Par Philippe Lacoude.
Dans leur enquête biannuelle sur l’évolution de l’économie mondiale à court et à moyen terme, les économistes du FMI révisent la croissance de l’économie mondiale de 2,7 % à 2,9 % pour 2023.
Selon eux, cette relative embellie de 0,2 % au niveau mondial, par rapport à l’enquête précédente, aurait surtout lieu aux États-Unis (+0,4 %), en Allemagne (+0,4 %), en Italie (+0,8 %), en Chine (+0,8%) et en… Russie (+2,6 %).
Comme le rappelle ici Kristalina Georgieva, la directrice du FMI, il n’en reste pas moins qu’un tiers des économies mondiales seront bel et bien en récession.
La Chine
Le cas de la Chine est plus qu’incertain.
D’une part, la production industrielle des usines chinoises a diminué pour le troisième mois consécutif et au rythme le plus rapide en près de trois ans alors que les infections de Covid-19 se sont propagées dans les usines du pays (ici).
Les ports sont plus ou moins à l’arrêt. À Shanghai, de loin le premier port au monde, l’indice CAx – qui enregistre le remplissage des containers à l’entrée relativement à celui de ceux qui sortent d’un port – est à un niveau historique de 0,65 : aujourd’hui, il y a plus de containers pleins qui entrent à Shanghai qu’il n’en sort !
Fin 2020, le CAx à Shanghai était aux alentours de 0,10 signifiant que 10 fois plus de containers pleins quittaient le port qu’il n’en rentrait ! En d’autres termes, l’industrie chinoise tourne aujourd’hui à bas régime. Les grutiers font des piles de containers vides jusqu’à 7 étages !
D’autre part, l’immobilier, plombé par la hausse des taux d’intérêt, voit le prix des maisons chuter pour le septième mois consécutif dans 100 grandes villes, dans un contexte de surendettement généralisé : les constructeurs croulent sous les dettes alors même que les inventaires augmentent, ne trouvant plus d’acheteurs (ici).
À ceci s’ajoute le fait que les données économiques publiée par le Parti communiste chinois sont d’une qualité fort douteuse.
En conséquence, contrairement au FMI, il faudrait prendre la prévision d’une forte croissance chinoise de +5,2 % pour 2023 avec circonspection. Ceci d’autant plus que la prévision officielle du gouvernement communiste est en deçà de celle du FMI, à seulement 5,0 % !
Comme l’économie chinoise pèse 18 % de l’économie mondiale, si la prévision de croissance du FMI s’avère surestimée d’environ 1 %, – comme le pense la Banque mondiale –, la révision de la prévision de croissance de l’économie mondiale de 2,7 % à 2,9 % pour 2023 n’aurait même pas lieu d’être !
La Russie
La Russie ne représente qu’un dixième du poids de l’économie chinoise, ou encore 1,8 % de l’économie mondiale.
Autant dire que quelle que soit l’erreur de prévision de sa croissance, elle ne pèsera pas sur celle de l’ensemble du monde.
Néanmoins, nous pouvons là aussi nous étonner des chiffres du FMI : celui-ci estime que le PIB russe a reculé de seulement -2,2 % en 2022 alors même que la Banque mondiale évalue ce recul à -3,5 %.
Le FMI prévoit même que l’économie russe sera en croissance de +0,3 % en 2023, preuve que la production de tracteurs à tourelle a de l’avenir…
Plus prudente, la Banque mondiale table sur une récession de -3,3 % pour cette année.
Ceci est plus plausible dans la mesure où les sanctions des pays développés – Union européenne, États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Corée du Sud et Japon – ont mis l’économie russe dans une situation absolument désespérée.
Cycle économique
En plus de devoir anticiper à la fois l’issue de la guerre en Ukraine et la fin de l’épidémie de Covid-19 en Chine, une bonne prévision économique mondiale doit nécessairement anticiper le niveau de l’inflation à la fin de l’année.
En effet, la croissance réelle est en fait la croissance nominale moins le taux d’inflation.
Ce dernier est plus ou moins inconnu.
Comme nous l’avions vu dans un billet précédent, il dépend en effet principalement de la création monétaire de la banque centrale et, dans une moindre mesure, de la croissance réelle de la production et de la vitesse de circulation de la monnaie.
