Chaque Québécois doit plus de 34 000 $ au provincial seulement

Vaut mieux en rire!

Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

31 mai, 2022

Le libre-échange, seul rempart face à la montée des périls

 Par Pierre Robert.

Une crise alimentaire sévère se profile à court terme. Pour certains la planète alimentaire serait même au bord du gouffre.

 

Une planète alimentaire au bord du gouffre

Avant la guerre en Ukraine la situation des marchés agricoles était déjà tendue pour des raisons à la fois climatiques et logistiques. Le conflit à haute intensité qui se déroule sur le sol européen n’a évidemment rien arrangé. Il met aux prises deux puissances dont les exportations cumulées représentaient récemment encore près de 30 % du commerce mondial du blé et qui apportent une contribution décisive à la fourniture d’engrais.

Or les ports ukrainiens sont désormais totalement paralysés et plus de 20 millions de tonnes de blé sont bloqués dans les silos de ce pays. Une bonne partie de ces stocks a toutes les chances d’y pourrir. De surcroît la récolte à venir non seulement va souffrir des hostilités mais ne pourra pas y être entreposée, ce qui laisse augurer de difficultés encore plus grandes en 2023. Pour l’Égypte, un pays de 100 millions d’habitants dont l’approvisionnement dépend à 80 % de ce qu’il importe de la zone russo-ukrainienne, la situation est grosse de catastrophes avec à la clef des émeutes de la faim aux conséquences politiques imprévisibles. Du fait d’une vague de chaleur particulièrement précoce et étendue, même un pays comme la France est menacé de pénurie pour des commodités aussi essentielles que le blé, l’orge, la betterave et le maïs.

 

Les effets contre-productifs de la fermeture

Dans ces conditions la tentation du chacun pour soi est particulièrement forte comme l’illustre la récente décision des autorités indiennes de suspendre les exportations de grains.

Partout retentissent des appels à la souveraineté alimentaire qui sont autant de manifestations de repli provoquées par la crainte de ne pas pouvoir répondre aux besoins de la population.

Cela n’est pas sans rappeler la situation qui prévalait en France au XVIIIe siècle. À l’époque chaque province gardait jalousement sa propre production de grains dont la circulation au sein du territoire était entravée par toutes sortes de règles et de taxes. Au même moment, dans deux régions voisines, l’une pouvait souffrir de disette et de prix très élevés alors que l’autre connaissait un excédent provoquant l’effondrement des cours, ce que Turgot, par un bel oxymore, appelait « la misère de la surabondance ». La solution qui s’imposait était d’établir la liberté de circulation des produits agricoles, ce que le ministre de Louis XVI tenta de faire par un édit de septembre 1774. Mais cette politique se heurta rapidement à une forte hostilité populaire motivée par la crainte des méfaits de l’ accaparement et de la spéculation. En résulta la « guerre des farines », une série d’émeutes violentes qui secouèrent le pays en avril et mai 1775. En 1776 la mesure dut être abrogée.

En 1787 une nouvelle tentative fut menée pour libéraliser ce commerce mais Necker, hostile aux libéraux, rendit la loi inopérante en 1788 dans un contexte de mauvaises récoltes. On connait la suite.

 

Des marchés d’autant plus efficaces qu’ils sont mieux informés

Ce bref rappel historique souligne l’inanité des mesures de restriction dont on sait que les effets sont toujours contre-productifs. Leur seul avantage à court terme est politique : à une population qui vit dans la crainte de la pénurie, elles donnent une réponse simple et lisible mais trompeuse. Avec ce signal politique on appuie en fait sur le bouton panique sans rien résoudre à moyen terme.

C’est donc à juste titre que l’OCDE continue à défendre les effets bénéfiques du commerce international et du développement des échanges internationaux dans un cadre de libre-échange.

Pour donner un ordre de grandeur, 20 % des calories alimentaires consommées dans le monde ont traversé une frontière, 80 % ne l’ont pas fait. Mais pour nombre de pays situés en Afrique et au Moyen-Orient, ces calories importées sont vitales.

Si le meilleur moyen d’assurer leur sécurité alimentaire passe par le recours aux marchés, il faut tout faire pour assurer leur bon fonctionnement et si possible l’améliorer, ce qui passe par une meilleure circulation de l’information sur les prix et les quantités disponibles.

C’est précisément ce que permet de faire le système d’information sur les marchés agricoles (ou AMIS) créé en 2011 à l’initiative du G20.

Il s’agit d’une plateforme regroupant de grandes institutions (comme la FAO, l’OMC, la Banque mondiale et l’OCDE) pour améliorer la transparence des marchés alimentaires et encourager la coordination des politiques internationales en temps de crise.

Le constat de départ est que « le manque d’informations fiables et à jour sur l’offre et la demande de cultures et la disponibilité des exportations » ainsi que « la transparence insuffisante du marché à tous les niveaux, y compris en ce qui concerne les marchés à terme » sont les principaux moteurs de perturbations des marchés alimentaires mondiaux. Simultanément il faut assurer un meilleur « suivi des intentions de plantation, du développement des cultures et des informations sur le marché intérieur ».

L’objectif d’AMIS est donc d’identifier les meilleurs moyens de gérer et d’atténuer les risques de volatilité des prix alimentaires sans fausser les marchés. Cela passe par le recueil et le traitement de données fiables permettant d’identifier les facteurs de risque et d’y répondre non par le repli qui est synonyme de guerre économique mais par la coopération et la facilitation des échanges. On rejoint là un des fondements les plus robustes de l’analyse économique : la qualité de l’information est une condition sine qua non du bon fonctionnement des marchés.

 

Atténuer la fébrilité ambiante

Face aux tensions croissantes qui se manifestent aujourd’hui, il faut aller plus loin et multiplier les outils pour atténuer la fébrilité des transactions agricoles. C’est le but que poursuit l’initiative Food and Agriculture Résilience Mission (FARM). Portée par l’Union européenne, chapeautée par la France qui en assure la présidence et prise en concertation avec l’Union Africaine, elle a pour objectif de prévenir l’impact sur la sécurité alimentaire mondiale de la guerre menée par la Russie en Ukraine, un impact désastreux mais qu’on espère transitoire. Il s’agit de faire en sorte que les produits agricoles ne deviennent pas une arme de guerre servant des buts géopolitiques et à cette fin de maintenir l’offre alimentaire mondiale à un prix abordable. Cela passe par des mécanismes de solidarité entre les États. Mais cela repose aussi et surtout sur une double action pour d’une part renforcer les capacités agricoles (ce qui suppose que les mesures malthusiennes mises en place au sein de L’UE soient levées) et d’autre part lutter contre les barrières commerciales injustifiées.

On voit que face à une crise d’une ampleur exceptionnelle, les réponses appropriées sont d’ordre libéral. L’objectif est bel et bien de rendre les marchés agricoles plus efficaces à l’échelle mondiale et non d’attendre le salut d’une hypothétique souveraineté alimentaire qui n’est que l’autre nom de l’égoïsme et du repli sur soi.

 

L’alternative au libre-échange, c’est le lebensraum

On peut étendre le raisonnement à l’ensemble du commerce mondial. On ne peut attendre que le pire des mesures de restriction aux échanges qui fragmenteraient un peu plus le monde en zones économiques rivales comme ce fut le cas entre les deux conflits mondiaux. En pensant que des mesures protectionnistes sévères permettraient de surmonter la dépression initiée par le krach de 1929, les grandes puissances de l’époque se sont livré une guerre économique qui n’a pas tardé à dégénérer en guerre tout court.

