Une gestion bureaucratique et centralisée ne réussira jamais à régler les problèmes du système de santé quelque soit les montants d’argent qui y seront alloués. Il faudra combien de morts avant que l’on accepte cette évidence ?
Le jeudi 17 mai 2007
CHRONIQUE
Mourir sur une liste d'attente
Lysiane Gagnon
Oui, il y a des gens qui meurent sur des listes d'attente. Ainsi Gaston Forest, décédé récemment alors qu'il attendait le pontage et le changement de valve qui devaient être effectués à l'Institut de cardiologie de Montréal.
Nos lecteurs ont peut-être lu ce témoignage frappant que l'un de ses jeunes amis, Jean-Pierre Viau, lui consacrait dans une lettre à La Presse. «Gaston attendait pour son opération cardiaque. Il attendait, attendait, attendait... Il n'attend plus. Repose en paix, Gaston.»
M. Forest avait 81 ans et il aurait dû vivre plus longtemps. Résidant à Laval, tous les vendredis il prenait le bus et le métro pour aller passer le week-end chez sa «blonde» au centre-ville de Montréal. Une relation qui durait depuis 27 ans.
«Il était attentif à tous, mais les derniers temps furent très pénibles, me dit M. Viau. Je crois qu'il avait décidé d'abandonner sa lutte contre la maladie et le système.»
Il se trouve que juste avant la publication de cette lettre, je recevais un courriel d'un chirurgien de l'Institut de cardiologie qui s'élevait contre l'allongement des listes d'attente.
Diplômé en chirurgie vasculaire et thoracique et professeur de chirurgie à l'Université de Montréal, le Dr Louis Perrault est attaché depuis dix ans à l'ICM, où il combine des activités de clinique et de recherche.
«Depuis janvier 2007, écrit-il, une des quatre salles d'opération de l'ICM est fermée faute de personnel infirmier. Déjà, le quart des infirmières du bloc opératoire provient de l'étranger. La fermeture de cette salle est maintenue jusqu'en septembre 2007 au plus tôt, aucune solution à court terme n'est envisagée.
«Conséquemment, la liste d'attente pour la chirurgie cardiaque a fait un bond de 100 patients en trois mois, avec de nombreux patients «hors délai raisonnable». Comble de l'ironie... ou d'une mauvaise planification, un nouveau bloc opératoire de 30 millions$ comprenant sept salles d'opération ultra-modernes (remplaçant les quatre autres) est en construction et sera prêt début 2008. Combien de ces salles fonctionneront-elles vraiment, compte tenu de la pénurie de personnel?
«Au pavillon Hôtel-Dieu du CHUM, environ 60 millions$ ont été investis pour concentrer la cardiologie tertiaire et la chirurgie cardiaque des trois pavillons du CHUM sur un seul site. On construit une nouvelle salle d'hémodynamie en rénovant des salles d'opération et le département de soins intensifs. Cela a été planifié en attendant la construction du nouveau CHUM. Au dernier décompte, il manquait entre 40 et 60 infirmières de soins intensifs dans ce centre pour pouvoir consolider la chirurgie tertiaire. De nouveau, aucune solution à court terme n'est envisagée...
«Au total, environ 100 millions$ investis dans le béton sans que les ressources humaines nécessaires soient au rendez-vous! Cela n'est qu'un exemple, entre beaucoup d'autres, de gestion discutable des budgets de santé dans un domaine très pointu. Ce n'est que la pointe de l'iceberg.
«Malgré ces faits, il n'y a personne d'imputable pour ces décisions ou pour la gestion globale des argents du système de santé. C'est toujours la faute des autres, du gouvernement précédent... Ceux qui prennent les décisions maintenant seront bien loin quand les conséquences de leurs gestes seront connues. À quand une gestion de la santé indépendante des enjeux politiques pour éviter le saupoudrage électoral dans tous les comtés? À quand un système de gestion responsable et imputable afin d'éviter la déperdition des fonds dans le béton?»
La semaine dernière, toujours dans La Presse, le Dr Léon Dontigny, directeur des services professionnels à l'ICM, lançait lui aussi un cri d'alarme: «En décembre, nous avions 70 patients en attente, aujourd'hui on en a près de 250. Chaque jour, nous devons annuler le quart des opérations prévues.»
La pénurie d'infirmières est particulièrement catastrophique en cardiologie car tous les «opérés» du coeur vont aux soins intensifs, où les infirmières doivent avoir une formation spécialisée.
La priorité s'impose: former plus d'infirmières. Mieux rémunérer celles qui sont en exercice, et leur offrir de meilleures conditions de travail. Aller chercher (en y mettant le prix) les infirmières d'expérience que le gouvernement Bouchard a envoyées à la retraite et dont plusieurs sont encore assez en forme pour revenir au travail. Ce qu'il ne faut surtout pas faire, c'est abaisser les standards pour embaucher à la va-vite du personnel infirmier sous-qualifié. Les Québécois méritent mieux.
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