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21 décembre, 2022

Alain Besançon : le libéralisme face au mal

 Par Pascal Avot.

Le fait est peu connu du public libéral, et il doit être souligné avec énergie, tant nos motifs de fierté intellectuelle sont rares quand notre pays sombre dans un inexorable socialisme : la France peut s’enorgueillir d’avoir donné naissance à une foule de très grands experts du communisme en général et de la Russie en particulier. Il faut évoquer Jean-François Revel, Annie Kriegel, Françoise Thom, Galia AckermanStéphane CourtoisThierry Wolton, Nicolas Werth, tous esprits de grande qualité, tous dévoués corps et âme à la double cause de la vérité et de la liberté, tous combattant pied à pied, bec et ongles, décennie après décennie, les mensonges planétaires du Kremlin.

Mais le plus grand d’entre eux est indiscutablement Alain Besançon.

 

La soviétologie

La soviétologie est l’étude scientifique du régime soviétique. Elle s’appuie sur l’histoire et au-delà. Car un de ses présupposés est que le long règne du communisme soviétique sur la Russie, sur l’URSS et, via la propagande, la manipulation, la guerre et la corruption, sur le XXe siècle tout entier, est un phénomène entièrement neuf, qui exige de mobiliser plusieurs disciplines. L’histoire, bien entendu, mais également l’économie, la sociologie, la polémologie, l’anthropologie, la métaphysique et même, pour certains, la théologie.

En somme, le soviétologue est un historien qui, confronté à la puissante énigme du collectivisme, bat le rappel des sciences disponibles pour en former une nouvelle, seule à même d’affronter les destructions sans précédents commises par LénineStalineMaoCastroPol Pot, la dynastie des Kim, d’autres encore. Dans cet exercice ô combien difficile, Alain Besançon est le maître.

 

Le soviétologue

Né en 1932 à Paris dans une famille de la bonne bourgeoisie travailleuse et appliquée, fils et petit-fils de médecins, il adhère au Parti communiste français en 1951. Il s’y montrera un militant discipliné, soumis et aveugle comme ses camarades, considérant Staline comme un génie, conformément aux injonctions de l’organisation politique la plus influente et la plus totalitaire de France.

Mais, en 1956, survient la dénonciation des crimes de Staline par Krouchtchev. Elle détruit d’un coup les convictions d’Alain Besançon. Il se sent trahi, la colère l’envahit. Il quitte le PCF et décide de consacrer sa vie à comprendre pourquoi et comment il a été manipulé et sali. Il ne le fait pas uniquement par désir de prendre sa revanche, mais également et surtout par volonté de se racheter.

Il écrit :

« Tout ce temps que j’ai passé sur l’histoire russe et le communisme soviétique, à l’étudier et à l’analyser, j’espère qu’il me sera compté à pénitence ».

Commence alors une brillante carrière d’historien universitaire. Il enseigne à Columbia, à Stanford, à Washington, à Princeton, à Oxford, à l’EHESS. Au long d’un œuvre qui fait aujourd’hui internationalement référence, il forge une vision originale du communisme. C’est elle que les libéraux français contemporains doivent impérativement connaître s’ils veulent, un jour, peut-être, vaincre le socialisme qui ravage leurs existences.

 

L’idéologie

Alain Besançon fixe un centre de gravité au phénomène communiste : l’idéologie.

À la suite de Soljenitsyne, il considère qu’elle seule peut expliquer les catastrophes observées en Russie, en Chine et ailleurs. Certes, il y a les contextes différents, les événements imprévisibles, les individus, la complexité de leurs profils psychologiques et leurs dévorantes ambitions, mais ce qui lie ensemble l’histoire du communisme, ce qui la rend homogène et cohérente malgré sa folie, systémique malgré sa sauvagerie, et incomparable avec le reste de l’aventure humaine, c’est l’idéologie.

« Qu’est-ce que l’idéologie ? » Voilà la question fondamentale de la pensée d’Alain Besançon.

Il y répond en ouverture de son chef-d’œuvre, Les origines intellectuelles du léninisme. Dans cet essai d’une densité et d’une profondeur remarquables, le soviétologue signale que l’idéologie est à la fois un tout et un rien.