Il faut aujourd’hui tout faire pour éviter la vertigineuse contraction des flux commerciaux internationaux survenue au début des années 1930 en se souvenant des ravages qui ont suivi. Céder à la tentation de la fermeture c’est remettre au goût du jour la conquête par la force de territoires de pays voisins riches en ressources dont le pays agresseur ne dispose pas sur son sol. L’alternative au libre-échange, ce fut dans le passé le lebensraum, la prise de contrôle par les nazis des champs de pétrole roumains, l’accaparement des blés ukrainiens. Sous nos yeux incrédules ce sont les destructions que la Russie inflige à la malheureuse Ukraine.

30 mai, 2022

Le péril vieux qui menace la démocratie

 Par Frédéric Mas

Dans son dernier essai intitulé Le Grand Vieillissement, Maxime Sbaihi tire la sonnette d’alarme sur une révolution silencieuse, celle du vieillissement général de la population et de ses conséquences sociales, politiques et économiques.

La réélection d’Emmanuel Macron en est la démonstration la plus immédiatement visible. Alors que la majorité des actifs a préféré voter pour Marine Le Pen, c’est grâce aux retraités que le candidat président n’a cessé de cajoler, que l’extrême centre s’est imposé face à l’extrême droite.

La France produit des centenaires en pagaille, et c’est heureux, mais voit sa natalité se ralentir nettement :

« Nous comptons aujourd’hui déjà plus de 20 000 centenaires, soit deux fois plus qu’en 1999 et treize fois plus qu’en 1975. La tendance va aller en s’accélérant puisque l’Insee prévoit 270 000 centenaires d’ici à 2070. »

Les boomers à la première place

Le déséquilibre se fait en effet désormais en faveur des boomers. Cette génération de l’après-guerre vit plus longtemps, part plus tôt à la retraite et compte sur les actifs d’aujourd’hui pour l’entretenir, comme elle-même a cotisé pour ses parents selon le principe de solidarité intergénérationnelle.

Seulement, cette génération est plus nombreuse, vit plus longtemps et cotise moins, ce qui déstabilise profondément un modèle social français particulièrement sensible aux variations démographiques.

Il y a de moins en moins d’actifs pour soutenir les inactifs :

« Alors que la France comptait 5 actifs pour une personne âgée inactive en 1945, ce rapport n’a cessé de se dégrader depuis. Il est passé sous la barre de 4 pour un en 1994 puis 3 pour un en 2016 et devrait passer sous la barre de 2 pour un d’ici 2040. »

Ce déséquilibre fait exploser les dépenses publiques, en particulier dans le domaine social, et pire, creuse l’écart social entre la génération des boomers et le reste de la population.

L’accès à la propriété et l’amélioration du niveau de vie ont nettement ralenti après la génération 68 et les retraités, notamment grâce à leur enrichissement patrimonial :

« Les boomers se retrouvent mieux dotés en patrimoine que n’importe quelle génération précédente à leur âge grâce à des trajectoires de carrière favorables à l’accumulation patrimoniale, que ce soit par l’achat de logements ou la constitution d’une épargne financière -conditions que n’ont plus connues les générations suivantes, tour à tour confrontées à un chômage de masse et à une croissance atone qui les force à devoir patienter, ou à s’endetter davantage, pour se constituer un patrimoine. »

Les grands perdants du vieillissement sont les jeunes qui en retour s’abstiennent en masse ou préfèrent voter aux extrêmes plutôt qu’accepter des appareils politiques dominants qui ne parlent qu’aux insiders, cette classe de citoyens protégés des aléas économiques par leurs statuts, leurs CDI ou leurs retraites. Sur le plan politique, le déséquilibre entre générations peut provoquer des catastrophes si la coalition désormais majoritaire des seniors pèse de tout son poids pour empêcher les réformes et maintenir le statu quo en leur faveur, comme ce fut le cas pour la CSG.

Sacrifier les jeunes

Pire, sacrifier la jeunesse pour protéger les intérêts des plus âgés est désormais une tentation bien réelle au sein de la classe politique. On l’a vu avec la crise sanitaire, où le gouvernement a préféré mettre à l’arrêt l’intégralité de la société et confiner tout le monde plutôt que d’isoler les plus fragiles, c’est-à-dire les plus âgés.

L’essai de M. Sbaihi n’est pas une déclaration de guerre entre générations, mais un appel à la concertation de tous pour offrir aux plus jeunes de meilleures perspectives que celles envisagées par un système de redistribution devenu à sens unique. S’inspirant du modèle social-libéral rawlsien et imprégné de solidarisme bien compris, il propose de réformer à la marge un système social qui apparaît pour beaucoup à bout de souffle.

C’est sans doute ici la seule limite pour nous de cet essai pénétrant, nuancé et informé : le vieillissement de la population est aussi une crise de l’avenir, pour paraphraser Marcel Gauchet. Et le perpétuel présent, c’est de vouloir rafistoler le « modèle social français », ce modèle mental hérité de l’après-guerre, et qui n’est qu’une mise en forme de différents corporatismes socio-économiques au profit des insiders et aux détriments des outsiders, et celui depuis de nombreuses décennies, bien avant le tournant démographique évoqué par M. Sbaihi1.

Mais c’est une autre histoire, et dans la grande conversation sur notre avenir collectif, le Grand vieillissement mérite une place de choix.

Maxime Sbaihi, Le grand vieillissement, Editions de l’Observatoire, mai 2022.

  1. Timothy Smith, La France injuste, 1975-2006, Autrement, 2006. 

29 mai, 2022

LE PROBLÈME, C’EST LE CAPITALISME DE CONNIVENCE, PAS LE « NÉOLIBÉRALISME »

 

Le « néolibéralisme », c’est-à-dire la version du capitalisme démocratique moderne qui met en scène des marchés et des échanges guidés par de puissantes institutions publiques mondiales, ne doit pas être confondu avec la vision libérale « classique » de la société libre formulée par Adam Smith, John Stuart Mill, Lord Acton ou F. A. Hayek. De nombreux problèmes associés au néolibéralisme sont en fait le résultat d’une intervention trop lourde de l’État, de la recherche de rentes et d’autres formes de corruption qui sont « néo » mais pas « libérales ».

Dans les milieux universitaires comme dans les milieux politiques, il existe une croyance commune selon laquelle les marchés, bien que possédant certains avantages, ne peuvent fonctionner que s’ils sont établis et maintenus par un État central puissant (ou des coalitions d’États). Il s’agit d’un thème marxien classique, formulé par l’historien Karl Polanyi. Et pourtant, il est aussi faux aujourd’hui qu’à l’époque des deux Karl. Marx et Polanyi ont associé le système de capitalisme de connivence (où règne le copinage) dans lequel ils vivaient au libéralisme classique, sans se rendre compte que les pratiques et les politiques qu’ils condamnaient, comme les privilèges accordés par l’État à des entreprises favorisées au détriment d’autres, étaient des violations des principes libéraux classiques. Les penseurs libéraux classiques préconisaient en fait un rôle très limité de l’État (ce que Robert Nozick appellera le fameux « gardien de nuit »), axé sur la protection de l’État de droit, l’exécution des contrats, la fourniture de services de défense limités, etc. (Les penseurs libertariens tels que Murray Rothbard et David Friedman privatiseraient même ces fonctions). Le modèle du vingtième siècle, qui consiste en des secteurs publics massivement hypertrophiés pratiquement partout, combinés à l’incapacité de fournir des biens publics de base à des niveaux adéquats, ainsi qu’à un copinage rampant, serait odieux pour tous les penseurs libéraux classiques.