Or, la création monétaire de la banque centrale – qu’il s’agisse de la Réserve fédérale américaine (Fed) ou de la Banque centrale européenne (BCE) – dépend elle-même de la politique de taux d’intérêt menée par cette dernière.
Nous ne pouvons pas savoir à quel point les banques centrales remonteront les taux d’intérêt afin de limiter la création monétaire dans le but de mettre un frein à l’inflation.
S’il semble que l’inflation est en baisse, elle n’en reste pas moins bien au-dessus de la « normale », c’est-à-dire des objectifs des dirigeants de ces banques centrales – et il est possible qu’ils continuent d’augmenter les taux d’intérêt, plus lentement mais sûrement.
Il est un fait que les périodes de hausse des taux d’intérêt qui suivent des périodes inflationnistes où les taux étaient bas et la production de monnaie additionnelle élevée favorisent les ralentissements économiques (ici).
Dans la dernière période de forte inflation – au cours des années 1970 – les banques centrales augmentaient les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, et dès que celle-ci diminuait un peu, elles les baissaient à nouveau pour limiter le ralentissement économique et l’inflation repartait de plus belle (ici). Ceci a donné une suite de poussées d’inflation avec des pics toujours plus hauts.
Pour cette raison, dans ce contexte de luttes contre l’inflation créée pendant la pandémie, les croissances américaine et européenne sont plus qu’incertaines.
Les États-Unis
Aux États-Unis, le Conference Board, un institut de prévision indépendant, prévoit dans sa dernière note en date du 15 mars que la faiblesse économique s’intensifiera et se propagera plus largement dans l’ensemble de l’économie américaine au cours des prochains mois, entraînant une récession dès le présent trimestre.
Cette perspective est associée à une inflation persistante et à la politique belliciste de la Réserve fédérale. Il prévoit que la croissance du PIB réel ralentira à 0,3 % en 2023, puis rebondira à 1,6 % en 2024.
Selon l’Association nationale des économistes d’entreprise (NABE), après un premier semestre positif, l’économie américaine connaîtrait une récession en milieu d’année avec un lent redémarrage au quatrième trimestre.
Somme toute, un scénario assez similaire à la petite récession de l’an passé.
Ceci peut paraître étrange après les bons chiffres du quatrième trimestre 2022 mais ces derniers sont en trompe-l’œil : en effet, les 2,9 % de croissance annualisée sont pour partie dus à un accroissement de la dépense publique (+0,4 %), aux importations (+0,7 %) et surtout à l’accroissement des stocks (+1,5 %).
Les commentateurs qui ont fait l’exégèse de ces 2,9 % pensent-ils vraiment que les augmentations de la dépense publique et des stocks de produits invendus sont une bonne chose ? La comptabilité nationale est un art plein d’écueils si sa lecture ne repose pas sur de solides bases de théorie économique.
Sur le papier, les chiffres de l’emploi sont excellents. Le Bureau of Labor Statistics (BLS) a rapporté que le nombre de personnes s’inscrivant nouvellement au chômage est tombé à 186 000 par semaine, son plus bas niveau en neuf mois. Le taux de chômage demeure à 3,5 %, au plus bas depuis un demi-siècle. Et il y a environ 10,5 millions d’offres d’emploi insatisfaites.
Pour beaucoup d’observateurs, comme le keynésien Paul Krugman (ici), les rapports du BLS sont singuliers dans le sens où ils ne correspondent pas à ce qu’ils connaissent d’une économie entrant en récession.
Et pourtant, dans un contexte de forte inflation où les salaires évoluent à la hausse moins vite que le niveau général des prix, la main-d’œuvre devient de moins en moins chère. Les salaires – le prix du travail – baissent en termes réels.
S’il y a bien 10,5 millions d’offres d’emploi insatisfaites, elles le sont à des salaires réels qui sont donc de plus en plus bas à mesure que les prix montent…
Comme nous l’avions noté dans un précédent billet, en 3 ans, la famille américaine moyenne avait enregistré un gain de 5003 dollars annuels entre l’entrée en fonction du président Trump et le début de la pandémie. Sous les présidents G. W. Bush et Obama, les gains de revenus réels du ménage médian avaient atteint 400 dollars et 1043 dollars, respectivement, en huit ans.
Tout ce progrès économique a été annulé par l’inflation. En fait, les salaires réels – c’est-à-dire ajustés pour l’inflation – sont au plus bas depuis 25 ans selon un récent rapport de la Fed.
