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Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

07 avril, 2008

Réflexions sur le taux d’intérêt

André Dorais

On croit généralement que le taux d’intérêt est dicté par la banque centrale, mais ce n’est vrai qu’en partie seulement puisque les institutions financières, du moins certaines d’entre elles, l’influencent également. Elles influencent davantage les taux à long terme, alors que la banque centrale exerce plutôt son influence sur les taux à court terme. Malheureusement, dans ce secteur comme dans les autres, la tendance est à un plus grand contrôle du gouvernement. L’objectif de ce texte n’est pas d’exposer les conséquences de cet interventionnisme, mais d’expliquer le taux d’intérêt, son rapport au profit et son origine.

Du pouvoir de quelques-uns au pouvoir de tous

À l’instar des fournisseurs d’équipement qui offrent leurs produits à certains prix, les banques offrent de l’argent à certains taux d’intérêt. Les consommateurs influencent généralement davantage les prix que les taux d’intérêt à cause de la mainmise du gouvernement sur les banques. Malgré le manque de choix qui découle de ce contrôle, il ne demeure pas moins vrai que les consommateurs, de par leurs actions, influencent les taux d’intérêt. Pour que les consommateurs en aient un plus grand contrôle, les gouvernements doivent réduire le leur sur les banques.

On rétorquera que plusieurs banquiers quémandent la protection gouvernementale et qu’ils sont donc aussi à blâmer pour le manque de pouvoir des consommateurs. C’est vrai, mais les quémandeurs ne se limitent pas aux banquiers. Ce sont les politiciens qui décident de rendre irresponsables certains individus, de les protéger au détriment du reste de la population. Cette façon de procéder est à l’opposé du capitalisme, par conséquent ce n’est pas lui qu’on doit blâmer pour le manque de choix, de richesse et de justice, mais le gouvernement qui prétend le corriger et l’améliorer.

Il y a fort à parier que dans un monde sans intervention gouvernementale on aurait une gamme plus grande de taux d’intérêt, car celui-ci prend sa source dans les multiples échanges de biens et de services et plus précisément ceux qui se concluent après un laps de temps. Il s’ensuit que l’intérêt personnel de chaque individu influence marginalement le taux d’intérêt en vigueur en un lieu donné, d'autant plus lorsqu’il n’y a pas d’intervention gouvernementale.

Les fondements du taux d’intérêt

Les tenants de l’École autrichienne d’économie ont longtemps pensé que la préférence pour la consommation immédiate d’un bien économique constituait le fondement du taux d’intérêt. Toutefois, comme le précise Jörg Guido Hülsmann, dans «A Theory of Interest», le taux d’intérêt se fonde sur deux actions, alors que la consommation d’un bien ne relève que d’une seule action. Cela ne signifie pas que l’élément temporel n’ait aucun rôle à jouer dans la détermination du taux d’intérêt, mais plutôt qu’il n’est pas exclusivement associé à la consommation.

Pour comprendre le taux d’intérêt on doit aller au-delà du simple calcul économique afin de scruter le domaine, plus large, de l’action humaine. À chaque action qui vise un but on attribue une plus grande valeur à l’objectif qu’aux moyens de l’atteindre. C’est cette différence, qualifiée d’intérêt originaire, qui est à la base du taux d’intérêt. Toutefois, ce ne sont pas toutes les différences de ce type qui se traduisent en taux d’intérêt. Seules celles qui se traduisent en termes monétaires peuvent, à leur tour, se traduire en taux d’intérêt [1].

Toute action cherche à atteindre un but. Cependant, les moyens utilisés et les fins obtenues ne sont pas nécessairement d’ordre économique, ni n’impliquent une période différente. C’est-à-dire que les moyens et les fins de certaines actions peuvent être simultanés. Chuchoter des mots d’amour à sa bien-aimée constitue un objectif qui peut être atteint au moment de les dire. C’est économique uniquement au sens où cela peut se faire rapidement…

Profit vs taux d’intérêt

Les actions qui composent le taux d’intérêt sont généralement associées au secteur financier. Le cas type est l’emprunt et le remboursement. Lorsqu’on présente cette différence sous forme de ratio, alors on évoque un taux d’intérêt. Les actions auxquelles le taux d’intérêt renvoie sont exécutées en des périodes différentes. C’est là la principale, voire l’unique caractéristique qui le distingue du profit. Cette distinction est plutôt mince, de sorte qu’il n’est pas erroné de traiter l’un et l’autre comme synonymes.