De façon encore plus confuse, le « néolibéralisme » est opposé au « nouveau libéralisme » proposé par des économistes plus anciens comme Keynes et Beveridge. Ce nouveau libéralisme (keynésianisme) prônerait, dans cette optique, une économie de marché démocratique avec une certaine implication du gouvernement (politique de réglementation, politique monétaire et fiscale active, et une dose de nationalisation des entreprises pour améliorer le bien-être social). Alors que le néolibéralisme, lui,  cherche (prétendument) à combiner déréglementation massive, ouverture du commerce, privatisations et contraintes sur les déficits budgétaires et la dette cumulée, avec une limitation de facto de la participation démocratique et une invasion des principes du marché dans des domaines où ils n’ont pas été traditionnellement appliqués (nouvelle gestion publique, gestion des universités, etc.). C’est pourquoi, dans certains milieux, le terme « néolibéralisme » est utilisé de manière péjorative,  voire pour évoquer la manière dont Augusto Pinochet a géré l’économie chilienne.

Le danger du capitalisme de connivence

A notre avis, les positions socialiste, keynésienne et interventionniste reposent sur une totale incapacité à évaluer le pouvoir bénéfique des marchés sur la société. De plus, la critique naïve des marchés libres est liée à une conception tout aussi naïve des bienfaits que les gouvernements peuvent apporter, une conception qui néglige les problèmes bien connus générés par leur ignorance des rouages de l’économie qu’ils prétendent réguler, qui les amène parfois à prendre des décisions dont nous ne sommes pas toujours capables d’évaluer correctement les implications. Sans compter les comportements critiquables, pantouflage dans des entreprises privées, prises d’intérêt douteuses etc.

Le système actuel en vigueur dans la plupart des pays du monde est loin de ressembler à une économie de marché libre. Et d’ailleurs ceux-là même qui le critiquent réagissent, sans même s’en rendre compte, aux effets fâcheux de l’intervention massive de l’État, en nouant des  alliances entre l’appareil d’État et l’élite dirigeante. Ce qui est la description même de ce qu’on peut appeler un capitalisme de connivence – ou capitalisme des copains. Dans un tel système, les acteurs privés sont incités non pas à créer de la valeur par l’innovation, la concurrence et l’amélioration de la productivité, mais à exploiter des relations politiques pour obtenir des rentes, des monopoles ou des avantages de toutes sortes, permis, licences, protections diverses, allégements fiscaux, prêts, subventions, etc. Bref, des privilèges que décrochent certains mais pas d’autres. Lorsque le lobbying prend cette tournure, les pots de vin ne sont pas loin.

Le clientélisme entraîne du gaspillage. Premièrement, des ressources qui pourraient être utilisées pour l’investissement et la croissance sont consacrées à la compétition politique. Deuxièmement, le mécanisme de sélection d’un marché libre sera faussé, car les entreprises qui réussissent dans le jeu du copinage prospéreront et se développeront aux dépens de celles qui échouent (ou ne jouent pas du tout). Troisièmement, la conviction s’ancrera (à juste titre), que les relations comptent plus que tout pour réussir : – ceux que l’on connaît importent plus que ce que l’on connaît. Ce qui change quelque peu la nature des efforts que l’on doit déployer pour gagner des marchés. La recherche a mis en évidence de nombreuses conséquences sociétales malheureuses de cette répartition faussée des ressources, telles qu’une protection inefficace de l’environnement naturel, de mauvaises infrastructures et même des résultats négatifs en matière de santé. Et plus on s’éloignera d’un système fondé sur le marché, plus les choses s’aggraveront.

Un autre courant de pensée associé à la critique du « néolibéralisme » provient d’économistes, comme Mariana Mazzucato, qui présentent l' »État entrepreneur » comme la solution aux défis sociétaux. L’idée clé est que l’État doit cibler et appuyer les entreprises, les produits et les industries à fort potentiel. Son rôle serait de gérer le processus d’innovation, non seulement en soutenant la recherche fondamentale, mais aussi en concurrençant les  acteurs privés pour le développement de produits et de services. Mais, comme l’explique Hayek, l’État ne peut pas tout faire, à la fois collecter et traiter les informations nécessaires au fonctionnement d’une économie industrielle complexe, contrairement à un système décentralisé dans lequel les acteurs privés sont en concurrence, s’auto-sélectionnent et se déplacent d’une industrie à l’autre, ce qui génère croissance et bien-être. De plus, la présence de l’État dans la phase de développement des technologies évince les investisseurs privés qui parient sur des entreprises prometteuses, qui les financent, les soutiennent, les aident à développer leurs produits et services. Les fonctionnaires, eux, ne sont aiguillonnés par rien. Ils ne mouillent pas leur chemise et ne risquent pas grand-chose s’ils se trompent. C’est pour toutes ces raisons, comme l’a écrit  l’économiste américain William Baumol, que le capitalisme de libre marché est la plus efficace des « machines à innover ».. .

Conclusion

Une société capitaliste de marché libre est simplement une société dans laquelle la plupart des facteurs de production appartiennent à des particuliers et où il existe des niveaux élevés de liberté économique. Economique et sociale : c’est un constat avéré, cette organisation de base est bénéfique à plus d’un titre, au niveau sociétal comme à celui des libertés fondamentales. Les détracteurs du « néolibéralisme » ont sans doute raison d’être chagrinés par le copinage. Mais qu’ils ne se trompent pas de combat !  Appeler l’Etat à la rescousse ne ferait sans aucun doute qu’aggraver les problèmes qu’ils condamnent.

28 mai, 2022

Stagflation : trop de création monétaire et des dépenses publiques sans limite

 Par Anthony P. Mueller.

Un excès de dépenses publiques et une politique monétaire laxiste entraînent une hausse des prix associée à une baisse des taux de croissance économique. Tous les chemins keynésiens mènent à la stagflation. C’est le résultat d’une mauvaise gestion économique.

La croyance selon laquelle les banquiers centraux pouvaient garantir la soi-disant stabilité des prix et que la politique budgétaire pouvait empêcher les ralentissements économiques s’est révélée fausse à maintes reprises. La crise actuelle est une preuve de plus que les politiques monétaires et fiscales interventionnistes sont perturbatrices. Au lieu d’un boom permanent, le résultat est la stagflation.

La stagflation, une malédiction keynésienne

La stagflation caractérise une économie en proie à l’inflation combinée à la stagnation. Dans ce cas, les outils macro-économiques classiques que sont les politiques monétaires et budgétaires ne sont d’aucune utilité.

La hausse des taux d’inflation et l’effondrement de l’économie sont les résultats du dosage des politiques de ces dernières décennies. Il est devenu courant de croire que des politiques monétaires et fiscales expansives ne provoqueraient pas d’inflation des prix. Pas plus tard qu’en 2020, la politique économique a suivi le faux consensus selon lequel combattre les retombées des blocages par une création monétaire supplémentaire et une augmentation des dépenses publiques conduirait à une reprise économique sans hausse des prix. Il était supposé que ce qui avait fonctionné en 2008 fonctionnerait également en 2020.