On trouve donc aisément un emploi mais il est payé substantiellement moins que l’an dernier, si l’on tient compte de la hausse des prix (ici), comme il se doit.
D’ores et déjà, un grand nombre d’entreprises importantes ont été obligées de licencier en masse à cause de l’état de leurs affaires : dans les trois derniers mois, Microsoft a dû se séparer de 10 000 employés, Google de 12 000 employés, en plus de 10 000 chez Facebook et 18 000 chez Amazon (qui a enregistré ses premières pertes depuis 2014), sans compter au moins 4000 chez Twitter – au bord de la faillite lorsqu’Elon Musk l’a reprise.
Ce phénomène a déjà affecté 200 000 emplois dans tous les secteurs. Le marché de l’emploi ralentit. Même la radio publique, NPR, a annoncé une coupe de 10 % de ses effectifs à cause de l’effondrement des recettes publicitaires. La firme de conseil McKinsey, pourtant plus ou moins immune au cycle des affaires, compte réduire ses effectifs de 2000 collaborateurs.
Quelques voix discordantes parlent même d’une forte récession.
En particulier, l’immobilier semble être au début d’une récession qui sera pire que celle de 2008. En effet, la récente baisse des prix après les sommets de 2022 est plus forte que celle qui a suivi les sommets de 2006.
Les taux d’intérêts sur les prêts hypothécaires à 30 ans (ici), passés de 2,65 % à 7,08 % rendent les prix des maisons insoutenables. Les permis de construire s’effondrent.
À ceci s’ajoute le fait que les Américains ont 960 milliards d’encours de carte de crédit, en hausse de 18,5 % en seulement un an, alors même que les intérêts s’envolent ! À chaque hausse du taux d’intérêt de la Fed de 1 %, les Américains finissent par payer 6,8 milliards de dollars d’intérêts de plus en un an.
Les projets industriels financés par l’emprunt à des taux variables courts étaient peut-être profitables lorsque les taux étaient proches de 0 %. Mais, hélas, beaucoup d’entre eux deviennent insolvables du fait de la hausse des taux d’intérêts par la Fed.
Ceci est complètement familier pour les économistes qui étudient le cycle économique (1, 2, 3, 4, 5, 6) même si cela reste un mystère pour Paul Krugman.
En conséquence, les banques qui ont financé des projets obérés par la hausse des intérêts d’emprunt se retrouvent en grande difficultés financières : c’est pourquoi nous venons de vivre tour à tour la faillite spectaculaire de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank.
La première s’était séparée de sa Chief Risk Officer, il y a un an, pour la coquette et inexpliquée somme de 7 millions de dollars d’indemnités de départ. La banque consacrait de gros efforts aux causes marxistes post-modernes à la mode. Sans surprise, elle comptait le gouverneur démocrate parmi ses gros déposants. Il s’est d’ailleurs empressé de demander l’aide du président Biden pour la sauver…
La seconde comptait dans son conseil d’administration le démocrate Barney Frank, un ancien membre démocrate de la commission bancaire de la Chambre des représentants, qui a pourtant fait sa carrière de la lutte contre les banques. Il avait trouvé à la Signature Bank un « modèle économique qu’il aimait [car] la banque n’utilisait ni produits dérivés exotiques ni couvertures de défaillance [credit default swaps en anglais] ».
Hélas, sans ces produits de couverture, le passif d’une banque peut rapidement dépasser l’actif lors d’un changement brutal de la courbe des taux…
Les banques se servent des dépôts – nécessairement de court terme et très peu rémunérés – pour prêter à long terme sur 5 à 20 ans.
Dans la vaste majorité du temps, les taux à court terme sont bas et les taux à long terme sont plus hauts car ils représentent des engagements plus risqués et plus contraignants pour les prêteurs.
Mais lorsque les banques centrales remontent les taux courts, parfois au-dessus des taux longs, fixés par la loi de l’offre et de la demande sur les marchés, elles forcent les banques commerciales à emprunter à court terme à un taux élevé pour prêter à long terme à un taux moindre.
Pour peu que les dépôts baissent – comme dans le cas de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank – les pertes s’accumulent rapidement.
Or, il est un fait que l’ensemble des banques américaines les plus vulnérables ont perdu 1000 milliards de dépôts en seulement un an.
