doivent en être exclus. On retrouve dans cette catégorie notamment les comptes d’épargne, les fonds mutuels mixtes en marché monétaire (épargne et dépôt) et les accords de rachat d’un jour (overnight repurchase agreements). Dans le cas contraire, ces services doivent en faire partie, car ils en ont pratiquement toutes les caractéristiques : retirables sur demande, sécuritaires, etc. La difficulté à les classer consiste à déterminer si l’on doit mettre l’accent sur la rapidité d’accès à la monnaie ou sur l'utilisation qu’on en fait, à savoir un investissement ou un dépôt ayant pour but premier la sécurité. Devant ce dilemme, les deux définitions se valent. La première met l’accent sur la sécurité financière de l’épargnant et en ce sens elle est plus conservatrice, alors que la seconde met l’accent sur la pratique usuelle, de sorte qu’on peut la qualifier de pragmatique.
Chose certaine, on devrait exclure de la monnaie les chèques de voyage pour au moins deux raisons. La première est qu’ils constituent des reçus pour de l’argent investi dans les entreprises qui les émettent. À ce titre, ils comportent des risques pour le client, notamment un délai d’attente possible pour être remboursé et une perte en capital possible, bien que peu probable, advenant que l’entreprise émettrice déclare faillite. La seconde, parce qu’ils ne servent pas de paiement final aux transactions. Ces chèques transitent par les banques, ou les sociétés de crédit, qui se chargent de transférer les fonds à leurs ultimes détenteurs. Les chèques de voyage ont bien sûr leur avantage, mais ils ne devraient pas se retrouver, comme à l’heure actuelle, dans les définitions strictes de la monnaie, sinon on confond ses caractéristiques et son utilisation.
Une erreur plus grave encore, qu’on rencontre dans certains pays, notamment aux États-Unis, est celle d’exclure, de tout agrégat monétaire et par suite de la définition de la monnaie, les dépôts du gouvernement national dans les banques commerciales et à la banque centrale. En effet, les sommes soutirées aux contribuables par l’entremise de l’imposition sont transférées dans les comptes gouvernementaux, de sorte qu’ils n’affectent pas la masse monétaire, à moins de les exclure comme à l’heure actuelle. Quel en est l’intérêt? Chose certaine, cela en dit long sur la compréhension du sujet.
Considérant ce qui précède, voici les éléments qu’on devrait retrouver dans la définition de la monnaie : les pièces, billets, dépôts bancaires dans les comptes chèques, les dépôts similaires dans toutes autres institutions financières et les dépôts gouvernementaux auprès de la banque centrale et des banques à charte. De manière plus pragmatique on peut ajouter les comptes d’épargne, les fonds d’investissent mixtes en marché monétaire, les accords de rachat d’un jour, voire les obligations d'épargne du Canada, des États-Unis et de quelques autres pays. Voilà pour une définition de la monnaie moderne se basant sur ses caractéristiques. Qu’en est-il de l’inflation?
L’inflation via les réserves fractionnaires
Quand bien même on adopterait cette définition restreinte de la monnaie, l’inflation ne serait pas réduite pour autant. En effet, bien que les dépôts bancaires retirables sans préavis ne constituent pas une transaction de crédit, les banques font comme si cette monnaie leur appartenait. En effet, elles prêtent l’argent qui leur avait pourtant été confié dans le but principal de le maintenir en sécurité. Toutefois, elles n’agissent pas illégalement puisqu’il s’agit d’une réglementation gouvernementale qui leur permet de maintenir moins d’argent dans leurs coffres que les montants qui y ont été déposé par les épargnants. Cela n’est pas illégal, mais il ne demeure pas moins vrai que par ce processus du nouvel argent voit le jour rattaché à une dette, donc sous forme de crédit et sans qu’il y ait eu épargne au préalable. Ce n’est pas illégal, mais cela ne constitue pas moins la plus grande source d’inflation. Alors les comptes bancaires sont-ils vraiment en sécurité? Certainement pas si l’on considère la perte de pouvoir d’achat qui découle de ce processus. Si l’on reconnaît bien la source du mal, comment peut-on, en son âme et conscience, continuer à accuser le marché d’en être le coupable? Serait-ce qu’il s’agit d'un bouc émissaire qui rassure ses croyances en l’État?