Cependant, les décideurs politiques ont ignoré la différence entre les deux épisodes.

Au lendemain de la crise financière de 2008, les politiques de relance ne se sont pas traduites immédiatement par une inflation des prix, car l’argent nouvellement créé est resté en grande partie dans le secteur financier et ne s’est pas répercuté massivement sur l’économie réelle. À l’époque, le principal effet de la politique de taux d’intérêt bas a été de soutenir le marché boursier et d’offrir une aubaine aux investisseurs financiers. Si Wall Street a prospéré, la rue principale est restée sur la touche et, alors que les bénéfices ont bondi, les salaires sont restés stagnants.

Par rapport à la crise financière de 2008, la différence est que, cette fois-ci, le volet production de l’économie est gravement endommagé. La crise de 2008 a laissé intacte la structure du capital de l’économie réelle. Or, en raison des confinements, ce n’est plus le cas. Par conséquent, les chaînes d’approvisionnement mondiales ont été gravement interrompues. Dans une telle constellation, les nouvelles mesures de relance ont pour effet d’affaiblir davantage l’économie.

La situation actuelle ressemble davantage au choc pétrolier de 1973. À l’époque également, le choc externe avait frappé une économie regorgeant de liquidités. La stimulation de l’économie par l’expansion fiscale et monétaire a produit une stagflation durable. À l’époque, outre la stagflation, le terme slumpflation a été inventé pour caractériser une économie qui s’enlise dans un profond marasme et est dévastée par l’inflation des prix.

Lorsque la stagnation et la récession s’accompagnent d’une inflation des prix, la politique macro-économique conventionnelle devient impuissante. Appliquer la recette keynésienne à une économie dont la structure du capital a été ravagée, c’est s’exposer à un désastre.

Intentionnellement ou par ignorance, les décideurs politiques ont négligé les effets à long terme de leurs actions. Cette mauvaise voie a conduit à de telles aberrations que les décideurs politiques et leurs gardes du corps intellectuels ont même eu tendance à croire qu’une certaine vérité pouvait être trouvée dans l’alchimie de la soi-disant théorie monétaire moderne et du monétarisme de marché.

Les conséquences de ces erreurs politiques sont désormais connues. Elles sont particulièrement graves car elles ont été commises par toutes les grandes banques centrales et les gouvernements de tous les grands pays industrialisés. Ils suivent tous le concept de « ciblage de l’inflation ». À part le moment choisi, il n’y a pas eu beaucoup de différences entre les politiques des principales économies occidentales. Le Japon n’est un cas particulier que dans la mesure où ses responsables politiques appliquent la recette keynésienne depuis plus de trois décennies maintenant.

Examinons d’abord le cas du Japon, puis celui des États-Unis.

Le Japon

Le Japon a commencé à appliquer un keynésianisme vulgaire dès 1990. Confrontés à un léger ralentissement de l’économie après le boom des années 1980, les dirigeants japonais ne voulaient pas que l’économie se refroidisse mais qu’elle continue à faire le spectacle.

L’État a commencé à accélérer les dépenses publiques et a augmenté les stimuli fiscaux, mais sa politique de dépenses n’a pas produit le résultat attendu d’une reprise économique. Même lorsque la politique monétaire a pleinement soutenu la politique budgétaire expansive de l’État, la reprise attendue ne s’est pas matérialisée.

Le court terme est devenu le long terme. Le dosage entre politique budgétaire et politique monétaire s’est poursuivi au cours des trois dernières décennies. La Banque du Japon a mis en œuvre une politique de taux d’intérêt extrêmement bas et a finalement eu recours à une politique de taux d’intérêt négatifs (NIRP). Dans le même temps, la dette publique, exprimée en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), a atteint 266 % (voir graphique 1).

Figure 1 : Japon : Taux d’intérêt directeur et dette publique en pourcentage du PIB

Source https://tradingeconomics.com/japan/government-debt-to-gdp

Malgré l’ampleur des mesures de relance, ce dosage des politiques n’a pas permis de sortir l’économie japonaise de son bourbier. Contrairement au boom japonais des années 1980, la croissance économique est restée anémique au cours du dernier quart de siècle (figure 2).

Figure 2 : Japon : Taux de croissance économique annuel du PIB réel

Source https://tradingeconomics.com/japan/gdp-growth-annual

En tant que pionnier de l’application du keynésianisme vulgaire comme axe de politique macroéconomique, l’économie japonaise a également souffert très tôt de la stagnation de ses taux de productivité. Contrairement à des pays comme les États-Unis, la France, l’Allemagne et de nombreux autres pays industrialisés, qui ont continué à enregistrer des gains de productivité au cours des dernières décennies, le Japon a fait du surplace après avoir commencé à appliquer son keynésianisme extrême dans les années 1990 (figure 3).

Figure 3 : Productivité par heure travaillée : Allemagne, États-Unis, France, Japon

source https://ourworldindata.org/grapher/labor-productivity-per-hour-pennworldtable

Il est important de noter que l’un des effets les plus dévastateurs du mix des politiques keynésiennes est son effet sur la productivité. La croissance économique à long terme d’un pays est principalement le résultat des gains de productivité. La productivité du travail est le principal déterminant des salaires. Un ralentissement de la productivité précède le déclin économique.

Lorsque la production par unité d’inputs tend à diminuer, même des taux d’intérêt plus bas ne stimuleront pas les investissements des entreprises. Lorsque l’État intervient pour compenser ce « manque de demande globale », les choses empirent car les entreprises publiques sont fondamentalement moins productives que le secteur privé.

Les États-Unis

Confronté à la crise financière de 2008, l’État américain a décidé de lancer une série de mesures de relance. La banque centrale américaine a apporté son plein soutien à cette politique et a commencé à réduire drastiquement son taux d’intérêt.

Grâce à ces politiques, le ratio de la dette publique au PIB est passé de 62,6 % en 2007 à plus de 91,2 % en 2010, pour atteindre 100 % en 2012. Les deux poussées suivantes ont eu lieu dans le sillage des politiques visant à contrer les effets des blocages économiques, lorsque le ratio de la dette publique au PIB est passé à 128,1 % en 2020 et à 137,2 % en 2021 (voir graphique 4).

Figure 4 : Les États-Unis : Taux d’intérêt directeur et dette fédérale en pourcentage du PIB

Source https://tradingeconomics.com/united-states/government-debt-to-gdp

Face à l’éclatement de la crise des marchés financiers en 2008, la banque centrale américaine a rapidement ramené son taux d’intérêt de plus de 5 % en 2007 à moins de 1 % en 2008.

Après une brève période pendant laquelle la banque centrale américaine a tenté de relever les taux d’intérêt, la réaction consécutive du marché à la chute des prix des obligations et des actions a incité la Fed à reprendre sa politique d’assouplissement quantitatif, qui associe de faibles taux d’intérêt à une expansion massive de la base monétaire.

En essayant d’atténuer les effets économiques des blocages au début de 2020, la Fed a décidé de poursuivre sa politique monétaire expansive. En temps voulu, le bilan de la banque centrale est passé à 7,17 billions de dollars en juin 2020 et a atteint 8,96 billions de dollars en avril 2022.