Comme l’explique si succinctement Elon Musk, pourquoi laisser son argent se dévaluer dans un compte courant lorsque l’inflation est à 10 % et les taux obligataires courts à 5 % ou plus ?
De plus, certains projets industriels financés par des emprunts à taux courts deviennent rapidement déficitaires. À l’actif, les bilans bancaires pourrissent. Le crédit se tarit…
Comme on peut le voir sur le graphique suivant, il n’y a jamais eu de période où les taux courts (ici, 2 ans) étaient supérieurs aux taux longs (ici, 10 ans) qui ne soit immédiatement suivie d’une récession :
À supposer que la Fed ne commence pas à rapidement baisser les taux d’intérêt – ce qui raviverait l’inflation – les problèmes bancaires et immobiliers vont ainsi continuer à persister.
Le futur pourrait donc donner raison à tous ces prévisionnistes privés qui sont moins optimistes que ceux du FMI et divergent d’au moins 1 %…
L’Europe
Le cas de l’Europe est similaire sinon exactement identique à celui des États-Unis et pour les mêmes raisons : l’argent du Covid-19 – souvent consacré à payer les individus à rester chez eux en se tournant les pouces – a coulé à flots et fini maintenant par créer de l’inflation.
Dans la zone euro, 23,6 % de la monnaie en circulation en janvier 2023 n’existait pas en janvier 2020. Cette création monétaire de 3079 milliards d’euros (!) en trois ans ne correspond bien évidemment à aucun accroissement proportionnel de la production réelle.
Selon le bulletin statistique de la BCE du 27 février 2023, les espèces en circulation ont augmenté de 2307 milliards d’euros, soit 25,7 % d’argent en plus, qui n’existait simplement pas en janvier 2020.
Les crédits aux États centraux de la zone euro ont augmenté de 1696 milliards d’euros depuis janvier 2020 : la pandémie a été le prétexte de toutes les gabegies.
Dans un tel contexte, il est en fait étonnant que l’inflation ne soit pas considérablement plus forte et il est fort à parier que l’inflation continuera pendant encore plusieurs mois avant que toute cette fausse monnaie soit absorbée par des prix plus élevés.
Sûrement, les efforts de la BCE pour restreindre le crédit porteront exactement les mêmes fruits qu’aux États-Unis : les dépôts bancaires baisseront, les banques devront emprunter à un taux court supérieur à celui auquel elles prêtent à long terme, de nombreux projets industriels deviendront insolvables ce qui aggravera d’autant les bilans bancaires.
S’il existe vraiment 186 banques en difficulté aux États-Unis, il est probable que de nombreuses banques européennes n’ont pas plus couvert leur potentiel écart de duration que Silicon Valley Bank et Signature Bank.
À ce sujet, le cas du Crédit Suisse, forcé à la vente par le gouvernement fédéral suisse, est un cas intéressant. En effet, la Suisse n’est pas à l’abri des faillites bancaires malgré une très bonne gestion monétaire, peu d’augmentation de la masse monétaire et une inflation faible.
Ses grandes banques opèrent aussi bien en Europe qu’au Royaume Uni et en Amérique du Nord. Elles souffrent donc pareillement de la hausse des taux et de l’accumulation de prêts qui ne seront jamais remboursés.
En ce sens, le rachat forcé du Crédit Suisse par la banque UBS – qui n’a pourtant que 45 milliards de dollars de fonds propres pour 1104 milliards d’actifs – est-il vraiment un sauvetage ?
Là encore, tous ces facteurs rendent la projection du FMI d’une croissance européenne moyenne de 0,7% assez optimiste…
Conclusion
Si le FMI se trompait d’environ 1 % pour la Chine et les États-Unis, soit près de 40 % de l’économie mondiale, sa prévision de croissance de septembre 2022 n’aurait pas lieu d’être révisée à la hausse de 0,2 % mais plutôt à la baisse d’environ le double…
Il y a une vingtaine d’années, mes collègues de la Heritage Foundation avaient étudié les prévisions du FMI. Systématiquement optimistes, celles-ci tendaient à être d’autant plus biaisées que le FMI avait investi dans les pays qu’il prétendait aider !
Les mois qui viennent nous diront si l’embellie annoncée par le FMI se matérialise ou si ses prévisionnistes utilisent toujours la méthode Coué…