Revue de livre par Serge Rouleau
Il existe de nombreuses théories pour expliquer les énormes
disparités de richesse entre les différentes nations du monde. Toutefois, elles
sont souvent simplistes et rarement universelles. Les économistes Daron Acemoglu du MIT et James Robinson de Harvard ont
voulu palier à cette lacune en publiant Why
Nations Fail.
Les auteurs ont étudié l’histoire de plusieurs sociétés en
Europe, en Amérique et en Asie dans le but de comprendre pourquoi certaines se
sont enrichies, alors que d’autres sont demeurées pauvres. Est-ce la
géographie, la présence de richesses naturelles, la culture ou encore
l’ignorance des leaders?
Le phénomène de l’enrichissement des sociétés date d’au plus
200 ans. Avant la révolution industrielle, les populations étaient égales dans
la pauvreté. Le revenu moyen d’un conquistador était environ le double d’un Inca.
Les citoyens de l’Angleterre et des États-Unis se sont
enrichis après avoir renversé l’élite dirigeante et l’avoir remplacé par une
société plus égalitaire. Les gouvernements devaient rendre des comptes aux
citoyens et ceux-ci étaient libres d’entreprendre et de choisir leurs activités
en fonction de leurs intérêts économiques.
Selon Acemoglu et Robinson, ce sont les institutions qui encadrent
le fonctionnement d’une société qui favorisent ou non son succès. Une société
bénéficiant d’institutions inclusives prospère, alors que les
sociétés encadrées par des institutions extractives sont condamnées à la
misère.
La clé du développement est l’inclusion de la majorité de la
population à la vie économique. Lorsqu’un individu peut améliorer son sort en
travaillant plus, en prenant des risques ou en innovant, la société se
développe et tous en profitent. Les principes sous-jacents aux institutions
inclusives sont principalement la propriété privée, le caractère sacré de
l’État de droit et la pluralité politique. La propriété privée permet aux
individus de profiter des bienfaits des efforts qu’ils déploient dans la
société. L’État de droit minimise l’arbitraire et protège les individus des
abus. La pluralité politique stimule les débats sociaux et permet de maintenir
un bon équilibre entre les diverses options politiques.
Au contraire, une société encadrer par des institutions
extractives est caractérisée par la dictature politique et l’arbitraire. Règle
générale, lorsque le pouvoir politique est centralisé dans les mains de
quelques individus, le gouvernement est instrumentalisé au bénéfice de l’élite
dirigeante. La population ne pouvant
bénéficier des bienfaits de leurs efforts a recours à toutes sortes de
subterfuges pour éviter la confiscation du fruit de leurs labeurs. Les plus
talentueux émigrent quand cela est possible. Ces populations sont condamnées à
la pauvreté.
L’État doit être suffisamment fort pour mettre en place des institutions
favorisant l’activité économique : des systèmes judiciaire et monétaire
forts, une sécurité publique et une justice indépendants de la politique, des
infrastructures de base suffisantes et efficaces et des systèmes de santé et
d’éducation de qualité. Cependant, le pouvoir de l’État ne doit pas être
hégémonique. Pour éviter les systèmes où une minorité au pouvoir exploite la
majorité, il doit y avoir plusieurs sources de pouvoirs : plusieurs partis
politiques, une société civile militante et des médias forts et indépendants.
Les auteurs utilisent, entre autres, les Corées pour
démontrer leur thèse. Au milieu du XXe siècle, les Corées du Nord et du Sud
étaient réunies. Elles bénéficiaient donc des mêmes atouts : population homogène,
même culture, mêmes ressources naturelles, etc.. La guerre de Corée au début
des années 50 créa deux pays, le Nord et le Sud. La Corée du Nord, s’inspirant
de la Chine communiste, a eu recours à des
institutions extractives pour gouverner. Par contre, la Corée du Sud, tout en
conservant les caractéristiques propres à la culture coréenne, s’inspira des
démocraties capitalistes. Elle a adopté des institutions inclusives pour
gouverner. Soixante ans plus tard, la population de la Corée du Nord végète
parmi les plus pauvres au monde, tandis que celle de la Corée du Sud a rapidement
rattrapé la plupart des pays occidentaux.
Toutefois, les auteurs nous rappellent qu’il n’y a rien de
permanent. Une société inclusive peut rapidement muter en une société
extractive. Il suffit de regarder l’histoire récente du Venezuela pour s’en
convaincre.