Figure 5 : Bilan du système de la Réserve fédérale américaine

Source https://tradingeconomics.com/united-states/central-bank-balance-sheet

Comme le montre la figure 4, la Fed avait essayé de réduire son bilan de 2015 à 2019 lorsqu’elle avait ramené la somme de ses actifs à 3 800 milliards de dollars en août 2019. Pourtant, à partir de septembre 2019 déjà, plusieurs mois avant la mise en œuvre du confinement, le bilan de la banque centrale américaine a recommencé à s’étendre et a atteint plus de quatre mille milliards avant que la grande augmentation supplémentaire ne se produise en raison des retombées des confinements.

Depuis la période précédant la crise financière de 2008, les actifs du Système fédéral de réserve sont passés de 870 milliards de dollars en août 2007 à 4500 milliards de dollars début 2015 et à environ 9000 milliards de dollars début 2022.

Même lorsque les taux d’inflation ont commencé à augmenter vers la fin de 2020, la banque centrale américaine avait maintenu sa politique de tapering à un faible niveau et s’était abstenue de tout resserrement. Les autorités monétaires avaient renoncé à l’objectif de maîtriser la masse monétaire. Chaque fois qu’elles ont essayé de resserrer la politique monétaire, les marchés financiers ont commencé à s’effondrer et ont eu tendance à s’écrouler.

Dès que la banque centrale a commencé à augmenter son taux d’intérêt directeur, le marché obligataire a commencé à s’effondrer et a entraîné les actions dans sa chute. En 2022, la situation n’a pas changé. Pourtant, au début de l’année 2022, les responsables politiques n’ont pas pu faire marche arrière. Contrairement aux épisodes précédents, l’inflation des prix a commencé à monter en flèche.

Dans les premiers mois de 2022, la stagflation est devenue pleinement visible. Alors que l’inflation des prix augmentait, le taux de croissance économique réel a commencé à baisser. Au premier trimestre de 2022, le taux d’inflation est passé à un taux de 8,5 %, tandis que le taux de croissance annuel réel a chuté de 1,4 % (voir graphique 5).

Figure 6 : États-Unis : Taux d’intérêt directeur et taux d’inflation officiel des prix à la consommation

Source https://tradingeconomics.com/united-states/interest-rate

Alors que les chaînes d’approvisionnement mondiales sont aujourd’hui désorganisées et que le protectionnisme national est en hausse, l’aide apportée par l’expansion du commerce international après la crise de 2008 n’est plus d’actualité. Le blocage de l’économie a gravement endommagé le système mondial des chaînes d’approvisionnement. Désormais, un énorme surplomb monétaire rencontre une production en baisse. La guerre en Ukraine, qui a débuté en février 2022, n’est pas responsable de ces distorsions, mais elle les rendra plus graves.

Conclusion

La digue a cédé. L’inflation des prix est en hausse. C’est le résultat de l’accumulation de liquidités qui dure depuis des décennies. Les choses risquent d’empirer car l’économie mondiale a été gravement blessée par le confinement. Plus qu’une stagflation légère, c’est une slumpflation qui se profile à l’horizon, l’économie mondiale s’enlisant dans un profond marasme combiné à une inflation des prix en forte hausse.

27 mai, 2022

En route vers l’hyperinflation allemande de 1923

 Par François Jolain.

Article disponible en podcast ici.

Pénurie de blé, de pétrole, de gaz, de métaux ou d’huile, etc. Le tout avec une inflation de 5 % et une belle croissance de 0 %. Notre situation ressemble à l’Allemagne de 1920 avant l’hyperinflation…

L’Allemagne de 1920

Durant la Grande guerre, le gouvernement allemand a massivement émis de la monnaie pour financer sa guerre, soit par l’émission d’obligations, soit par la création du mark-papier à la place du mark-or, mettant fin à l’étalon-or.

Une fois sorti des poches de l’État, tout cet afflux de liquidités est allé directement dormir sur les comptes des Allemands. La guerre est plus propice à l’épargne qu’aux dépenses des ménages. Ainsi l’inflation restait faible durant la guerre.

Ce n’est que 8 ans après la fin du conflit que cette fausse monnaie imprimée durant la guerre inonda l’économie allemande. Le réveil de l’argent dormant a provoqué une forte pression sur la demande qui entraîna l’hyperinflation.

Il faut aussi souligner qu’après 4 ans de guerre et d’importants tributs à payer aux vainqueurs pour réparation, l’économie allemande restait atone, incapable de suivre la demande avec davantage d’offres.

Nous avons donc d’un côté une demande à la hausse soutenue par le réveil d’épargnes dormantes ; et en face une offre limitée due à une longue récession de l’économie et un sous-investissement des moyens de production.

Cela a conduit à une hyperinflation. Le mark-papier à parité avec le mark-or en 1914 a fini à 1 000 000 000 000 en 1923.

Or notre situation actuelle est similaire à l’Allemagne d’après guerre, mais sans la guerre…

Un sabotage de l’économie actuelle

Cela fait 10 ans que la BCE et la FED inondent l’économie de faux argent, par l’émission d’obligation à taux 0 %, ou par le quantitative easing.

Pourtant comme avec l’Allemagne, cette inondation de liquidité a été absorbée par l’épargne, limitant l’inflation ces dernières années. Même les généreux chèques donnés par Trump et Biden pour stimuler la consommation ont fini épargnés (actions, bitcoin, assurance, etc.).

Aussi la reprise économique post-covid a été l’étincelle qui a mis le feu à l’inflation. D’un coup les énormes capitaux dormants inondent le marché et créent une pression sur la demande.

En soi une économie saine peut y répondre en augmentant l’offre. Mais notre économie a été sabotée par deux idéologies.

Idéologie écologique

Les bureaucrates nous chantent des lendemains sans pétrole dans lesquels la puissance d’une centrale nucléaire sera remplacée par un panneau solaire. Et au final on se retrouve à importer du gaz de schiste (très polluant) pour le liquéfier (très polluant) et le transporter par bateau (très polluant). Tout cela pour éviter une centrale nucléaire…

Non content de s’attaquer à l’énergie électrique, au point que chaque hiver semble maintenant se jouer au watt près en France, l’écologie a aussi permis de raréfier les énergies fossiles par les taxes et freins à l’investissement. Cette situation était déjà préoccupante. Mais maintenant que l’Union européenne souhaite tout simplement couper le pétrole et le gaz russe, on se dit que finalement nous n’étions pas à une taxe près.

Alors, bien sûr, comment faire fonctionner toutes ces machines qui coupent du bois ou minent du fer ? Je veux bien mettre un pull cet hiver pour me réchauffer sans gaz. Mais allons-nous mettre un pull sur le haut fourneau pour le chauffer à plus de 1200°  afin de fabriquer l’acier ?

Idéologie économique

L’État peut accroître le PIB par davantage de dépense. Pour ce faire, rien de plus simple : les taux à 0% rendent le capital caduc qui ne joue plus son rôle de moteur de la croissance par le réinvestissement des profits, puisque son rendement est à 0 %. À la place, l’État s’endette toujours plus pour stimuler la consommation en espérant qu’à son tour celle-ci stimule la croissance.

Avec les taux à 0 %, cette croissance est purement artificielle, elle ne reflète plus un gain de production et de richesse dans le pays, mais uniquement un gain de consommation soutenu par un endettement de l’État. Le PIB se retrouve au sommet d’une montagne de dettes, éloigné de la vraie production du pays.

