Chaque Québécois doit plus de 34 000 $ au provincial seulement

Vaut mieux en rire!

Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

26 juin, 2015

Self-sécurité : le retour de l’individu dans la sécurité

Entrevue avec l’auteur Pierre-Olivier Drai

L’ouvrage de Pierre-Olivier Drai met en évidence le rôle fondamental que chacun joue dans la sécurité commune.

Self-sécurité de Pierre-Olivier Drai, publié récemment aux Belles Lettres dans la collection « Les Insoumis », explore la reprise en main des questions de sécurité par les citoyens, en collaboration ou indépendamment des services publics. Il y montre que l’individu n’est pas sans moyen ni défense face à la violence ordinaire. Le retour de l’ordre public, aujourd’hui si mal assumé par les États, passe par une réappropriation de leurs responsabilités par les citoyens.

Pierre-Olivier Drai est un politologue français, spécialiste des questions de sécurité personnelle. Il travaille dans la veille informationnelle, la protection contre l’espionnage industriel et la sécurisation des expatriés. Ses travaux couvrent principalement la sécurité privée, les architectures de défense, la criminalité et la cartographie criminelle. Interview.

Votre livre promeut la responsabilisation de l’individu en matière de sécurité. Ne craignez-vous pas que cela conduise à des lynchages ?

Pierre-Olivier Drai : justement, non. La sécurité individuelle n’est pas l’auto-justice. Ce sont des processus différents qu’il convient de réellement garder séparés. Intervenir ne veut pas dire se faire justice. L’aboutissement de l’action est de prévenir le danger et, le cas échéant, faire appel à la puissance publique en dernier ressort, c’est-à-dire, à sa juste place, celle de la justice. L’autre jour, je surprenais un voleur de voiture en pleine action ; j’ai donc avisé les agents de police dans la rue à côté qui y sont allés. Mon rôle a été celui du donneur d’alerte et du témoin. Ce sera à la justice de décider si le voleur de voiture était mal intentionné ou bien s’il ne s’agissait que d’une personne qui avait oublié ses clefs. On l’oublie trop souvent, mais la « confrontation » avec la délinquance ne se résume pas au moment de l’échange de coups de poings. La « confrontation » commence en réalité bien en amont, par l’alerte, la prestance, la démarche, le comportement, l’utilisation de l’espace, l’observation  ; or on ne retient que la phase terminale, celle du choc. En agissant durant ce temps, il est possible de prévenir plus d’actes de délinquance qu’en agissant au dernier moment.

De façon assez éclairante, le terme de « lynchage » démontre bien la confusion qui existe entre auto-défense et auto-justice. Lyncher est, qu’on l’apprécie ou non, une action de justice ; le terme tire son origine d’un juge Lynch dans l’Ouest américain qui était prompt à la pendaison. Il s’agit donc réellement, d’une décision de juge et non d’une action d’autodéfense.

Vous évoquez le monopole par l’État de la violence légitime, cela n’est-il pas en contradiction avec un rôle accru de l’individu ?

C’est un commentaire que j’entends souvent et la réponse est non. Le propre du monopole est justement de pouvoir déléguer son pouvoir. Dans le cas d’espèce, c’est exactement ce dont je parle. La sécurité privée ou bien la sécurité de l’individu sont, dans nos sociétés, l’expression du monopole de la violence légitime par l’État. En fait, l’individu « confie » à l’État son droit inhérent à la violence légitime ; son droit naturel à se défendre. L’État, en retour, détermine les modalités de ce droit. L’État n’a de monopole de violence légitime, non parce qu’il est État, mais parce que les citoyens lui prêtent, littéralement, ce pouvoir.

D’un point de vue social, cette question me fascine toujours tant elle revient et tant elle montre combien les citoyens ont intégré une forme de devoir de soumission à l’autorité de l’État et à sa violence inhérente. Dans mon livre, je ne parle d’intervenir que dans le cadre des modalités fixées par la loi. En aval donc du droit naturel et dans un cadre déjà déterminé par le législateur. Je ne parle que de ce que les gens ont le droit de faire. Or, pour beaucoup, agir selon leurs droits est déjà remettre en cause le monopole de l’État. Je trouve ce positionnement intellectuel assez dangereux et pour tout dire, un peu servile.

À vous lire, on a le sentiment qu’un crime peut se dérouler à chaque coin de rue. Pensez-vous que nous vivons dans une époque plus violente ?

On pourrait aussi avoir le sentiment qu’un héros est aussi présent à chaque coin de rue ! Plus sérieusement, la violence n’est pas un fait nouveau dans la société. En France, les Blousons Noirs ont succédé aux Apaches et cela fait bien longtemps qu’on met en garde contre le fait de sortir la nuit. Il n’y a qu’à écouter les chansons de Renaud ou l’opéra-rock Starmania pour avoir conscience de la délinquance des décennies précédentes. En revanche, on rapporte mieux les faits de violence et ceux-ci disposent d’une grande couverture médiatique. Voila pour l’impression.

En ce qui concerne les faits, les sociétés européennes connaissent une criminalité plus élevée qu’aux États-Unis. Nous vivons indubitablement une période très difficile, la crise économique a ravivé les querelles sociales et généralement on observe un déplacement de la violence de la rue à la sphère intime. Je pense en particulier aux cours d’école avec des jeux mortifères (jeu du foulard) ou bien au sein des couples (jeux érotiques). Ce glissement me semble aller de pair avec une dé-légitimation croissante de l’idée même de violence au sein de la société. Toute violence est dangereuse, il faut donc la bannir. Nous vivons dans une société libérale jonchée d’interdictions. Et tant pis pour les conséquences psychologiques de cette contradiction apparente ! Sauf que la violence est inhérente à la condition humaine, nous sommes, après tout, des prédateurs sociaux et omnivores, autrement dit des animaux particulièrement dangereux. À chasser le naturel, il revient par la fenêtre, dirait Freud. Il est donc impératif d’être attentif aux nouveaux tabous.

Pierre-Olivier Drai, Self-sécurité, collection « Les Insoumis », Les Belles Lettres, mai 2015, 110 pages.


Aucun commentaire: