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18 avril, 2018

Libéralisme : Hayek, théoricien du laissez-faire

L’économiste autrichien Friedrich Hayek est connu pour sa défense originale des idées libérales, qu’il opposait à la conception trop dominante qu’il jugeait trop rationaliste ou « constructiviste ».
Par Marius-Joseph Marchetti.
Qui est Hayek, cet auteur libéral incontournable du XXème siècle qui est réputé avoir introduit le laissez-faire en économie ? Friedrich Hayek a reçu le « prix Nobel » d’Économie de 1974 pour ses travaux sur la théorie des cycles économiques, approfondissant les travaux de son mentor Ludwig Von Mises (figure emblématique et centrale de l’École autrichienne, connue dans les milieux libéraux et libertariens pour son ouvrage d’économie L’Action Humaine, son magnum opus de 900 pages). Si l’on devait résumer l’œuvre de Hayek, nous pourrions simplement dire qu’elle fut sans cesse dédiée à combattre les idées constructivistes.

QU’EST-CE QUE LE CONSTRUCTIVISME ?

Le constructivisme, ou rationalisme constructiviste, n’est pas à confondre avec le rationalisme évolutionniste. Le constructivisme résulte d’une prétention criminelle, d’une « présomption fatale » (pour reprendre le titre de son ouvrage), qui consiste à croire qu’on peut ériger un ordre par la seule volonté, en faisant table rase des conventions et des ordres existants.
La dénonciation du constructivisme par Friedrich Hayek occupa la seconde partie de sa vie, durant laquelle il rédigea La Route de la servitudeDroit, Législation et LibertéLa Constitution de la LibertéLa Présomption Fatale, et bien d’autres encore.
Il nous semble nécessaire de rappeler que l’anti-constructivisme de Hayek provient de sa conception conséquentialiste, à l’opposé de l’utilitarisme classique. Dans son Droit, Législation et Liberté, Hayek pose clairement sa préférence pour ce qu’il nomme un Rule-Utilitarianism(qui consiste à découvrir des règles de juste conduite qui permettent d’accroître le degré de complexité de l’ordre étendu et de la civilisation), à l’inverse de l’Act-Utilitarianism, qui correspond à des formes d’utilitarisme plus classique que l’on retrouve chez Jeremy Bentham et John Stuart Mill.
>>> Lire aussi sur Hayek : Droit, Législation et liberté
Pourquoi donc ? Car selon lui, le processus de sélection des normes ne pourrait permettre autant de bénéfices publics si on s’opposait à lui au nom d’un « principe de non-nuisance » (Stuart Mill), ou d’une conception de « justice sociale », qui s’intéresserait à un état qui peut se dégrader pour certains individus (imaginons que l’entreprise d’un individu fasse faillite, il y aura nuisance pour lui et les personnes qu’il fait travailler) plutôt que sur un processus qui accroît le nombre de fins possibles pour un nombre toujours croissant d’individus1.
Longtemps avant qu’Auguste Comte n’introduise le terme « positivisme », Bentham avait posé solidement les fondations de ce que nous appelons aujourd’hui le positivisme légal et moral : c’est-à-dire l’interprétation constructiviste des systèmes de droit et de morale selon laquelle la validité et la signification de ceux-ci sont considérés comme dépendant pleinement de la volonté et de l’intention de ceux qui les ont conçus.  Friedrich Hayek, La Présomption fatale
Cette opposition nous permet de nous rendre compte de la différence qui existe entre deux grandes formes de rationalisme. Cette différence, entre ce que Hayek nomme le rationalisme constructiviste et le rationalisme évolutionniste, peut être résumé par ce propos de Hayek :
L’homme ne naît pas sage, rationnel et bon, mais a dû apprendre à le devenir. Ce n’est pas notre intelligence qui a créé notre morale, mais plutôt les interactions humaines régies par notre morale qui ont rendu possible le développement de la raison et des capacités qui lui sont associées. L’homme est devenu intelligent parce qu’il y avait pour lui une tradition – celle qui se tient entre l’instinct et la raison – pour apprendre.
Le rationalisme évolutionniste de Hayek se caractérise par une appréhension de phénomènes complexes qui existent depuis des siècles, en se modifiant et s’étendant au fur à mesure que les interactions humaines évoluent. Il estime que les conceptions qui permettent aux hommes d’appréhender le monde aujourd’hui proviennent de trois strates successives qui se sont formées au cours de l’évolution culturelle : Instinct, Tradition et Raison.
Il est donc absurde pour lui de considérer que l’Homme serait apte à former un ordre étendu et civilisationnel par la seule raison, comme l’extrême opposé lui semble tout aussi absurde, le cas d’un ordre qui ne dépendrait que des acquis strictement naturels et génétiques des hommes, comme peuvent le défendre certains sociobiologistes.
Les lois de de la conscience que nous disons naître de la nature, naissent de la coutume. (Montaigne)

