André Dorais
Suivant la crise économique de 2008 la Réserve fédérale renflouait les banques et abaissait son taux directeur. Celui-ci est aujourd’hui à un niveau historiquement bas et la Réserve fédérale est à compléter sa troisième grande injection de fonds dans l’«économie» depuis cette date. J’écris «économie» entre guillemets, car ce nouvel argent se retrouve principalement dans les comptes des banques commerciales.
De son côté, le gouvernement américain, à l’instar de la plupart des autres gouvernements touchés par la crise, augmentait ses dépenses dans le même but, soit de relancer l’économie. Ces interventions ont-elles porté fruit?
"I do think that our policies have contributed to a stronger stock market, just as they did in March of 2009." Ben BernankePoliticiens et dirigeants des banques centrales se fient beaucoup aux marchés boursiers pour déterminer si leurs politiques ont été profitables à l’«économie». Ils se fient autant, voire davantage, à l’indice des prix à la consommation pour déterminer si les bénéfices réalisés sur les marchés boursiers viennent accompagnés d’effets pervers. Je ne partage ni leur stratégie, ni leur lecture, ni leur optimisme.
D’une part, l’économie ne se résume pas aux marchés boursiers. Il suffit de préciser que de tous les marchés financiers, les marchés boursiers sont les plus petits. D’autre part les résultats des marchés boursiers, depuis mars 2009, ne sont pas aussi bons qu’ils en ont l’air. Prenons, à titre d’exemple, l’indice S&P 500, qui représente les 500 plus grosses entreprises américaines transigeant en bourse. La progression nominale de cet indice est de 70% depuis mars 2009.
Les autorités laissent entendre que l’inflation est minime, par conséquent elles concluent que celle-ci affecte peu les résultats. Est-ce vraiment le cas? Si l’on utilise l’indice des prix à la consommation comme mesure d’inflation, on peut effectivement la considérer négligeable et conclure que le rendement de l’indice S&P 500, depuis cette date, est bon. C’est-à-dire qu’il dépasse de beaucoup sa moyenne annuelle. Au-delà du fait que mars 2009 constitue le plus bas niveau atteint sur les marchés boursiers américains lors de la crise, on doit se poser la question à savoir si l’indice des prix à la consommation constitue une mesure adéquate d’inflation. En d’autres mots, cet indice représente-t-il fidèlement la perte du pouvoir d’achat?
Une critique populaire de l’indice des prix à la consommation est celle de John Williams. Celui-ci calcule ledit indice, pour les États-Unis, en se servant de la méthodologie officielle utilisée avant 1980. D’après celle-ci, l’inflation des prix serait actuellement d’environ 10% sur une base annuelle, soit quatre fois plus importante que l’inflation officielle déterminée par le Bureau of Labor Statistics.
Parmi les modifications apportées au calcul de l’inflation depuis le début des années 1980, on retrouve plusieurs quantifications d'évaluations subjectives. Le Bureau of Labor Statistics offre l’exemple suivant : deux téléviseurs sont comparés, le premier possède un écran cathodique de 27 pouces, le second, un écran plasma de 42 pouces. Le premier se détaillait 250$ l’an dernier, mais n’est plus disponible. Le téléviseur maintenant disponible se vend 1 250$. En réévaluant le téléviseur de 27 pouces comme s’il était toujours disponible selon les caractéristiques du second, les experts dudit Bureau arrivent à la conclusion que le téléviseur de 42 pouces n’est pas 400% (ou 5 fois) plus cher que l’autre, mais 7% moins dispendieux…
Il va sans dire que la traduction d’évaluations subjectives en valeurs objectives soulève des doutes quant à son impartialité. Une inflation officielle plus basse que la réalité permet, entre autres choses, au gouvernement de dévaluer davantage sa dette sur le dos de ses créditeurs. En passant, ce sont souvent les mêmes gens que le gouvernement prétend servir et pour lesquels il dit s’endetter... Cette suspicion est donc bien dirigée, mais elle ne constitue pas une remise en cause fondamentale de l’inflation. Elle prête au gouvernement l’intention de cacher l’inflation réelle, mais pas celle d’en être la source.