Puisque cette nouvelle monnaie voit le jour accompagnée de dette -les institutions financières ne prêtent pas sans intérêt- on pourrait la qualifier de «monnaie de crédit». Cela marque bien la différence avec la monnaie d’espèces qui constituait un actif n’ayant pas de dette comme contrepartie. À son tour, cela rappelle l’origine de la monnaie, soit comme une richesse en soi. Toutefois, cette qualification porte à confusion, à savoir que la «monnaie de crédit» n’existerait qu’à travers les transactions de crédit, ce qui est faux. Elle sert à toutes les transactions, y compris celles qui permettent d’échanger différents «biens présents» entre eux, comme par exemple l'argent de son compte chèque pour des billets. Par conséquent, on continuera à la qualifier de monnaie, tout court, en s’efforçant d'en signaler les dangers dus à sa piètre qualité d’être à la fois dette et actif, du moins à sa naissance.
Étant donné qu’elle se retrouve partout, on ne peut pas dire, comme le prétendent certains, qu’un agrégat monétaire la représente mieux. Pour la même raison, on ne peut pas disculper la banque centrale quant à la création de monnaie sous prétexte que le seul agrégat monétaire dont elle a un contrôle direct augmente peu. En effet, c'est oublier qu’elle manipule les taux d’intérêt qui affectent la quantité de crédit offerte par les banques. Le processus de création de monnaie constitue bel et bien l’inflation, mais celle-ci ne se retrouve pas plus dans un agrégat que dans un autre et la banque centrale n’en constitue pas l’unique source.
On la reconnaît aux dettes qui l’accompagnent plutôt que par l’entremise d’«indicateurs d’inflation». En effet, ceux-ci ne considèrent que certains effets de l’inflation, et encore! Ils ne font aucun lien avec l’inflation monétaire qui constitue pourtant le principal facteur affectant les prix. Puisque ces indices ne signalent qu’une inflation modérée des prix, on ne remet pas en question sa compréhension de la monnaie. Il s’agit de deux erreurs donnant l’impression de s’annuler mutuellement : on considère que la monnaie est neutre et on ne voit pas toutes les conséquences de l’inflation, car on la définit autrement.
On pense que la monnaie est neutre, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de conséquence sur les prix, ou si elle les affecte, c’est de manière uniforme, de sorte que les conséquences sont négligeables, voire inexistantes. La réalité est que les gens sont affectés différemment par l’ajout de monnaie, d’abord parce que ce n’est pas tout le monde qui y a accès en même temps, ensuite parce que la consommation étant différente d’un individu à l’autre, les prix des biens et des services sont affectés tout aussi différemment. À trop voir la science économique à travers les mathématiques, dans ce cas-ci via la formule ‘PQ=MV’, on finit par s’en éloigner. L’homme n’est pas une mécanique. Voir la deuxième section de «L'échange indirect» de Ludwig von Mises.
Considérer l’inflation comme étant une hausse moyenne des prix des biens de consommation répertoriés passe à côté de plusieurs réalités, et non les moindre. L’une d’elles est que l’inflation n'affecte pas seulement les biens de consommation, elle se retrouve aussi dans les marchés boursiers, obligataires, dérivés, immobiliers, etc. Une autre de ces réalités est que certaines gens sont très affectés par l’inflation, d’autres peu, alors que d’autres encore en tirent avantage. L’inflation monétaire redistribue inégalement les richesses à l’avantage de ceux qui y mettent la main en premier. On doit également mentionner que les indices d’inflation comptabilisent des hausses de prix qui n’ont rien à voir avec l’inflation monétaire, ni d’ailleurs avec la cupidité des gens ou de certaines industries. En somme, il y a beaucoup d’incompréhension exprimée, car la science censée y voir clair s’est endormie sur le lit de l’idéologie étatiste. On peut toujours lui attribuer un prix de consolation dans la mesure où elle s’est relativement bien défendue à cet égard en comparaison à d’autres sciences, mais c’est dire le coup de barre à donner pour renverser cette idéologie. Et le plus tôt sera le mieux.
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