Nous sommes donc dans une situation semblable à l’Allemagne de 1920. L’utilisation de la planche à billets a créé une montagne de dette étatique d’un côté et de l’épargne dormante de l’autre, le tout dans une économie atone ne pouvant pas suivre la demande.

Paradoxalement, c’est une embellie économique qui, comme en Allemagne, a déclenché le réveil de l’argent dormant et son tsunami dévastateur dans l’économie.

Pour ceux qui pensent que les politiques gèrent très mal notre monnaie, vous en avez encore une fois la preuve.

Pour ceux qui pensent que les politiques sont juste bons à ravager notre économie en démarrant des guerres inutiles. Vous pouvez constater que l’Union européenne s’est contentée d’assécher notre accès à l’énergie et aux capitaux tout en inondant l’économie de son argent magique. Bien qu’efficace pour saboter notre économie, cela n’a pas suffi à l’UE qui souhaite démarrer une guerre contre la Russie.

La situation est semblable à celle de l’Allemagne en sortie de guerre, à la différence que la guerre n’est pas derrière, mais devant nous.

26 mai, 2022

La culture du libéralisme classique

 Par Tadd Wilson.

Un article de la Foundation for Economic Education

 

En dépit de ce qui est enseigné dans la plupart des universités, les idées libérales essentiellement classiques de l’économie de marché libre et du gouvernement limité ont remporté le test de base de toute doctrine : bat-elle la meilleure alternative ? La preuve en est évidente, qu’il s’agisse de l’effondrement de l’économie planifiée de l’ancienne Union soviétique ou de la réduction du secteur public dans des pays aussi variés que l’Estonie, la Nouvelle-Zélande et la Pologne.

Cependant, le libéralisme classique – qui était autrefois un paradigme philosophique dominant – échoue désormais au test plus subtil de l’exhaustivité. Nombreux sont ceux, à gauche comme à droite, qui reprochent aux libéraux classiques de se concentrer uniquement sur l’économie et la politique, au détriment d’une question essentielle : la culture. Cette critique pourrait avoir des répercussions sur l’avenir du libéralisme classique. Comme l’a souligné F. A. Hayek dans Les intellectuels et le socialisme, la perception d’une philosophie affecte sa longévité.

 

La droite et la gauche VS le dernier homme

Du côté de la gauche, les libéraux classiques ont été confrontés (ou, selon certains, n’ont pas été confrontés) à de sérieuses questions sur les limites et la nature même de la politique et de l’économie. Héritant indirectement à la fois de l’apparente déification de la culture par Friedrich Nietzsche et de sa crainte d’un Dernier Homme atomique, maximisant l’utilité, la plupart des intellectuels du XXe siècle ont été ouvertement hostiles aux conceptions purement économiques ou politiques de l’homme. L’existentialiste Jean-Paul Sartre, le critique littéraire et politique socialiste britannique Raymond Williams, et même la philosophe politique Hannah Arendt viennent à l’esprit.

C’est Arendt qui, dans Men in Dark Times (1968), évoquait « de nombreuses périodes de temps sombres au cours desquelles […] les gens ont cessé de demander à la politique autre chose que la prise en compte de leurs intérêts vitaux et de leur liberté personnelle. »

Du côté de la droite, Allan Bloom a soutenu dans Commerce and Culture que « la notion même de culture a été formée en réponse à la montée de la société commerciale ». Dans The Closing of the American Mind (1987), Bloom dénigre les conceptions purement économiques ou politiques d’une société libre, reprochant aux amis du marché qu’en acceptant une économie « sans valeur », « ils admettent que leur système rationnel a besoin d’un supplément moral pour fonctionner, et que cette moralité n’est pas elle-même rationnelle – ou du moins que son choix n’est pas rationnel, tel qu’ils comprennent la raison ». Les observations de Bloom continuent d’être recyclées par des conservateurs plus ouvertement politiques comme l’ancien juge fédéral Robert Bork et l’éditeur du Weekly Standard William Kristol.

De manière tout à fait raisonnable, de nombreux libéraux classiques rétorquent que la théorie politique et économique se concentre naturellement sur la politique et l’économie, et qu’ils s’intéressent davantage à la définition de la sphère politique qu’à ce qui se situe en dehors de celle-ci. D’autres mentionnent que de nombreux artistes (les plus impliqués dans la culture) étaient des libéraux politiques à leur époque, notamment Friedrich von Schiller, Ludwig van Beethoven, Percy Shelley, John Milton et Johann von Goethe. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue l’argument des critiques : en tant que vaste domaine de pensée, le libéralisme classique est généralement perçu comme ne se souciant guère de ce qui n’est pas politique ou économique ; et la réplique standard brade une riche tradition d’érudition et de pensée qui, à l’examen, fournit des bases pour une discussion sérieuse de la culture, même si elle n’offre aucun compte rendu dogmatique.

Cet essai se propose d’exposer deux points simples.

D’une part, que de nombreux libéraux classiques reconnaissent effectivement l’importance de la culture, même s’ils ne présentent pas un front uni sur la question ;

D’autre part, que cette conscience culturelle est une partie importante de leurs philosophies classiques-libérales globales respectives.

Nous discuterons de trois grands représentants du libéralisme classique : F. A. Hayek, Ayn Rand et Albert Jay Nock.

 

Qu’est-ce que la culture ?

Avant d’aller plus loin, examinons ce qu’est exactement la « culture« , ou plutôt, le peu de clarté qui existe à ce sujet.

L’Oxford Companion to Philosophy de 1995 note que

« [le mot] peut être utilisé dans un sens large pour décrire tous les aspects caractéristiques d’une forme particulière de vie humaine, ou dans un sens étroit pour désigner uniquement le système de valeurs qui lui est implicite ».

L’article conclut que la compréhension de la culture est utile pour évaluer les systèmes de valeurs en tenant compte des idéaux qu’ils reflètent sur ce que la vie humaine devrait être.

Une source moins académique, le Webster’s Seventh New Collegiate Dictionary, définit la culture en ces termes :

« L’illumination et l’excellence du goût acquises par une formation intellectuelle et esthétique ; un stade particulier d’avancement dans la civilisation ; les traits caractéristiques d’une telle époque ou d’un tel état ; et le comportement typique d’un groupe ou d’une classe. »

Bien qu’aucune de ces définitions n’offre une compréhension précise de la culture, toutes deux mettent l’accent sur deux éléments essentiels de la culture : les tendances générales et les actions des individus sont liées à des valeurs et peuvent être expliquées comme étant motivées par celles-ci, et ces valeurs ne sont pas stables en fin de compte, c’est-à-dire qu’elles doivent être enseignées et sont sujettes à interprétation.

En outre, ces définitions mettent en évidence deux domaines d’activité potentielle concernant une culture donnée : l’explication du comportement individuel et le changement de comportement individuel. Bien que ces deux domaines puissent en fin de compte être inséparables, nous les traiterons comme des domaines distincts dans le but d’exposer deux critiques du libéralisme classique. En effet, les critiques de Bloom, Arendt et d’autres, bien que variant dans leurs détails, se résument essentiellement à l’affirmation que le libéralisme classique ne suffit ni à expliquer la culture ni à créer la culture, c’est-à-dire à soutenir les valeurs.

