Stéphane Laporte dans le texte qui suit oppose l’efficacité des Patriots à l’ineptie des cols bleus. Le « canyon » qui sépare l’organisation du travail des deux équipes explique leur performance respective.
Si le football était un monopole d’État et que les joueurs étaient syndiqués, quelle serait la fiche de Bill Belichick? Probablement 0 – 19. Les Patriots serait la risée du monde entier.
L’efficacité d’une équipe résulte de l’utilisation optimale de chacun des joueurs. Si les joueurs de Bill Belichik choisissaient leur position selon l’ancienneté qu’arriverait-il? Si les politiciens dictaient au club les heures de pratiques, le menu des joueurs, les conditions d’emplois, etc. croyez-vous vraiment que Bill aurait une fiche de 19-0?
Le dimanche 03 fév 2008
Si les Patriots étaient les cols bleus
Stéphane Laporte
La Presse
Dix-huit victoires, aucune défaite. C’est la fiche des Patriots de la Nouvelle-Angleterre en ce moment. S’ils gagnent le Super Bowl, ils auront une fiche parfaite. 19-0. Qui a dit que la perfection n’était pas de ce monde ? Un paresseux.
Imaginez, si les Patriots étaient les cols bleus de Montréal, il n’y aurait plus un seul nid-de-poule dans toute la ville de Montréal. La neige qui tombe aujourd’hui serait déjà ramassée. La ville serait nickel. On pourrait manger sur les trottoirs.
Bien sûr, la perfection en groupe n’est pas facile à atteindre. Des petits parfaits isolés, c’est plus courant : Nadia Comaneci, Tiger Woods, Mario Dumont. C’est rare, mais ça se peut. Un ensemble parfait, c’est un miracle.
Supposons que Tom Brady est un col bleu. Son quart de travail débute à 9 h. Il est là à 8 h. Il a posé tous les cônes orange autour du trou. Il a nettoyé le trou, commencé à briser la chaussée abîmée. Il attend les gars pour couler le nouveau revêtement. Les gars arrivent à 10 h. 9 h, c’était l’heure pour aller chercher le camion. Ils sont arrêtés au Tim Horton pour la pause de 9 h 30. Ils ont mangé leurs Timbits. Ils sont prêts à bosser. Ils aperçoivent Brady qui a presque terminé l’ouvrage. Il est allé chez Rona acheter du ciment et une chaudière et il est en train de le poser à la spatule. Tout est égal. Tout est lisse. La rue a l’air d’une fresque de Michel-Ange. Les boys ne sont pas contents :
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— Ben je répare le nid-de-poule...
— Ça presse pas...
— Celui-là est presque terminé, on va pouvoir aller faire ceux sur Papineau.
— Wô le casque ! On avait calculé trois jours pour faire ce nid-de-poule-là. La rue Papineau, on n’est pas censé être là avant la semaine prochaine.
— Voyons les gars ! Vous ne voulez pas être les meilleurs cols bleus au monde ? ! Que votre ville soit la plus belle ville au monde ? ! Être fiers de votre travail ? ! Être des exemples pour la société ? ! Que les parents disent à leurs enfants : « Un jour, si tu travailles fort, tu deviendras un col bleu de Montréal » ? ! Et les enfants s’endormiront en serrant leur figurine de col bleu ! Allez les amis, donnez-moi un C ! Donnez-moi un O !
— Donnez-moi un N... Comme dans con ! Les nerfs, le jeune ! Tu vas apprendre à travailler en équipe. Et l’équipe a prend un break.
— Et la rue Papineau ?
Dans six mois, Tom Brady sera semblable aux autres. Ça lui prendra deux jours pour placer les cônes. Un groupe, ç’a toujours tendance à pousser vers le bas. La chaîne est aussi forte que son maillon le plus faible. C’est pour ça qu’il y a tant de chaînes à réparer.
Pour élever un groupe vers le haut, ça ne prend pas un leader. Il faut que chaque membre du groupe soit un leader. Il faut que chaque membre du groupe veuille se dépasser. Tom Brady a beau être un génial quart-arrière, si sa ligne offensive ne le protège pas, il sera transformé en pouding par la ligne défensive des Giants.
Pour réveiller le meilleur en chaque individu, ça prend un grand coach. Si Bill Belichick était le président du syndicat des cols bleus, tout serait différent. Il aurait fait réaliser à sa gang que la meilleure façon d’être augmentés, d’être estimés, d’être heureux au travail, c’est en travaillant. Donner moins et vouloir plus, c’est fatigant. C’est déprimant.
Les joueurs qui jouent pour toutes les équipes éliminées de la NFL font autant d’argent que les joueurs de la Nouvelle-Angleterre. Ils ont les mêmes Ferrari, les mêmes grosses maisons, les mêmes jets privés. Et aujourd’hui, au lieu de se faire casser en deux en Arizona, ils sont en vacances aux Bermudes. Qu’ont-ils à envier aux Patriots ?
Une seule chose. Qui n’est même pas une chose. Qui ne se touche pas. Qui ne flashe pas. Un sentiment qui vaut plus que toutes les bébelles. Le sentiment du devoir accompli. Le sentiment d’avoir réussi quelque chose en gang. D’avoir réussi à faire fonctionner un groupe d’hommes ensemble. Depuis Adam, c’est la plus périlleuse des tâches. Aussitôt qu’ils ont été deux au paradis, le paradis n’en était plus un. Et le monde depuis, ce n’est que ça, des gens qui n’arrivent pas à faire de quoi ensemble. Ils se jalousent, s’envient, se déchirent, se blessent, se tuent.
C’est pour ça que je prends pour les Patriots aujourd’hui. Les underdogs sont toujours bien séduisants. Mais aujourd’hui les superdogs sont à trois heures de réussir un exploit trop monumental, trop rare, trop contre toute attente, pour ne pas être de leur côté.
Les Giants sont les underdogs face aux Patriots. Mais les Patriots sont les underdogs face au destin. On n’est pas censé se rendre là où ils sont presque arrivés. Il y a toujours une malchance, un ballon qui glisse, un botté raté qui fait que l’on perd dans la vie. Tout est une question de moyenne. Tout s’égalise. Sauf la saison 2007-2008 des Patriots. Elle peut faire partie des exceptions dont on parlera encore dans 30 ans.
Dans ce monde imparfait, ce serait bien, ce soir, d’avoir une vision de perfection. Mais si ce n’est qu’une illusion. Mais si ce n’est que du football. Avoir un exemple que lorsque des hommes travaillent ensemble, même l’impossible est atteignable.
Go Pats go ! Et go cols bleus go !
1 commentaire:
T'aurais pas lu "Qui veut tuer le plaisir au travail ?" toi ?
En tout cas, très bon texte.
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