On parle plus volontiers de profit lorsqu’on renvoie à une différence autre que financière. La différence entre la vente et les coûts de production de biens tangibles en est un exemple, les conseils d’un expert pour un prix en sont un autre. Cependant, dans un cas comme dans l’autre, on peut exprimer ce profit sous forme de ratio et conséquemment de taux d’intérêt.

En traitant le profit et le taux d’intérêt comme synonymes on ne peut plus dire, comme le suggère Hülsmann et la plupart des partisans de l’École autrichienne, que le taux d’intérêt «naturel» (pur, voire originaire) constitue la composante indélogeable du taux d’intérêt. En d’autres mots, on ne peut plus dire que le taux d’intérêt naturel soit une composante impossible à supprimer, à la différence du profit, par la compétition. Dans cette optique, si les revenus d’un investissement sont à ce point faibles pour constituer une perte, alors il n’y a pas de raison d’exclure la possibilité d’évoquer un taux d’intérêt naturel négatif.

Toutefois, en appliquant rigoureusement l’idée maîtresse de Hülsmann dans le texte cité, on peut maintenir l’idée que l’intérêt originaire, première version, soit impossible à supprimer. C’est-à-dire que la plus grande valeur attribuée aux fins plutôt qu’aux moyens demeure valide, seule l’idée d’un taux d’intérêt naturel, nécessairement monétaire et positif, est mise de côté.

L’intérêt originaire relève d’une différence de valeur, alors que le taux d’intérêt représente une différence de prix. Dans ces circonstances, comment passe-t-on d’une à l’autre? Il suffit de réaliser qu’on attribue une valeur à toutes sortes de choses, y compris à celles qu’on peut marchander via des prix. L’inverse est faux, c’est-à-dire qu’on ne monnaye pas toutes les actions. La difficulté est de réaliser que la valeur et le prix ne sont pas synonymes. Ils peuvent parfois correspondre pour un individu, c’est justement le rôle du prix d’en arriver là, mais jamais la valeur et le prix ne signifient la même chose.

L’économie n’est pas qu’une question de chiffre, elle fait appel à la comparaison et conséquemment à des valeurs, mais celles-ci débordent le champ de l’économie telle qu’on l’entend généralement. La valeur est ordinale et non cardinale, c’est-à-dire que chaque individu lui attribue un ordre de priorité. Il s’ensuit qu’on ne devrait jamais évoquer la justice d’un prix, mais plutôt respecter les valeurs de chacun dans la mesure où il y a respect de la propriété et qu’il n’y a pas d’agression.

En résumé, bien qu’il y ait démonstration d’une préférence temporelle dans l’exécution d’une action à un moment plutôt qu’un autre, il ne s’ensuit pas qu’elle soit vouée exclusivement à la consommation. On évoque une préférence dès lors qu’on choisit des moyens pour arriver à ses fins. La différence entre les deux est qualifiée d’intérêt originaire. Celui-ci se traduit en taux d’intérêt lorsque les moyens et les fins sont monnayables.


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[1] Après avoir défini l’intérêt originaire comme étant l’écart entre les moyens utilisés et les fins visées, Hülsmann erre en introduisant une deuxième version du concept (voir pp. 87-93). En effet, à la fin de la page 93, il écrit que «la présence des moyens et des fins», par conséquent de l’intérêt originaire première version, n’implique pas «la présence de l’intérêt originaire». Il aurait fallu écrire : «n’implique pas le taux d’intérêt». Suivant cette erreur, il réduit la portée du concept aux questions relatives au travail. De là, il passe d’un contexte de travail à un autre qui se traduit en termes de prix. Or, un contexte de travail peut très bien se traduire en termes monétaires (de prix). Il s’ensuit que l’intérêt originaire applicable uniquement au travail est synonyme du taux d’intérêt. Encore une fois, il suffit de préciser que le taux d’intérêt ne découle pas nécessairement de l’intérêt originaire.

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