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03 septembre, 2020

Maoïsme et progressisme radical : une troublante analogie

 Si le politiquement correct d’aujourd’hui est dangereux, ce n’est pas seulement qu’il interdit de dire certaines choses mais surtout qu’il oblige à en dire d’autres.

Même si l’Histoire ne se répète jamais, on y trouve toujours de troublantes analogies. La civilisation occidentale chrétienne est aujourd’hui bouleversée par l’émergence d’un progressisme radical qui remet en cause toutes ses normes, ses valeurs et ses croyances.

Mais derrière sa volonté d’émancipation face à l’ordre établi, ce mouvement dégage un véritable désir punitif qui n’est pas sans rappeler un précédent historique trop méconnu : la Révolution culturelle menée par Mao dans la Chine communiste entre 1966 et 1976.

En effet, cette révolution de la jeunesse urbaine chinoise contre le pouvoir du Parti communiste a été instrumentalisée par Mao pour détruire ses rivaux au sein de l’appareil d’État.

Croyant faire la révolution, ces millions de jeunes vont ainsi œuvrer avec une énergie insoupçonnée à la destruction de la civilisation chinoise. Pour le sinologue Jean-Luc Domenach1, il s’agit d’une paradoxale « rébellion répressive ». Nous allons voir qu’il existe de nombreuses analogies entre ce mouvement et le progressisme radical, tant sur leurs ressorts idéologiques que sur leurs modes opératoires. Et ces analogies sont riches en enseignements civiques.

UN MÉCANISME IDÉOLOGIQUE SEMBLABLE

En lançant la « Grande révolution culturelle prolétarienne » (GRCP) au printemps 1966, Mao donne pour mission aux Gardes rouges de détruire toutes les références culturelles antérieure à l’établissement du régime communiste en 1949. On retrouve cette exhortation contre ce qui sera dénommé les « quatre vieilleries » dans l’éditorial du Quotidien du peuple du 1er juin 19662 :

La révolution culturelle prolétarienne vise à détruire de fond en comble la pensée, la culture, les mœurs et les coutumes anciennes, que les classes exploiteuses utilisèrent au cours des millénaires pour empoisonner le peuple, et à créer et développer parmi les larges masses populaires une pensée, une culture, des mœurs et coutumes totalement nouvelles, celles du prolétariat.

Pour advenir l’ordre nouveau doit donc détruire tout ce qui l’a précédé. Dans une vision marxiste radicale, l’ensemble de la civilisation chinoise est considéré comme oppressif et corrompu. Rien ne peut ni ne doit en être sauvé. La rédemption passe par l’éradication.

On retrouve ce fond idéologique par exemple dans la mouvance néo-féministe qui estime que toute notre culture est le produit d’un patriarcat oppresseur et qu’il faut donc remplacer l’intégralité des mœurs anciennes régissant les rapports entre les hommes et les femmes.

Mais également dans la mouvance décoloniale qui affirme que l’histoire du monde se résume par la domination des Blancs sur les racisés et qu’il faut donc effacer toutes les traces de cette histoire.

L’EXPLOITATION DES FRUSTRATIONS DE LA JEUNESSE

Le ressort sociologique de la révolution culturelle repose sur la mise en opposition des jeunes et des anciens3. Ce que l’on retrouve aussi aujourd’hui avec Greta Thunberg et son « vous avez volé mes rêves et mon enfance » ou encore le fameux « ok boomer ».

Pour s’attaquer aux intellectuels, artistes et cadres du parti qui lui résistaient, Mao a mobilisé les millions de jeunes urbains scolarisés. Il a misé sur leur frustration de devoir subir un ordre rigide alors qu’ils étaient biberonnés aux exploits de la révolution communiste de 1949. Leur besoin de reconnaissance et leur soif de revanche étaient très forts.

Il a aussi misé sur leur jeunesse puisque entièrement éduqués dans le dogme maoïste, ils n’avaient aucune autre arme intellectuelle à leur portée. Les Gardes rouges ont donc été ses partisans les plus fanatiques, voulant faire appliquer à la lettre les slogans maoïstes appris par cœur. Quelques 200 000 enseignants, intellectuels et artistes furent torturés, emprisonnés ou assassinés par eux entre 1966 et 1967.