Prétendre que l’inflation se résume à savoir pondérer et calculer ne constitue pas une critique fondamentale de l’inflation. Pareille critique tente de démontrer, par exemple, qu’une hausse moyenne de l’inflation ne peut pas être établie à partir de biens économiques différents. Dès lors que la démonstration est établie, la définition populaire de l’inflation doit être rejetée.
Une critique fondamentale de l’inflation
La définition populaire de l’inflation se lit comme suit : une hausse moyenne des prix des biens et des services de consommation. Pour obtenir une moyenne on doit additionner ou multiplier des objets ou des ratios ayant une base commune. Par exemple, si l’on se procure une maison à 200 000$, une voiture à 20 000$ et un téléviseur à 400$, on peut dire que la somme totale déboursée est de 220 400$. Toutefois, puisqu’il n’y a pas de dénominateur commun entre ces biens économiques, on ne peut pas en tirer une moyenne.
On ne peut pas comparer les dépenses totales effectuées par un ou plusieurs individus d’une année à l’autre pour déterminer l’inflation, car non seulement cela implique l’addition de biens économiques différents, mais aussi l’interchangeabilité des dépenses des uns et des autres. Or, les dépenses des uns ne peuvent pas se comparer aux dépenses des autres pour plusieurs raisons. Les priorités des gens ne sont pas les mêmes et elles changent avec le temps, selon le lieu, les circonstances, etc. Puisqu’on ne peut pas tirer de ces calculs une moyenne qui ait un sens quelconque, on ne peut davantage en tirer une définition de l’inflation. Il s’ensuit que la définition populaire de l’inflation doit être rejetée.
Pour avoir une idée de la perte du pouvoir d’achat on n’a pas à chercher le panier de consommation représentatif de l’«homme ordinaire», encore moins établir la liste exhaustive des produits et services qui augmentent de prix d’une période à l’autre. Il suffit d’identifier la ou les causes principales de l’inflation. Les catastrophes naturelles viennent à l’esprit, mais elles ne touchent qu’une infime partie des biens économiques. L’avarice vient aussi à l’esprit, mais pour assouvir ce vice les agents économiques doivent souvent réduire leurs prix, ce qui va à l’encontre de l’inflation des prix dont on cherche la cause principale. Plusieurs facteurs expliquent la hausse des prix de certains biens et services, mais un seul d’entre eux explique la hausse générale des prix : l’augmentation de l’offre de monnaie. Puisque celle-ci en est la cause principale, elle devrait en être la définition.
Cette redéfinition de l’inflation, qui en passant était celle généralement établie il y a un peu plus de cent ans, explique mieux la volatilité des prix et les cycles économiques. Elle explique en partie la forte hausse des marchés boursiers américains depuis mars 2009 et, à moins d’une autre injection monétaire à venir, elle prédit que les gains ainsi obtenus ou bien ne dureront pas, ou bien réduiront ceux immédiatement à venir.
La plupart des économistes et autres analystes financiers sont conscients que les banques centrales prennent des risques en injectant dans l’économie d’importantes sommes d’argent, mais ils considèrent que ces risques sont bien gérés, car l’indice des prix à la consommation est faible. De leur point de vue, les conséquences négatives des injections monétaires se trouvent uniquement dans cette mesure d’inflation. Lorsque ce nouvel argent se retrouve dans les marchés boursiers, immobiliers, etc., ils n’y voient que du positif. Il s’ensuit que leurs explications des cycles économiques n’invoquent pas l’augmentation de l’offre de monnaie (injection ou inflation monétaire, assouplissement quantitatif, etc.), ils en attribuent plutôt la cause à l’avarice, à une demande déficiente ou, à l’opposé, un contrôle déficient.
