Un article de l’IREF Europe.
Les entreprises du CAC 40 ont commencé à publier leurs résultats pour l’exercice 2021. Les premières annonces laissent croire que pour la première fois, les profits des 40 premières entreprises françaises vont dépasser, en cumul, les 100 milliards d’euros nets, un chiffre qui avait été frôlé en 2018.
Le 10 février 2002, TotalEnergies a annoncé un résultat net de 13,5 milliards d’euros (multiplié par 4,4 par rapport à 2020) ; ArcelorMittal, plus de 13 milliards (contre plus de 640 millions de pertes en 2020) ; BNP Paribas, 9,5 milliards (+ 34,3 % par rapport à 2020) ; L’Oréal, 6,16 milliards (en hausse de 18,2 %) ; etc.
La cuvée pourrait donc bien être exceptionnelle.
Une bonne nouvelle… qui n’est pas partagée par tout le monde
Bien évidemment, il faut se réjouir de la bonne santé retrouvée des fleurons français après une année 2020 difficile à bien des points de vue. Tous ces bénéfices vont profiter à l’État qui va engranger une belle moisson d’impôts sur les sociétés et de taxes sur les dividendes. TotalEnergies a ainsi rappelé que le groupe reversait 30 % de sa valeur ajoutée aux États, et qu’il payait près de deux milliards d’euros de contributions diverses en France.
Mais la gauche s’est déchaînée face à ces profits record. Le candidat écologiste Yannick Jadot a dénoncé, toujours à propos de TotalEnergies, ces bénéfices réalisés « sur le dos des Françaises et des Français » tandis que « les factures de gaz et d’essence qui augmentent, c’est au profit des actionnaires ».
Les députés de La France Insoumise se sont lâchés : François Ruffin sur BFMTV a appelé à « stopper le gavage » des actionnaires pendant que son collègue Adrien Quatennens sur France Info dénonçait « la foire aux dividendes ». En meeting à Montpellier, dimanche 13 février 2022, Jean-Luc Mélenchon a critiqué le « parasitisme du capital ».
Quelques jours avant, le 6 février, le communiste Fabien Roussel affirmait que la « France était la championne du monde de versement des dividendes ». C’est sans doute pour y remédier que, dans son programme présidentiel, il propose de rétablir l’impôt sur la fortune (ISF), tout comme ses camarades Mélenchon, Jadot, Hidalgo et… Le Pen. Certains veulent aussi créer un impôt progressif sur les sociétés en fonction du chiffre d’affaires et des résultats (Roussel et Mélenchon), supprimer la flat tax et imposer les revenus du capital comme ceux du travail (Mélenchon).
À ces dividendes « scandaleux », dénoncés également par par Oxfam, Attac, Alternatives Économiques et les autres officines gauchistes – comme Libération qui titrait le 10 février : « 317 milliards, on partage ? Largement aidées par l’État, les plus grandes entreprises cotées en Bourse ont réalisé en 2021 des profits historiques qu’elles ont majoritairement reversés aux seuls actionnaires » –, s’ajoute la hausse des actions. En effet, le CAC 40 a progressé de 28,85 % en 2021, dépassant son plus haut historique vieux de 21 ans.
Bref, tout concourt à accréditer l’idée que les actionnaires se gavent. Ce n’est pourtant pas vraiment le cas.
Petite leçon d’économie pour les démagogues de la gauche
Rappelons qu’une entreprise peut réaliser des bénéfices une fois qu’elle a payé les salaires de ses collaborateurs, les factures de ses fournisseurs et sous-traitants, ses intérêts d’emprunt, les impôts et taxes divers. Si elle a trop dépensé – en tout cas davantage que ne lui a rapporté la vente de ses produits ou services – elle réalise des pertes. Les profits ne sont jamais certains. Un jour, ils sont élevés ; à d’autres moments, ils sont faibles, voire inexistants. Leur absence prolongée peut même conduire à la faillite.
Avec ses profits, l’entreprise peut rémunérer les actionnaires, c’est-à-dire les détenteurs du capital. Ceux-ci sont rémunérés en dernier ressort. Par conséquent, ils ne sont jamais assurés que leur investissement leur rapportera quelque chose.
Si les actionnaires perçoivent des dividendes, ce n’est pas pour autant que la richesse leur est assurée. En 2019, avant la crise, le rendement moyen des actions du CAC 40 était de 3,2 %. Il est encore trop tôt pour avoir une idée du rendement de 2021 (il faut attendre les assemblées générales des mois d’avril et mai), mais les premiers résultats laissent penser que celui-ci sera du même ordre.
Par exemple, TotalEnergies a prévu de distribuer un dividende de 2,64 euros par action. Celle-ci cotait 51,29 euros la veille de l’annonce des résultats. Le rendement de l’action TotalEnergies est donc de 5,14 %. Pour BNP Paribas, le rendement est de 5,56 % (dividende de 3,67 euros et action à 66 euros). Pour ArcelorMittal, le coupon sera de 0,33 euros. Avec une action à 29,14 euros, le rendement est de 1,13 %. Et pour L’Oréal, il est de 1,30 %.