Un tout parce qu’elle est le cerveau qui dirige tous les organes du communisme. Elle dicte leurs pensées, leurs paroles et leurs actes aux dirigeants, même les plus mégalomanes. Mao et Staline peuvent bien se faire passer pour des dieux vivants, il n’en sont pas moins les humbles esclaves du dogme marxiste-léniniste : ils lui doivent tout, ils le savent, et ils n’imaginent pas un seul instant lâcher cette rampe d’acier qui les a menés si haut dans la hiérarchie universelle. Ils sont hantés, possédés par elle. Jusqu’à la fin de sa vie, dans la solitude de ses insomnies, Staline l’étudiera avec fièvre, tel un alchimiste penché sur ses grimoires. Aujourd’hui encore, comme lui, malgré les dizaines de millions de morts qu’elle a occasionnés, d’innombrables étudiants de gauche tentent de percer les secrets du « matérialisme dialectique ».

Et l’idéologie est un rien parce qu’elle se trompe invariablement sur tous les sujets, qu’elle peut se résumer en quelques formules incroyablement vaines et creuses, et qu’elle s’exprime dans une langue de bois d’une pauvreté sans égale. L’idéologie est d’une médiocrité qui saute aux yeux et devrait suffire, en soi, à dénoncer son inanité. Pourtant, elle se présente aux foules comme la science des sciences, le savoir le plus parfait, le plus définitif auquel soit jamais parvenu l’humanité. Elle prétend rendre obsolètes toutes les connaissances, y compris, chez Lénine, les sciences exactes, qu’il réécrit à grands traits de plume, démontrant que la dialectique annule et remplace la chimie, l’astronomie et la physique. Ainsi l’idéologie, dans sa criante nullité, s’arroge-t-elle le droit de ridiculiser le génie civilsationnel. Tout irait bien si son influence sur la réalité se maintenait à un stade groupusculaire, sous une forme sectaire et anecdotique. Or, elle a conquis sur les cinq continents une myriade d’esprits au XXe siècle, et son extension ne semble pas prête de s’éteindre. C’est que l’idéologie, explique Alain Besançon, est contagieuse. Le vaccin reste à inventer.

 

L’œuvre

De cette alignement de l’histoire du communisme sur l’étrangeté idéologique, Alain Besançon tire des livres passionnants.

À un public libéral, on signalera Anatomie d’un spectre, formidable dissection de l’indigence économique du communisme.

À qui veut saisir la différence exacte entre communisme et nazisme, on recommandera Le malheur du siècle.

Les fans de 1984 se lanceront dans la lecture de La falsification du bien : Soloviev et Orwell.

Quiconque s’intéresse au poutinisme trouvera dans Sainte Russie des éclairages décisifs.

Et, bien entendu, Les origines intellectuelles du léninisme, monument d’érudition et de clairvoyance, où Alain Besançon nous plonge dans les méandres cauchemardesques de l’âme de Lénine. Mais notons que tous ces essais se trouvent désormais dans un très gros et très beau volume réunissant l’essentiel d’Alain Besançon : Contagions, aux éditions des Belles Lettres. 1500 pages superbement mises en page, d’une lisibilité idéale, pour 55 euros. Ne pas se le faire offrir pour Noël serait masochiste. Ne pas l’offrir serait sadique.

 

Alain Besançon ne se contente pas d’être un auteur de tout premier ordre, à la culture spectaculaire, aux idées d’une précision chirurgicale et au style d’une admirable élégance – et, par moments, à l’humour délicieusement incisif. Il est un professeur de pensée. Si Galia Ackerman, Françoise Thom et bien d’autres, disent volontiers de lui avec une émotion particulière dans la voix « C’est mon maître », c’est que cet élève de Raymond Aron a fondé sa propre école invisible, à laquelle appartiennent à vie la plupart de ceux qui l’ont lu. Voyager dans l’univers conçu par Alain Besançon laisse une trace dans l’intelligence : c’est une expérience unique et elle fait un bien fou.

 

Pour finir, signalons qu’Alain Besançon est un libéral. Vous n’avez donc maintenant plus guère d’alibi pour ne pas faire le salutaire achat de Contagions.

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