Revue de livre par Louise V. Labrecque
Vivre un exil à la fois intérieur et extérieur
Un exilé, c’est quelqu’un qui a des souvenirs différents. Et qui revient de loin . En littérature, il est facile de les reconnaître, ceux-là qui bâtissent sur l’expérience passée afin de recréer la vie présente, riche et sensible. Il sont radicaux, mais pas intolérants. Souvent, leur grande sagesse inspire un choix de vie, un changement de position, comme le fait de changer de lunette, ou de coiffer ses cheveux la raie sur l’autre côté. La lecture du livre-bijou de Danièle Geoffrion « Philosopher pour vivre au quotidien », marque un passage, et rassemble, des aphorismes, toujours à la fine pointe de la sagesse.
L’auteure ne revendique rien. Le monde est ainsi. Aucun pourquoi qui absorbe tous les autres. Nous retrouvons simplement l’essentiel, là, sous nos yeux. Le livre, disons-le, se lit agréablement, il respire, « souffle » en nous,- presque un lapsus, car j’allais dire « souffre »-, pour porter plus loin notre réflexion personnelle. C’est que l’auteure a bien souffert, comme nous tous, plus ou moins, et livre en transparence ses citations, sans caricature, sans effet tragique, sans méchanceté. Au contraire, on se laisse dévorer par cette compilation d’aphorismes et de pensées, si joliment présentées, non pas en vrac, mais par thèmes, chacun illustrant une sorte de virtuosité de l’ensemble.
En effet, cette lecture déploie un rythme, presque de la musicalité, dans une série de tableaux d’où émerge presque toujours la lumière, par la mise en abîme des moments difficiles, soulevés par quelques notes graves, noires, et pourtant quelquefois humoristiques, mais sans jamais verser dans l’argot ou la plaisanterie, sans jamais verser dans le pathétique ou l’angélisme.
Ce recueil de pensées nous oblige à essayer de comprendre la vie, à tirer des leçons raisonnables, à assumer le réel en acceptant d’entrer plus loin et plus profondément en nous-mêmes, à ressentir la singularité, et cela, en acceptant de se faire chatouiller un peu, non pas tant d’un point de vue moral, car c’est essentiellement par une intention humaniste, et non par sadisme ou par goût de la sensation que l’auteure évoque la longue suite d’aphorismes obligeants à réfléchir, à méditer, et à aller plus creux en soi. C’est qu’il y a eu le pire comme le meilleur, et ce qui en reste est là, entre nos mains.
Ainsi, pour chasser un cafard ou des constipations chroniques, la neutralité de ces courtes phrases invite à la méditation, au lâcher prise, et la contemplation, pour une réelle recherche d’harmonie et d’équilibre dans nos vies. Aucun lyrisme ici, seulement la réalité, presque affligeante de banalité, et pourtant crue, sans détour, et sans jamais fleurer le snobisme intellectuel, ou un univers terriblement fermé.
L’auteure est philosophe de formation, elle ne traite pas avec des personnages, aucune interdépendance entre la vie et l’imaginaire, et on comprend vite qu’elle ne vit pas que pour écrire et pour se regarder écrire. Son monde n’est pas littéraire, littéralement, et cela fait drôle d’écrire cela, mais le fait est : ce sont des aphorismes, ce sont des morceaux de vie réelle, des flux et reflux, des passions, mais pas un besoin violent de créer des personnages.
Ce petit recueil est un livre de « table à café », un livre qu’il fait bon ouvrir, à toutes heures, pour la lumière qu’il dévoile, avec ses vérités personnelles et ses secrets. Un livre à aimer comme une sœur, qui demande que nous le saisissions dans l’acte d’exister et d’agir. Un livre qui est un grouillement de vie, d’incidents, de réflexions, de désirs, et de gestes manqués. C’est écrit au « je », comme un narrateur qui cherche à comprendre, qui raconte, comme on parle à ses amis. Comment ne pas se sentir concernés ?
Danièle Geoffrion, « Philosopher pour vivre au quotidien : du sens et des mots », Les Éditions du CRAM
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