 

Hayek : au-delà de l’économie politique

Plutôt que d’attaquer leurs détracteurs sur des bases abstraites, les étudiants de la tradition classique-libérale peuvent réfuter l’affirmation selon laquelle tous les libéraux classiques négligent la culture en trois mots : The Fatal Conceit. Apprécié surtout pour avoir élargi et approfondi sa critique de la planification centrale, cet ouvrage de Friedrich Hayek touche à presque tous les domaines importants liés à la culture : anthropologie, biologie, philosophie, linguistique et psychologie, en plus de l’économie et de la politique. Bien que l’idée maîtresse du livre soit de prouver que le socialisme est fondé sur des prémisses manifestement fausses, Hayek, en établissant son argumentation, offre une base pour un compte rendu de l’évolution des sociétés qui n’est pas simplement économique, ni purement politique, ni purement rationnel – il se situe entre l’instinct et la raison.

Bien que les lois de l’économie, que Ludwig von Mises appelait la praxéologie, restent stables à travers le temps, pour Hayek, un compte rendu de la réaction rationnelle à ces lois ne fournit pas la meilleure explication du changement social et des valeurs individuelles.

Dans une section intitulée « Évolution biologique et culturelle« , Hayek note qu’en ce qui concerne la séparation entre l’instinct et l’apprentissage habituel :

« Nous ne pouvons pas distinguer précisément ces deux déterminants de la conduite parce qu’ils interagissent de manière compliquée. »

Il suggère également que la tension entre l’instinct et la raison, « un conflit alimenté par la discipline des « traditions morales répressives ou inhibitrices » […] est peut-être le thème majeur de l’histoire de la civilisation. »

Il postule ensuite que cette tension entre l’instinct et la raison est le moteur de l’évolution culturelle, un processus « d’essais et d’erreurs continus, d’expérimentation constante dans des arènes où différents ordres s’affrontent ».

Ce n’est qu’après avoir défini la scène évolutive/culturelle que Hayek aborde les origines de la liberté, de la propriété et de la justice, puis le développement des marchés à grande échelle et des ordres étendus.

Après avoir offert son compte rendu de la culture, Hayek reconnaît explicitement la fonction de changement de comportement de la culture :

« Reconnaître que les règles tendent généralement à être sélectionnées, via la compétition, sur la base de leur valeur de survie humaine, ne protège certainement pas ces règles d’un examen critique. »

En d’autres termes, bien que le mécanisme évolutionniste décrit par Hayek fonctionne, il est important de critiquer rationnellement les règles et normes spécifiques. Et bien que Hayek passe la majeure partie du reste de The Fatal Conceit à contester l’économie socialiste et collectiviste (évidemment dans l’espoir de changer les comportements), il consacre un chapitre entier à ce que l’on peut clairement qualifier de critique culturelle – « Notre langue empoisonnée ». Dans ce chapitre, Hayek note l’énorme importance du langage dans l’évolution culturelle, en particulier la capacité du langage à transmettre subtilement des erreurs de génération en génération. (Il évoque la prolifération du modificateur social, comme dans justice sociale, pour indiquer comment le langage peut perpétuer une pensée erronée).

Ces exemples montrent deux choses : Hayek adopte une vision holistique des affaires humaines qui englobe bien plus que l’économie ou la politique, et cette vision lui permet d’interpréter et de critiquer des cultures particulières en vue de modifier les comportements individuels et les tendances générales. En bref, Hayek n’était pas un simple économiste. Il n’était pas non plus le seul.

 

Ayn Rand

Des trois auteurs abordés dans cet article, Ayn Rand est celui qui a le plus consciemment avancé une philosophie particulière, l’objectivisme.

En tant que telle, la notion de culture chez Rand est soigneusement définie et intégrée dans son système de croyances construit sur ses primaires irréductibles : existence, identité et conscience. Dans son recueil de 1982, Philosophy : Who Needs It, son dernier livre publié, Rand définit la culture d’une nation comme :

« La somme des réalisations intellectuelles des hommes individuels, que leurs concitoyens ont acceptées en tout ou en partie, et qui ont influencé le mode de vie de la nation. »

Loin d’être statique, « une culture est un champ de bataille complexe d’idées et d’influences différentes, de sorte que parler de culture, c’est ne parler que des idées dominantes, en admettant toujours l’existence de dissidents et d’exceptions. »

Comme Hayek, Rand aborde également la question des conditions nécessaires à la civilisation. Alors que Hayek souligne la dépendance de la civilisation à l’égard de règles de conduite justes qui permettent à un ordre étendu d’évoluer, Rand expose son cas plus simplement :

« La condition préalable d’une société civilisée est l’exclusion de la force physique des relations sociales. »

Rand partage avec Hayek une adhésion à l’individualisme méthodologique, affirmant sans équivoque que « l’on peut apprendre beaucoup de choses sur la société en étudiant l’homme ». Toutefois, la position ferme de Rand l’amène à conclure que « rien ne peut être appris sur l’homme en étudiant la société » et que le seul facteur fondamental déterminant la nature de tout système social est la présence ou l’absence de droits individuels, déclarations avec lesquelles Hayek éprouverait un certain malaise.

Mais quelles que soient les similitudes ou les différences entre Hayek et Rand, tous deux développent des théories explicatives du comportement individuel qui englobent et transcendent l’économie et la politique et qui font pourtant partie intégrante de leurs philosophies politiques.

Rand aborde la culture du point de vue de la critique. Comme Hayek, elle abhorre la domination linguistique et éthique du mot social :

« Il n’existe pas d’entité telle que la société, puisque la société n’est qu’un certain nombre d’hommes individuels ».

Elle a consacré un essai entier dans The Objectivist (avril 1966) à « Notre privation de valeur culturelle ». Et dans Philosophy : Who Needs It, elle soutient que l’une des grandes faiblesses des États-Unis provient de leur incapacité à générer une culture qui leur soit propre. L’Amérique n’a pas réussi à découvrir « les mots pour nommer leurs réalisations [celles des fondateurs]... c’est-à-dire la philosophie appropriée et sa conséquence : une culture américaine ». Cette carence culturelle a rendu les intellectuels américains dépendants des pièces détachées européennes (en particulier allemandes) et a provoqué un malheureux « recyclage des prémisses kantiennes et hégéliennes », c’est-à-dire le collectivisme. Le récit de Rand fait clairement écho à la crainte de Hayek concernant notre « langue empoisonnée » et, assez ironiquement, anticipe une partie de ce que Bloom soutiendra quelques années plus tard.

Comme son prédécesseur Albert Jay Nock, Rand appréciait la Grèce antique pour avoir donné naissance à la philosophie en idéalisant la raison. Elle fait l’éloge de l’art et de la religion grecs qui personnifient les « valeurs humaines appropriées » telles que la beauté, la sagesse, la justice et la victoire. Dans Le Manifeste romantique, Rand souligne l’importance de l’art en général pour recréer sélectivement la réalité, en isolant « les aspects de la réalité qui représentent la vision fondamentale que l’homme a de lui-même et de l’existence ». Il est clair que la vision de Rand de l’art est un exemple de la fonction réinterprétative, exploratoire et évaluative attribuée à la culture dans les définitions ci-dessus. De plus, l’art fonctionnant culturellement n’est pas un simple divertissement mais une partie cruciale de l’existence de l’homme individuel, dans la mesure où l’intérêt personnel de l’homme ne peut pas être décidé de manière fantaisiste mais doit être découvert.