LA DESTRUCTION DU PASSÉ

Dans leur furie destructrice, les Gardes rouges s’en sont aussi pris aux objets incarnant les « vieilleries ». Livres, monuments et antiquités sont détruits. Même les registres généalogiques sont brûlés et de nombreuses personnes doivent changer de prénom. Les rues sont débaptisées, tout comme les écoles. Les films, spectacles et musiques sont interdits. Seules quelques œuvres produites par les maoïstes et conformes au maoïsme sont autorisées.

Cela n’est pas sans rappeler de nombreux faits d’actualité récents.

Les destructions de statues aux États-Unis ou en Europe dans le cadre du mouvement « Black lives matter ». On a aussi vu les élèves du lycée Colbert de Thionville le faire rebaptiser Rosa Parks.

Le chef d’œuvre du Septième art Autant en emporte le vent a été retiré du catalogue de HBO puis sa projection parisienne déprogrammée. Les romans Huckleberry Finn ou La Case de l’oncle Tom ont été retirés de programmes scolaires et de bibliothèques américaines. En 2019, des groupes antiracistes avaient fait interdire une pièce de l’auteur antique Eschyle à la Sorbonne.

La Ligue de défense noire africaine a même affirmé le 30 mai que « La France de Clodion le Chevelu, de Jeanne d’Arc, de Philippe Pétain ou de Charles de Gaulle n’est plus ! », appelant au « renommage (sic) des rues, places et lycées » et réclamant que Montesquieu, Napoléon ou le général de Gaulle soient remisés dans un « musée des mauvais hommes ».

LA SURVEILLANCE MUTUELLE

Le maoïsme est allé beaucoup plus loin que le stalinisme dans le contrôle social, au point même d’effrayer certains observateurs soviétiques. En Chine, la répression n’est pas policière et secrète mais populaire et publique. Elle s’exerce notamment par les « meeting de lutte », qui sont des séances de critique et d’autocritique devant renforcer le conformisme idéologique.

Les personnes suspectées d’être contre-révolutionnaires sont accusées publiquement et doivent subir les insultes de la foule, sous les exhortations de cadres du parti ou de gardes rouges.

Chacun peut inspecter les pensées de l’autre et est appelé à être plus radical que son voisin, sous peine d’être suspecté à son tour. En ce qui concerne l’accusé, il est considéré comme coupable et ne peut que se repentir, c’est l’autocritique. Toute contestation renforce la culpabilité et le déchaînement de la foule.

La pratique actuelle du « online shaming » (ou « humiliation en ligne ») n’est rien d’autre que des meetings de lutte numériques. On ne compte plus le nombre d’influenceurs, de personnalités ou même de simples internautes qui au moindre propos pouvant toucher un membre d’une minorité sexuelle, ethnique ou religieuse, ont subit le déchaînement des réseaux sociaux.

Une fois pris dans la tourmente ils ne peuvent plus se défendre puisque noyés sous la masse des accusations et des insultes. Leur seule solution est de reconnaître qu’ils ont mal pensé. Récemment, accusé de machisme pour avoir critiqué le mouvement #MeeToo, le ministre de la Justice a été contraint d’affirmer publiquement « je suis féministe et je le dis, sans avoir à rougir, je suis féministe ».

LA MORT SOCIALE

Sous Mao, les accusés étaient aussi promis à l’ostracisme. Après leur critique publique, les proches étaient vivement incités à rompre tous liens avec l’accusé, sous peine d’être accusés à leur tour. Les femmes étaient incitées à divorcer, les employeurs à licencier et les voisins à ne plus leur parler.

Ce mécanisme faisait pleinement partie de la « terreur démocratique » voulue par Mao pour inciter chacun à devenir un auxiliaire du pouvoir. Et d’ailleurs, souvent, les enfants devinrent les accusateurs de leurs propres parents, poussant le contrôle idéologique jusqu’au sein des foyers.

Cette pratique de la mise à mort sociale s’est largement instaurée sur les réseaux sociaux avec la cancel culture qui est même revendiquée par les progressistes radicaux comme moyen de lutte contre la haine. Dans le cadre de l’humiliation publique, il s’agit de faire disparaître l’accusé des réseaux sociaux ainsi que de sa vie réelle.

