André Dorais
La dernière fois qu’on a enregistré une déflation en Amérique remonte au début des années 1930. Cela a peu de chance de se reproduire aujourd’hui non pas parce que les hommes de l’État ont appris de leurs erreurs, mais parce qu’ils se sont donnés les moyens de produire la monnaie à volonté. La banque centrale considère l’inflation comme une panacée et l’utilise à la moindre occasion.
J’entends l’inflation au sens «autrichien» du terme, soit comme hausse de la «quantité» de monnaie et la déflation comme une baisse de celle-ci. De façon plus précise, étant donné que la monnaie utilisée aujourd’hui ne se mesure plus au poids, on dira que l’inflation constitue une hausse de la valeur nominale de la monnaie, mais une baisse de sa valeur réelle, c’est-à-dire en terme de biens et de services. À l’inverse, la déflation constitue une baisse de la valeur nominale de la monnaie, mais une hausse de sa valeur réelle.
Malheureusement, ces définitions ne sont pas celles couramment utilisées. Les définitions usuelles de l’inflation et de la déflation sont respectivement une hausse moyenne des prix des biens et des services de consommation et une baisse moyenne des prix des biens et des services de consommation. C’est malheureux, car ces définitions ne couvrent qu’une infime partie des conséquences de l’inflation au sens autrichien, soit l’«inflation monétaire» pour abréger et la distinguer de la définition courante, qui renvoie plutôt à une inflation des prix.
Étant donné que les conséquences de l’inflation (monétaire) ne sont pas relevées ailleurs dans l’enseignement populaire de la science économique, on doit conclure qu’un pan de réalité lui échappe. Pis encore, ces définitions conduisent les autorités à intervenir davantage dans l’économie sous prétexte de corriger la hausse des prix qu’elles attribuent à des tiers, mais dont elles sont en réalité elles-mêmes responsables.
Au début des années 1930 l’or servait encore de monnaie, ce qui constituait un frein à l’inflation (monétaire). Ce frein naturel à l’inflation est aujourd’hui interdit par les hommes de l’État. Ceux-ci ont donc les mains libres pour produire toute l’inflation qu’ils jugent nécessaire pour atteindre leurs objectifs, ce qui rend la déflation (monétaire) pratiquement impossible.
Pratiquement impossible signifie qu’il y a néanmoins possibilité de déflation, mais que celle-ci est peu probable étant donné que l’État la combat par l’inflation. Il la combat, car il en a une peur bleue. Il croit qu’une baisse générale des prix incite les gens à retarder leur consommation et puisqu’il considère celle-ci comme moteur de l’économie, il cherche à lui faire obstacle. Or, quand bien même on lui accorderait que la consommation est le «moteur» de l’économie,
ce qui est faux, les gens ne s’arrêteront pas de consommer. Après tout, ils doivent bien se nourrir, se vêtir, se loger, etc. Malgré cette peur irraisonnée, les hommes de l’État croient posséder des connaissances supérieures, de sorte qu’ils remettent rarement en question leurs pouvoirs. Parce qu’ils ont également les monopoles de la force et de la justice, ils n’hésitent pas à accuser autrui des maux qu’ils ont eux-mêmes causés.
La déflation serait possible si l’État appliquait aux banques les règles qu’il applique généralement aux entreprises des autres secteurs d’activités, à savoir de ne pas leur venir en aide avec l’argent des contribuables. Ce faisant, le processus des réserves fractionnaires tendrait à se renverser. C’est-à-dire que les prêts octroyés n’ayant aucune épargne en contrepartie seraient rappelés, ce qui conduirait plusieurs individus et entreprises à abandonner leurs projets et à déclarer faillite. Comme on l’a constaté depuis le début de la crise économique aux États-Unis et un peu partout dans le monde, cela ne semble pas dans l’air du temps. L’État tient à son monopole sur la monnaie.
Une déflation serait également possible si la banque centrale exigeait des banques commerciales une hausse des réserves liquides à maintenir dans leurs coffres. Cela renverserait le processus des réserves fractionnaires, par conséquent réduirait la masse monétaire. Cette pratique est utilisée de temps à autre, mais pas de manière suffisante et systématique pour contrecarrer l’inflation. Enfin, on constaterait une déflation si la banque centrale vendait ses actifs, mais si l’on en juge par ceux qui restent dans les coffres de la Réserve fédérale -Fannie Mae, Freddie Mac et plusieurs autres actifs dits «toxiques»-, cela s’apparenterait à une vente de feu qui n’aurait pas de conséquence à long terme. La déflation est donc possible, mais peu probable.
