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12 décembre, 2015

Lady George par Louise V. Labrecque



LADY GEORGE



Par Louise V. Labrecque

Il y a d’abord cette jeune personne, cette enfant, Aurore Sax, née à la fois de la noblesse et du peuple; et puis, il y a cette femme, en qui se retrouvent toutes les contradictions. C’est avant tout une sentimentale.  Elle n’aurait jamais dû se marier : ce fut un désastre.  Son mari, Casimir Dudevant, était complètement nul, grossier, despote. Qu’importe ! Plus tard, elle sera une intellectuelle, vivra à Paris, puis à sa merveilleuse maison de campagne, située à Nohant, tous les étés.  À partir de là, s’élabore  une étape importante, le début du tableau lyrique, l’histoire d’amour de sa vie, oui, car il y a Georges Sand, dont l’œuvre colossale, immense, célèbre, se passe de présentation, et … il y a autre chose; il y a plus. Lady George ne fait pas que cerner un cœur (et un sexe), somme toute évanescent, elle le situe  au milieu de toutes ses activités littéraires. C’est à la fois son drame et sa fantaisie; elle n’en sera point tiraillée car elle est devenue, assez rapidement, à la fois ce qu’elle est et ce qu’elle voulait devenir : une intellectuelle passionnée de lettres, de correspondances, de politique, et aussi, surtout, une amoureuse ardente, et une mère de famille bourgeoise, sans mari.  Et ce qui fait qu’elle ne se perdra pas, c’est justement cet esprit passionné, doublé d’une dualité toute personnelle, originale, jusque que dans son rapport à la sexualité, au sexe, comme en fait foi son prénom d’emrunt masculin. Ainsi, et ce fait n’est pas banal, ce ne fut pas seulement une femme simplement en avance sur son temps dans la vie, dans la littérature et les arts, mais aussi, et surtout, au lit.  De ce fait, son rapport à l’intime est  bouleversant,  surtout considérant que l’on parle d’une femme vivant ses amours charnels autour des années 1837.

De tous ses amants, plusieurs ont été célèbres,  avant la lettre, et d’autres sont encore à découvrir, tellement le nombre est important; parmi ceux-ci, Michel de Bourges, à qui elle écrira : « tu n’es pas capable de comprendre pourquoi, comment, et combien, je t’aime » ! Est-ce là  la clé afin de résoudre sa psyché masculine/féminine ? De toutes ses qualités psychiques, en effet, il y a ce regard particulier de la femme, porter par une femme,  sur un monde ayant à la fois des modalités féminines et masculines.  Sont-ils à ce point différents, et/ou complémentaires, irrésistibles, considérant que la psyché, justement, au-delà du sexe biologique, se situe dans le jeu subtil des perceptions, tel un couple analytique ? Ainsi, en avance sur son temps, Lady George divorça,  somme toute assez rapidement, de son mari odieux, et pris pour amant l’avocat l’ayant défendue dans cette cause, Michel de Bourges, dont elle tomba amoureuse ardemment,  inéluctablement. Avec lui, elle partira  à la découverte de sensations puissantes qui laisseront un écho persistant, dans le plein plaisir sexuel lui-même, certes, mais également dans le genre d’attente sauvage et exalté  qu’il suscitera, comme si toutes ses pensées et impressions se liaient, d’un coup, à sa nature délicate, raffinée, exquise, féminine, pour enfin triompher de ce moi masculin, tout d’un bloc. Elle fera violence à sa fierté, avec lui, en même temps qu’elle couvera d’autres amours, afin de ne pas se briser complètement. Il y a chez cet amant-là quelque chose d’intéressant à observer, afin de comprendre les profondeurs de la quête sexuelle de Georges Sand. « Il n’était pas comme les autres », écrira t’elle, et il arriva à un moment de sa vie où elle était particulièrement vulnérable. Avec lui, elle perdit ses repères, et bien malgré elle, s’abandonna, avec tout ce que ce mot veut dire.  Ainsi, lucide, elle avouera « ce n’est pas à cause de l’amour que tu as eu pour moi que je t’ai aimé. Combien d’autres en ont eu davantage qui ne m’ont pas fait seulement lever les yeux au-dessus de mes livres! »  Ainsi, elle fera plus que céder à ce beau parleur, lui disant finalement franchement, telle une évidence somme toute plutôt banale : « je t’ai aimé parce que tu me plais! »  Ainsi demeurera-t’elle toute sa vie : vierge par l’intelligence, la véritable intelligence; celle capable de candeur, celle capable de génie. Et, comme en fait foi cette confidence, à cet amant initiateur: « S’il suffisait de se savoir aimée pour rendre la pareille, et si avec la conviction d’être aimée fort peu, on acquérait tout d’un coup la force de se vaincre et d’oublier, il est certain que j’aimerais d’autres que toi, il est certain que je ne t’aimerais plus. »  Et à partir de là, cette prise de conscience sonna un véritable réveil, effectivement. Ainsi, George Sand passa à autre chose, et alla voir ailleurs si elle y était; et pas qu’un peu.  Après tant de soumissions dans le plaisir, après cette déchéance pulsionnelle, elle revisite enfin ses réelles émotions ; elle se mesure, de ce fait, à sa force, à ses pulsions de vie, en somme de l’homme en elle, elle sait rapidement qu’il vaut également la femme.  Cet amant-là devient  ainsi la porte qui s’ouvre sur tous les autres, l’arbre qui cache la forêt, et vu comme ça, il demeure une conquête sur elle-même, une bagatelle d’abord, puis, guidée par ses fantaisies ardentes, « un analyste idéal », à la fois l’objet et le sujet; et à la fois, une façon d’être physiquement dans le monde.