Des rendements relativement faibles donc, à peine plus élevés pour certaines actions que celui du Livret A, alors que l’inflation fait son retour. Dans ces conditions, difficile d’affirmer que les actionnaires se gavent.
Ils se gavent d’autant moins que le cours de l’action à la bourse chute du montant du dividende le jour où celui-ci est versé. Ainsi, si vous détenez une action cotée 100 euros et que vous recevez un coupon de 5 euros, votre action va automatiquement baisser à 95 euros. Le versement des dividendes fait toujours baisser l’action. L’actionnaire ne s’est donc pas enrichi : son patrimoine a la même valeur avant le détachement du coupon qu’après.
Certes, le cours de l’action peut monter en bourse. Mais il peut baisser. Si, comme nous l’avons dit, le CAC 40 a progressé de 28,85 % en 2021, il n’a fait que retrouver son niveau de l’année 2000 ! En 2020, il a baissé de 7,14 % ; en 2018, de 10,95 % ; en 2011, de 16,95 % ; en 2008, de 42,68 %.
Si on considère que le rendement moyen d’une action (dividende/cours) est de 3 %, il suffit d’une baisse de 3 % de son cours pour que sa rentabilité globale soit nulle. Et quand le marché plonge de plus de 42 %, il n’y a plus de rentabilité.
Derrière la moyenne du CAC 40 se cachent aussi bien des disparités. Si l’action Hermès fait largement mieux que l’indice avec une progression de son cours de 74,7 % en 2021, il ne faut pas oublier que Vivendi a baissé de 56,9 %, Worldline de 37,7 %, Alstom de 15,2 %, Renault de 14,9 % ; Bouygues de 6,7 %, etc.
Le mythe des 15 % de rentabilité des actionnaires
Derrière l’idée que les actionnaires se gavent, on retrouve une opinion largement répandue, notamment dans les médias, celle que les actionnaires exigeraient des entreprises une rentabilité de 15 % minimum.
C’est une croyance qui s’est largement répandue chez les Français dont les connaissances économiques et financières sont très médiocres pour ne pas dire nulles et qui, de ce fait, cultivent une hostilité certaine envers l’économie de marché.
Michel Albouy et Christophe Bonnet, professeurs à Grenoble École de Management, expliquent l’apparition de cette croyance dans les années 1990 par le contexte économique et institutionnel de l’époque : libéralisation des marchés financiers, arrivée massive de fonds d’investissement étrangers.
Albouy et Bonnet ont analysé « les articles de la presse économique mentionnant la norme de 15 % de rentabilité et parus sur la période 1995-2016 dans six médias français (Le Monde, Le Figaro, Les Échos, L’Agefi quotidien, Alternatives Économiques et L’Expansion) et quatre journaux de langue anglaise (The Economist, Forbes, The Financial Times et The Wall Street Journal) ». Ils ont constaté que « les références à cette norme sont fréquentes dans les médias français mais absentes dans la presse anglo-saxonne ».
Comme l’indiquent Michel Albouy et Christophe Bonnet dans un article de la revue Finance Contrôle Stratégie, le mythe a été renforcé par un rapport de 2002 du Commissariat général du Plan, intitulé « Rentabilité et risque dans le nouveau régime de croissance ».
L’auteur, Dominique Plihon « martèle l’existence d’une norme de 15 % de ROE (ndlr : return on equity ou rentabilité des capitaux propres) fixée par les actionnaires (29 fois au total, dont 6 dans l’introduction !), sans que, sur ce point précis, aucune référence (déclaration de dirigeant ou d’actionnaire, enquête, article académique…) ne soit indiquée. L’existence de la norme y est affirmée sans aucun élément de preuve. Le mythe des 15 % est ensuite peu remis en cause et devient un outil de la critique du capitalisme, un symbole de l’avidité supposée des actionnaires ».
Certes, il est vrai que les fonds d’investissement fixent souvent un objectif de gain de 15 % par an dans les investissements qu’ils accompagnent, mais les objectifs sont loin d’être toujours réalisés et ce rendement rémunère aussi leur assistance à la société dans laquelle ils ont investi.
Malheureusement, les Français croient en de nombreux autres mythes économiques.
Albouy et Bonnet écrivent :
La recherche nous montre que ces fausses croyances ont des conséquences négatives : décisions non optimales par les investisseurs, mise en place de régulations inadaptées. Plus généralement, elles contribuent à l’inculture économique et financière qui nuit à l’innovation et à la qualité du dialogue social.
Décidément, la baisse continue de la qualité de l’enseignement français n’a pas fini de faire des ravages… et le lit du gauchisme.