Pour la partie virtuelle, il s’agit de signaler massivement aux plateformes numériques (Facebook, Youtube, Twitter, etc.) les comptes des personnes accusées afin d’en obtenir la fermeture. Et si les plateformes ne suivent pas, la campagne d’accusation peut se retourner contre elles, au point que Facebook est aujourd’hui boycotté par les annonceurs pour ne pas avoir supprimé suffisamment de comptes d’utilisateurs suite au meurtre de George Floyd.

Pour la partie réelle, il s’agit de révéler des informations sur la vie privée (doxing), comme par exemple le nom de son employeur. Le but est d’obtenir, par le déchaînement de la fureur populaire envers l’entreprise, le renvoi de l’accusé. Mais souvent, la simple accusation suffit à ruiner la vie d’une personne.

Sandra Muller, l’égérie du mouvement #BalanceTonPorc lancé sur twitter en 2017, a accusé à tort son ancien patron de harcèlement. Et même si la justice a condamné l’activiste en 2019 pour dénonciation calomnieuse, la victime y a quand même perdu sa femme et son travail.

LA RÉÉDUCATION

Les Gardes rouges ont envoyé 3 à 4 millions de personnes dans les Laogai, ces camps de rééducation créés par Mao en 1950 d’où un tiers des prisonniers ne revinrent jamais.

Dans ces camps, les accusés-coupables devaient travailler en groupe sur leur autocritique puis étudier les citations de Mao jusqu’à ce qu’ils deviennent conformes idéologiquement. Évidemment, le fait de travailler en groupe avait pour but d’assurer la surveillance mutuelle.

On retrouve ce même réflexe dans le clip de la chanteuse Angèle Balance ton quoi, sorti en 2019 afin de soutenir le mouvement #BalanceTonPorc. Il met en scène un tribunal où les hommes sont jugés pour sexisme. Les coupables y sont envoyés non pas en prison mais dans un camp de rééducation (anti-sexism academy) pour apprendre lors de séances de groupe à penser comme il faut.

LE DANGER

Si le politiquement correct d’aujourd’hui est dangereux, ce n’est pas seulement qu’il interdit de dire certaines choses mais surtout qu’il oblige à en dire d’autres. Comme l’explique Jean Pasqualini, franco-chinois incarcéré sept années dans un camp de rééducation maoïste, le but de l’autocritique « n’est pas tellement de vous faire inventer des crimes inexistants, mais de vous faire admettre que la vie ordinaire que vous meniez était pourrie, coupable et passible de châtiment, puisqu’elle ne correspondait pas à leur propre conception de la vie4».

Aux yeux des progressistes radicaux, il faudrait avouer qu’en tant qu’homme vous avez forcément violé ou cautionné la culture du viol, qu’en tant que Blanc vous avez forcément des privilèges, que si vous êtes en bonne santé vous devez véhiculer la grossophobie, etc.

C’est un mouvement de déracinement massif. L’historien Loris Chavanette explique : « une fois le processus de déculturation engagé, difficile de l’arrêter car c’est alors la course à la mesure la plus radicale, à la démagogie5 ».

On le reconnaît lorsque la lutte antiraciste devient raciste en collant une étiquette aux Blancs, quand les antifascistes deviennent fascistes en utilisant la violence contre tout opposant ou lorsque les féministes deviennent antiféministes en voulant imposer aux femmes de se comporter comme des hommes.

C’est le signal d’un tournant totalitaire dont la masse se méfie trop peu car il n’est incarné que par une petite minorité. Mais l’usage de la terreur démocratique telle qu’utilisée par Mao et ses Gardes rouges, permet de s’imposer à tous. Et comme dans le cas chinois, cette nouvelle rébellion répressive interroge sur sa capacité à servir le pouvoir en divisant et soumettant le peuple.

  1. J-L. Domenach, Chine : l’archipel oublié, 1992. ↩
  2. Principal quotidien chinois, édité par le Parti communiste chinois. L’éditorial est tiré du dossier très complet sur la GRCP du site https://materialisme-dialectique.com/la-grande-revolution-culturelle-proletarienne/ ↩
  3. Tel qu’expliqué par jean-Louis Margolin dans Le livre noir du communisme, dans le passage de son chapitre sur la Chine maoïste consacré aux acteurs de la révolution pp.605-609. ↩
  4. Dans Prisonnier de Mao : sept ans dans un camp de travail en Chine, 1975. ↩
  5. « Déboulonnage de statues: « La Révolution française avait ouvert la boîte de Pandore » », Le Figaro, 16 juin 2020. ↩

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