Parce qu’une majorité d’économistes voient l’inflation uniquement à travers l’indice des prix à la consommation, ils tendent à la sous-estimer. En effet, pratiquement toutes les mesures d’offre de monnaie indiquent un taux plus élevé que l’indice des prix à la consommation. Dans cette perspective, les rendements boursiers ne sont pas aussi élevés qu’ils ne l’indiquent puisqu’ils sont eux-mêmes bénéficiaires de l’inflation, soit du nouvel argent introduit dans l’économie.
On peut chiffrer le nouvel argent introduit dans l’économie, mais il est pratiquement impossible de préciser exactement où il va et dans quelle proportion. Pour avoir une idée approximative de l’inflation des prix on peut utiliser la mesure d’offre de monnaie TMS, certainement l’une des mesures d’inflation les plus justes qui soit. TMS indique une inflation moyenne de quelque 8,84% par année depuis les 10 dernières années, tandis que l’indice des prix à la consommation, pour la même période, indique une inflation moyenne de 2,36%.
Dans l’hypothèse irréaliste que le nouvel argent se retrouve dans un même délai partout de manière égale, on doit conclure, entre autres choses, que l’indice des prix à la consommation est sous-estimé d’environ 6,50% (8,84% - 2,36%) annuellement depuis 10 ans, tandis que les marchés boursiers et autres marchés financiers sont surestimés dans les mêmes proportions. J’écris «irréaliste», car l’argent créé par les banques centrales et les banques commerciales ne se retrouvent pas partout de manière égale. Cette hypothèse a pour unique bénéfice de faciliter le calcul et d’offrir un ordre de grandeur.
Dans cette perspective, les gens qui ont investi dans les marchés boursiers lors des deux dernières années s’en tirent relativement bien, mais pas autant que les politiciens et les dirigeants des banques centrales le laissent entendre. On ne peut en dire autant de ceux qui ont investi dans les obligations gouvernementales. En effet, considérant une inflation de trois à quatre fois plus élevée que celle indiquée par les autorités, très peu de ces obligations offrent un rendement positif.
On doit rappeler que la majorité des gens qui investissent dans les obligations gouvernementales veulent avant tout maintenir la valeur de leur capital monétaire. Or, si l’inflation est plus élevée que les données officielles, c’est-à-dire que le pouvoir d’achat est plus faible que les autorités le laissent entendre, on doit conclure que plusieurs investisseurs n’atteignent pas leur objectif puisqu’ils subissent une perte nette de leur capital.
À l’opposé, les gouvernements qui émettent cette dette, et plusieurs agents économiques qui empruntent de l’argent sur une longue période, s’en tirent relativement bien puisqu’ils ont à rembourser leurs dettes à moindre coût à cause de cette inflation plus élevée. Ainsi, on peut dire, en généralisant, que dans le monde actuel l’emprunteur est récompensé et l’épargnant, pénalisé. Vices et vertus se retrouvent sens dessus dessous!
Considérant que les dettes gouvernementales s’accumulent à un rythme fou, que la majorité des politiciens, économistes et autres experts de la finance préfèrent trouver des boucs émissaires plutôt que d’assumer la responsabilité de cette dérive, il y a peu d’espoir de l’arrêter dans un avenir rapproché. De ce point de vue, on peut concevoir que les investisseurs soient incités à prendre plus de risque, non pas dans le but d’en obtenir un profit plus grand, mais dans celui, plus triste, d’en obtenir une perte réelle moins élevée.
L’inflation, c’est-à-dire l’inflation monétaire, est toujours destructrice de richesse malgré ses effets enivrants à court terme. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’elle est offerte en grande quantité. L’augmenter sans cesse conduit tôt ou tard à un appauvrissement généralisé. Cette redéfinition de l’inflation permet de la classer parmi les mesures distributives de richesse, soit l’imposition et la taxation. D’aucune façon peut-elle faire partie des mesures productives de richesse. Pour ces raisons, les autorités ne veulent pas la redéfinir. Bien qu’elles disent travailler pour le public, on doit se rendre à l’évidence qu’elles travaillent d’abord et avant tout pour elles-mêmes.
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