Ainsi, rien ne la laisse indifférente; mais elle n’est pas un objet. Des hommes la désirent et elle  leur cède ; les évènements ne la bousculent pas, car elle sait maintenant les dominer. Par ailleurs, toute son œuvre est teintée de cet esprit rebelle : non seulement elle adopte et assume entièrement  le pseudonyme masculin de George Sand, (comme plusieurs femmes de plume le faisait à l’époque), mais elle, elle va plus loin : elle s’habille en homme, elle fréquente les milieux réservés aux hommes, et elle devient, de ce fait, l’auteure féminine dont les critiques parlent et écrivent au masculin.  Il n’est pas exagéré d’affirmer que Victor Hugo l’a sauvée, ainsi que des amis « hugolâtres », dont Jules Sandeau, de qui elle deviendra la maîtresse, et avec qui elle mènera la folle vie d’étudiant bohême, habillée en homme, et courant Paris, la nuit. Elle écrit même avec lui, signant « J.Sand », mais son génie personnel dépasse bien largement le talent de son collaborateur, lequel ne pourra souffrir plus longtemps cette situation , et ne tardera pas à la tromper avec une blanchisseuse. Elle deviendra, à partir de là, LA féministe, continuant non pas de se travestir en homme, mais de vivre pleinement sa vie, entièrement libre, insolente, brillante, joyeuse, et complètement libérée. Elle fera ainsi mouche, et suscitera la curiosité, l’enthousiasme, et plus tard le scandale, du tout Paris, et bientôt,  de toute l’Europe !  Voici un exemple (dont certains contestent la pérennité) de sa plume, lorsqu’elle s’érotise,   à l’égard de son amant le plus éperdu, le poète Alfred De Musset :

Je n’ai plus qu’une idée en tête,
n’en déplaise à tous ceux de
votre sexe, masculin et puissant,
qui m’intimident un peu quelquefois,
au point d’en rougir de honte et d’envie.
N’allez point par là douter de ma sincérité !
Quand je pense à tous ces jeux
de hasard à essayer avec vous et vos amis
interdits, usant de mon cul-
ot ou de ma grande agilité
qui en ravira plus d’un, sans parler de ma tenue,
Je sais que vous êtes prêt à partager et vous dirai la vérité
toute nue, car je sais que vous y tenez !


Son côté caché n’est pas dénué d’intérêt, ainsi nous découvrons que George Sand adore « les petits jeux » : relisez cette lettre en sautant une ligne, et vous comprendrez le double sens, sans équivoque. De ce côté amusant dans l’incroyable et importante correspondance entre ces deux-là, il y a de l’esprit, certes, mais également une énigme, dont je parlerai plus tard, dans un prochain article, plus touffu, et tout consacré à cette question. En effet, tout cela a de quoi laisser nostalgique. Par exemple, voyez cet autre acrostiche, inspirée cette fois de la plume d’Alfred de Musset, répondant à la lettre de cette dernière :

Quand je mets à vos pieds un éternel hommage
Voulez-vous qu'un instant je change de visage ?
Vous avez capturé les sentiments d'un coeur
Que pour vous adorer forma le créateur.
Je vous chéris, amour, et ma plume en délire
Couche sur le papier ce que je n'ose dire.
Avec soin, de mes vers lisez les premiers mots
Vous saurez quel remède apporter à mes maux.


Cette insigne faveur que votre coeur réclame
Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.

Aussi, il n’est pas peu dire d’affirmer qu’il était mal vu pour une femme, à cette époque, d’avoir un amant plus jeune qu’elle, et pour éviter le qu’en dira-t’on, les amoureux utilisèrent cette technique, à quelques détails près.