Comme dans le cas de Hayek, notre discussion sur Rand n’a pas pour but de décider des mérites de ses arguments, mais plutôt de souligner deux points : elle offre une vision fondamentale des affaires humaines qui va au-delà de l’économie ou de la politique ; et cette vision lui permet d’évaluer et de critiquer des cultures particulières en vue de remettre en question les hypothèses des individus, leur comportement et les tendances générales.

Albert Jay Nock : critique cultivé

Contrairement à Hayek (un économiste devenu philosophe politique) ou Rand (un romancier devenu philosophe), Albert Jay Nock écrivait de toute évidence en tant que critique culturel.

Préférant généralement l’essai à l’article de journal, au traité ou au roman, Nock a mis ses merveilleux talents littéraires au service d’une grande variété de forums, dont l’Atlantic Monthly, Harper’s, The Nation, The Freeman des années 1920 et 1930, plusieurs revues trimestrielles et le grand journal de Frank Chodorov, Analysis. Bien qu’il ne soit pas très connu des jeunes libertariens, Nock a exercé une influence majeure sur le mouvement anti-collectiviste naissant des années 1940, dont font partie des personnalités telles que Robert Nisbet, Russell Kirk, William F. Buckley Jr. et Murray Rothbard, ainsi que Chodorov.

Bien qu’il ait exprimé des opinions très tranchées sur les affaires économiques et politiques (notamment dans Our Enemy, the State), l’analyse de Nock ne se limitait certainement pas à la critique économique ou politique. Au contraire, comme Hayek et Rand, il s’inspirait d’un large éventail de disciplines, dont la littérature, l’histoire, la mythologie, la théorie politique classique et moderne et la religion. À l’instar de Hayek, Nock était un observateur avisé de la culture et de son influence sur le comportement individuel et les tendances générales. Bien qu’il n’ait pas développé de théorie rigoureuse de l’évolution culturelle comme Hayek, il a fini par adopter une vision à long terme de la culture, se référant souvent à ses inspirations séculaires : Shakespeare, Dante, Socrate, Virgile et son cher Rabelais.

Cependant, Nock a surtout choisi d’observer et de critiquer la culture américaine du début du XXe siècle qu’il voyait autour de lui (bien qu’il ait fini par désespérer de pouvoir changer le comportement de qui que ce soit). L’esprit tranchant de Nock s’étend de la musique et de la littérature dans A Cultural Forecast au rôle de la critique elle-même dans Criticism’s Proper Field.

Dans American Education, il s’en prend à l’académie :

« L’idée maîtresse, ou l’idéal, de notre système est la très belle idée selon laquelle les possibilités d’éducation doivent être ouvertes à tous. L’approche pratique de cet idéal, cependant, n’a pas été planifiée intelligemment, mais, au contraire, très stupidement ; elle a été planifiée sur la base de l’hypothèse officielle que tout le monde est éducable, et cette hypothèse reste toujours officielle. »

Bien que Nock ait écrit pour les publics de son époque, son compte rendu substantiel de la culture reste une source pertinente et fructueuse de critiques. Comme Nock l’a fait remarquer dans le numéro du 5 avril 1930 du nouveau Freeman, « le premier travail de la critique dans ce pays est… de détourner résolument son regard et son esprit du contemporain ».

Enfin, Nock avait une préoccupation constante pour l’esprit individuel à une époque de collectivisme et de conformité. Un passage de A Cultural Forecast, qui anticipe le lien établi par Hayek entre l’instinct de conservation, la raison et l’évolution culturelle, met en garde contre la confusion entre l’État et la culture. En outre, Nock exhorte ses lecteurs à s’améliorer avant de reprocher à la culture américaine de ne pas donner à tous les citoyens des États-Unis une appréciation de la vie humaine.

Commentant les vies de Virgile, Marc Aurèle et Socrate, Nock affirme :

« Ils ont abordé leur propre époque avec la compréhension, la sérénité, l’humour et la tolérance qu’indique la culture ; et au lieu d’attendre de leur civilisation qu’elle leur donne plus que ce qu’elle pouvait leur donner, au lieu de se plaindre continuellement de leurs concitoyens, de les blâmer, de les intimider ou de discuter avec eux de leurs dérogations à la vie humaine, ils ont consacré leurs énergies, dans la mesure où les circonstances le permettaient, à faire eux-mêmes des progrès dans la vie humaine ».

En fin de compte, Nock démontre que le libéralisme classique et l’appréciation de la haute culture ne sont pas seulement conciliables mais complémentaires. Nock fournit également un modèle stylistique et une source substantielle de perspicacité, d’esprit et d’humanité pour les critiques libéraux classiques.

 

La culture libérale classique

Il est clair qu’il n’y a pas de pénurie d’écrits libéraux classiques qui s’aventurent au-delà de l’économie et de la politique. Mais cela nous laisse toujours la question de savoir pourquoi le libéralisme classique est si malmené par ceux qui s’intéressent à la culture. Peut-être, comme le suggère Bloom, le problème n’est-il pas tant que l’intérêt des libéraux classiques pour la culture n’existe pas, mais qu’il est négligé. Et peut-être que ceux qui se disent libéraux classiques sont les plus négligents à cet égard.

Comme le note l’économiste et historien de l’Université de l’Iowa Deirdre McCloskey dans un article paru en 1994 dans American Scholar, « Bourgeois Virtue », les libéraux classiques (et en fait, tout le monde) devraient « arrêter de définir un participant à une économie comme une brute amorale ».

McCloskey écrit :

« Adam Smith savait qu’une société capitaliste […] ne pouvait pas s’épanouir sans les vertus de confiance ou de fierté bourgeoise », car « l’autre livre de Smith, la Théorie des sentiments moraux, traitait de l’amour et non de la cupidité ».

Heureusement, McCloskey observe que la situation actuelle n’est peut-être pas aussi sombre que celle que Bloom avait dépeinte en 1987 :

« Pourtant, même de nombreux économistes ont appris à présent que le sentiment moral doit être à la base d’un marché. »

En fait, l’article de McCloskey (qui anticipe son livre de 1996 sur le même sujet) est un excellent exemple de l’appréciation de la culture par un économiste libéral classique, touchant intelligemment à la philosophie classique et moderne, au langage de la vertu, et à l’histoire médiévale et à la psychologie freudienne. Et McCloskey n’est pas la seule. Plusieurs groupes (bien que petits) et écrivains ont élargi les horizons du libéralisme classique au-delà de la politique et de l’économie. Plus récemment, l’économiste Tyler Cowen a soutenu dans In Praise of Commercial Culture qu’un regard économique sur la « production culturelle » montre une forte corrélation entre la prospérité et la consommation de masse d’artefacts culturels, qu’ils soient bas ou hauts.

Ce bref regard sur Hayek, Rand et Nock ne met pas fin au débat sur la culture – il devrait plutôt lancer la discussion parmi les libéraux classiques dans un domaine où ils ont, et ont eu, beaucoup à apporter. Aux critiques, nous pouvons répondre que, loin de paralyser le libéralisme classique ou de le rendre simplement pratique, l’absence d’une ligne de parti unifiée sur la question de la culture nous permet à la fois d’apprécier les dernières idées d’une diversité de disciplines et de continuer à explorer notre propre riche tradition d’historiens, de philosophes moraux et éthiques, d’essayistes, de romanciers, de théologiens et, oui, de philosophes politiques et d’économistes.