LA DÉNONCIATION : PAR L’ÉCONOMIE

Le rôle de Hayek dans l’étude des phénomènes de boom a été très important : il est connu pour sa dénonciation des manipulations monétaires exercées par les organismes étatiques qui modifient les structures productives de l’économie, entraînant des « mal-investissements » dans l’économie, qui se réajustent lorsque la politique monétaire cesse, à cause d’une peur de l’inflation ou que la bulle créée explose à cause d’effets externes.
Pour éviter la récurrence des bulles et la force des crises occasionnées par leur explosion, il propose, dans un cadre où l’État gère encore la monnaie, le retour à l’étalon-or (qui est selon lui la moins mauvaise politique monétaire), puis lorsqu’il entendra parler de la possibilité dans le futur d’une monnaie commune européenne, dont les expérimentations commenceront avec le Système Monétaire Européen, il arrêtera ses travaux en cours pour écrire son livre Denationalization of Money (La dénationalisation de la monnaie) et mettre en garde la population du danger de cette proposition (avec les connaissances que nous pouvons observer aujourd’hui).
Friedrich Hayek est également caractérisé par ses travaux sur l’impossibilité de calcul économique dans les régimes collectivistes à cause de la suppression du système des prix, qui, bien qu’imparfait, constitue une façon assez efficace de faire circuler les informations et les connaissances des agents économiques.
Le profit, quant à lui, représente pour Hayek un signal aux entrepreneurs pour leur permettre d’imaginer plus ou moins quel bien et dans quelle quantité produire. Comme le dira Ludwig Von Mises dans son livre Socialisme en 1920, l’ironie des systèmes planificateurs est qu’en supprimant l’existence du système des prix, il est désormais impossible de planifier quoique ce soit.
C’est dans ce même livre que Mises annoncera des décennies à l’avance l’effondrement des régimes collectivistes, qu’ils soient bolcheviques, nazies ou fascistes (ce qui lui vaudra d’ailleurs sa place plus tard sur la liste noire des Nazis, la réquisition de ses biens et son exil aux États-Unis pour lui, et à Londres pour Hayek).
Comme l’ont montré et le montrent encore les nombreuses expériences collectivistes, la planification centralisée et étatique se caractérise par d’importantes pénuries et des phénomènes de files d’attentes (comme au Venezuela aujourd’hui) ou alors par des gestions irresponsables, comme le montre l’exemple du Canada et de sa gestion de l’offre du lait qui conduit au fait que de très importantes quantités de lait ont purement et simplement été jetées.
Hayek est également l’adversaire assidu d’un autre économiste de l’époque, Lord Keynes, écrivain de La théorie générale de l’emploi et de l’intérêt (et dont la logique inspire une bonne partie de notre classe politique, n’hésitant pas à parler de relance et de dépense publique), qui enseignait au même endroit que lui, à la London School of Economics.
Ils divergeaient sur leur solution de sortie d’une crise économique. Là où Keynes préconisait une intervention plus importante de l’État dans le but d’endiguer le chômage de masse et la dépression, Hayek préconisait la non-intervention de l’État, acteur de la crise et ne pouvant ajuster les structures qu’il avait lui-même contribuer à pervertir.
Ainsi, Hayek et les économistes autrichiens nous envoient un message fort. Pour sortir de la crise, nous devons laissez-faire. L’État ne peut pas nous sortir d’une crise qu’il a créée.