De même, Frédéric Chopin, qui fut son également son amant, répondait lui-aussi, parfois, par énigme. Il faut savoir : dès la toute première rencontre, il y eut, un malaise, tandis que Franz Liszt donnait une soirée chez lui. Un homme petit, chétif, génial, aux traits doux, un peu féminins, et cette grande gaillarde, habillée en homme, fumant la pipe, le verbe haut, prenant beaucoup de place en société.  Une passion orageuse suivit, non sans s’être demandé l’un l’autre, Chopin d’abord à son hôte : « mais, est-ce bien une femme ? », puis cette dernière à une amie : « ce monsieur Chopin, est-ce une jeune fille ? » Ainsi, des années durant, cette relation sera vécue dans le plus prodigieux des secrets, prenant même des allures quelque peu « incestueuses », comme celle d’une mère avec son fils.  Complètement ébahis l’un par l’autre, admiratifs du talent incommensurable de chacun, ils ne tariront pas d’éloges, à cet effet, l’un sur l’autre. Georges Sand sera littéralement  subjuguée par le talent exceptionnel du musicien, tout autant que par sa fragilité. Ce dernier parviendra à reconnaître la vigueur d’esprit de sa chérie, le génie rayonnant de sa plume, son intelligence sans commune mesure, ainsi que son élan hautement créatif, grandiose, unique en son genre ! Il lui en faudra, néanmoins, du temps…. Trop peu, trop tard ? Quoi qu’il en soit,  Lady George caresse déjà d’autres rêves,  non sans une certaine tristesse, ni un certain désarroi.  C’est qu’elle aima très profondément Chopin, oui, comme tous les autres, mais avec lui elle aura la relation la plus longue, et peut-être la plus fusionnelle. Il n’avait pas la santé très solide, il avait besoin d’elle !  Elle en prit un soin jaloux, le protégeant de tout, et surtout de lui-même, du moins le pensait-elle. Et je suppose que ce fut bel et bien le cas, car de là, elle aura certes des ami(e)s, plusieurs,  avec qui elle entretiendra une correspondance assidue ;  elle sera invitée à gauche et à droite, aura à marier sa fille, puis son fils ; ainsi la vie va…. Aura-t-elle d’autres amants, oh oui, évidemment, et plusieurs ! Cela vous choque ? Imaginez un peu dans les années 1840 ! 


Certes, nous devinons ainsi aisément, combien, plus que toutes autres, George Sand souffrit des sévères jugements masculins à son égard, dont les plus infâmes furent retrouvés, dans un journal, en date du 8 décembre 1848 : « si on avait fait l’autopsie des femmes ayant un talent littéraire original, comme madame Sand, on trouverait chez elle des parties génitales se rapprochant de l’homme, des clitoris un peu parents de nos verges ».  Voilà  qui a le mérite d’être clair, n’est-ce pas ? Et cet énoncé donne également le ton, à savoir combien il était risqué, pour une femme, au XIXième, de vivre aussi librement. Qui plus est, son genre, tant de manière symbolique qu’anatomique, ne coïncidait pas, justement, avec l’époque; c’est comme s’il y avait un hiatus quelque part, comme si ces dispositions bisexuelles rendait son rapport avec les hommes intéressant, certes, mais complexe, dans le mauvais sens du terme. Ainsi, développera t’elle « un complexe de masculinité » ,  peut-être pour pallier l’absence d’un père, mort trop tôt, dans la plus tendre enfance ? La question se pose; de la même manière, elle sera puissamment investie affectivement par deux femmes : sa mère et sa grand-mère, qui prendront soin d’elle, après ce départ subit de la très chère figure paternelle. Est-ce de là que vient son engagement féministe, ses contradictions les plus sombres et les plus sensibles,  sa rage d’écrire ? Il faut savoir que pour l’écriture, en effet, une femme, aux yeux des hommes « ne valait rien », et cela sans donner d’arguments plus convaincants, si ce n’est que le recours à la bêtise : « c’est un cliché », et autres amalgames tordus, comme si la vérité,  justement, faisait peur. Ainsi, que Lady George se soit accordée une liberté « hors normes » est révélateur, très certainement d’une forme de recherche, d’un air neuf à respirer, tout à la fois d’une critique sociale des femmes de son temps, du moins, sans trop s’en rendre compte elle-même. En effet, il est et sera, en même temps, toujours difficile de situer l’œuvre de Sand dans un rapport féministe; nous n’avons qu’à penser à ces figures de femmes soumises fleurissant son œuvre, à commencer par la petite fadette, dans le roman du même nom. Et n’est-ce pas là paradoxal, le fait de mettre ces femmes soumises en bonnes premières; n’est-ce pas regrettable, du moins questionnable, à  la lumière de la vie réelle de l’auteure ? En effet, ces femmes sont des modèles d’inaction, porteuses d’un message d’acceptation sociale de leur époque. Voilà ce qui manque, voilà le relief singulier de la vie littéraire,  dans l’œuvre de Sand : ambigüe jusque là. 

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