Dès lors qu’on admet que la déflation est pratiquement impossible, on doit conclure qu’une baisse générale des prix, ou une déflation des prix, n’a guère plus de chance d’advenir puisqu’elle en est une conséquence. En effet, dès lors qu’il y a moins de monnaie en circulation, celle-ci gagne en pouvoir d’achat, c’est-à-dire que chaque unité de monnaie achète davantage de produits et de services. En d’autres mots, les prix des biens économiques s’avèrent moins dispendieux pour les consommateurs.
Étant donné que la pratique usuelle, partout dans le monde, y compris au Japon, est de combattre la déflation coûte que coûte au moyen de l’inflation, la déflation des prix s’avère donc peu probable. Elle est néanmoins plus probable que la déflation monétaire, car elle est aussi tributaire de la productivité du marché, qui tend à réduire les prix à l’avantage de tous.
En résumé, la déflation, aussi bien monétaire que des prix, a peu de chance de voir le jour tant que les dirigeants de la banque centrale et les gens qui les conseillent ne se rallient pas aux conceptions autrichiennes de la monnaie, de la déflation et de l’inflation. Ce n’est malheureusement pas demain la veille, car cela reviendrait à avouer leur culpabilité pour les crises économiques. On peut se poser la question à savoir s’il s’agit d’ignorance ou d’hypocrisie.
D’une part, l’État sauve les banques de la faillite qui sont indispensables au maintien de son monopole sur la monnaie. D’autre part, il les accuse de tous les maux, non pas tant pour dévier l’attention qui devrait porter uniquement sur lui, mais parce qu’il les croit vraiment coupable et qu’il a le pouvoir d’en faire ce qu’il veut, notamment de les forcer à prêter l’argent qu’il leur donne. Évidemment, cela ne se ferait pas sans conséquence, mais c’est juste pour dire que jamais le monopole d’État sur la monnaie n’est remis en question. Si c’est de l’hypocrisie, alors le principal coupable des crises économiques a effectué un excellent travail d’endoctrinement puisque pratiquement tout le monde mord, y compris les soi-disant experts.
Une conception erronée de la déflation
Comme le précise Gary North dans
une série d'articles à ce sujet, la déflation ne survient pas à cause du nombre élevé de faillites des entreprises en général, mais uniquement à cause du nombre élevé de faillites des banques. Hormis les banques centrales, seules les banques commerciales ont le pouvoir de créer de l’argent. Ce pouvoir leur est accordé par l’État et seul il permet de déterminer s’il y a inflation ou déflation.
Il n’y a pas de déflation lorsqu’un individu ou une entreprise perd de l’argent suite à un investissement qui a mal tourné. De même, il n’y a pas d’inflation lorsqu’un individu ou une entreprise fait un profit sur son investissement. Inflation et déflation ne sont pas synonymes de profit et perte. L’inflation et la déflation décrivent uniquement la valeur nominale de la monnaie qui se trouve à portée de mains des individus, soit à la maison, dans leurs poches ou dans leurs comptes chèque. Dès lors qu’un montant d’argent est investi, on ne peut plus parler en ces termes, c’est-à-dire que les concepts de déflation et d’inflation font place à ceux de profit et perte. Ces distinctions permettent de distinguer la production de monnaie de l’efficacité à l’utiliser.
En somme, tant qu’il y aura monopole sur la monnaie la déflation demeurera improbable. Pour l’heure, la banque centrale se sert de la déflation comme épouvantail. Cela réduit les critiques à son égard, lui donne le temps de trouver des boucs émissaires et lui permet de justifier son monopole. En s’y accrochant par tous les moyens, l’État appauvrit et dérobe la population à petit feu. Les définitions actuelles de l’inflation et de la déflation ne manquent pas seulement de rigueur, elles sont tendancieuses. Elles permettent à l’État de se disculper des crises économiques dont il est le principal responsable.