LA DÉNONCIATION : PAR LA PHILOSOPHIE

Si le nom de Friedrich Hayek est généralement associé à des thèses purement économiques, sa contribution et son intérêt pour la philosophie politique et l’étude du Droit ne sont pas en reste.
Prenons La Route de la servitude, que les gens citent en général lorsqu’ils parlent de Hayek : ce manifeste libéral du XXe siècle, qui est encore un best-seller de nos jours, montre comment l’emballement totalitaire qui ravage l’Europe des années 1940 est la conséquence directe des idées purement autoritaires caractérisant les socialistes de la pré-époque des fascistes, nazis et bolcheviques qui ont prévalu durant l’entre-deux guerres, à l’opposé des explications étatistes qui pointent du doigt une dégénérescence du capitalisme.
Pour Hayek, la socialisation de l’économie et l’intervention massive de l’État sur le marché débouchent sur la suppression des libertés individuelles ; il n’existe pas de différence de nature mais seulement de degré entre le communisme et le nazisme, entre le socialisme et le totalitarisme. Ayn Rand a dit quelque chose de bien similaire : « la différence entre un État-Providence et un État totalitaire est une question de temps. » C’est ainsi que Hayek déclare que ce sont moins les idées purement allemandes que l’autoritarisme socialiste qui sous-tend ces idées qui ont conduit au nazisme.
Hayek est aussi un grand partisan de la Rule of Law, comme il le montre dans La Constitution de la liberté, en 1960, qui reprend de manière plus positive le cadre normatif (Rule of Law, état de Droit) qui sous-tend un ordre politique libéral. La Rule of Law pourrait être traduite de plusieurs manières : le gouvernement du Droit, le règne de la loi, ou encore – mais l’expression a été reprise dans un autre sens – l’état de Droit.
L’état de Droit est la représentation d’une loi supérieure à n’importe quelle puissance politique. Ce que nous nommons donc le règne du droit est l’ensemble des règles de juste conduite que les hommes ont érigé pour maintenir un Ordre étendu. Ces règles de juste conduite sont des contraintes minimales qui respectent le principe d’universabilité soulevé par Kant (ou principe de réciprocité).
Ces règles de juste conduite s’appliquent à tous indifféremment, et permettent donc leur application à tout humain, et c’est cela qui a permis à un ordre global d’émerger. Cette somme de règles abstraites que tous respectent permet à chacun de conserver son domaine de liberté sans nuire à autrui ; et elles ont été découvertes par un processus d’essais et d’erreurs, souvent grâce aux juges.
Comme Hayek le rappelle, si nous devions appliquer le même nombre de règles que celles que nous trouvons dans les sociétés tribales et les sociétés plus anciennes à la civilisation, celles-ci s’effondreraient à terme.
C’est pour cela que Hayek dit qu’à bien des égards, le socialisme prépare le retour du tribalisme, car le socialisme octroie une masse de devoirs supplémentaires aux individus, au nom d’une justice sociale qui ne peut respecter le principe de réciprocité et de contrainte minimale dont un ordre étendu (ou un ordre de marché) a besoin.

  1. « Un acte de justice pris isolément est fréquemment contraire à l’intérêt public ; et s’il devait rester, sans être suivi par d’autres, il pourrait en lui-même être très préjudiciable à la société (…) Pas davantage, chaque acte de justice particulier, considéré à part, n’est-il favorable à l’intérêt privé plus qu’à l’intérêt public (…) Mais si contraire à l’intérêt tant public que privé que puisse être un simple acte de justice, il est certain que l’ensemble du plan ou système est hautement utile, voire absolument nécessaire, à la fois au maintien de la société et au bien-être de chaque individu. » – David Hume, Traité de la nature humaine, III, II, section II (trad. Leroy, Aubier-Montaigne, p.615) ↩

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