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14 janvier, 2015

La gestion de l'économie par les experts


André Dorais

Chris Puplava est l'un des analystes ayant le mieux évalué la direction des bourses américaines depuis la crise économique de 2008, du moins parmi ceux qui rendent public leurs travaux.  Fera-t-il aussi bien dans les années à venir?  On verra.  Ses analyses sont intéressantes, mais ses critiques des banques centrales sont typiques des professionnels de la finance et de l'économie.  Par exemple, dans son article intitulé «ECB Policy Misstep Poses Biggest Risk to Markets», il écrit: 
«If the ECB fails to act aggressively the Eurozone is almost certain to fall into another recession and witness a large spike in sovereign bond yields that it will have to address more aggressively than if it was more proactive.»

Puplava se plaint que la BCE (banque centrale européenne) ne soit pas suffisamment proactive.  Il ne fait pas allusion au manque d'argent injecté dans l'économie européenne, ni au taux directeur utilisé par la BCE, mais à son manque de jugement.  Il en attribue la faute à la trop grande collégialité de l'institution.  La BCE subit les pressions des banquiers centraux nationaux, membres de l'UE, qui l'empêchent d'être aussi autocratique que la Fed ou la banque centrale du Japon par exemple.  Sa structure décisionnelle décentralisée fait en sorte que ses interventions ou bien arrivent trop tard, ou bien manquent la cible. 

«Concerns over a policy misstep by the ECB are nothing new. In fact, they have a recent track record of doing the exact opposite of what is needed. Back in the middle of 2008, when the world was in the midst of a global recession and financial institutions were collapsing, the ECB hiked interest rates in July 2008 rather than cutting them. Within months the ECB had to backpedal when it began to slash interest rates in October 2008 at a peak of 4.25% to 1% a year later and aggressively expanded its balance sheet. The second misstep came in 2011 when the ECB felt the Eurozone was on stronger footing and paid more attention to transient inflationary pressures than economic growth and hiked rates twice and brought on a 37% bear market only to erase those rate hikes by the end of the year and massively expand its balance sheet.»

Puplava défend l'idée que les autorités monétaires peuvent et doivent gérer correctement l'économie.  Il critique la gestion de la BCE, mais crédite la Fed de la bonne performance des marchés boursiers américains depuis 2009.  D'abord, les marchés boursiers ne représentent pas l'ensemble de l'économie.  Ensuite, dès lors qu'on utilise une perspective plus longue pour les analyser, les résultats sont moins probants.  Il suffit de rappeler quelques épisodes pour s'en convaincre.  Au début des années 2000, l'acharnement de la Fed à relancer l'économie a conduit à la crise de 2008; son agressivité, exercée au début des années 1990, a conduit à la bulle technologique; son insouciance mêlée d'arrogance, au milieu des années 1920, a conduit au crash de 1929, etc. 

Puplava a raison d'attribuer à la Fed la bonne performance récente des marchés boursiers américains, mais il a tort de penser que ces résultats soient durables.  D'abord, je rappelle que la Fed ne produit pas de richesse, elle contrôle uniquement le moyen de l'échanger.  Comme toute banque centrale, elle monopolise l'émission de monnaie et influence énormément les prix les plus importants d'une économie, soit les taux d'intérêt.  À l'instar de la plupart des experts, Puplava est d'accord pour dire que les banques centrales ne produisent pas de richesse, mais il pense qu'elles sont indispensables au bon fonctionnement de l'économie.  Je pense, au contraire, qu'elles nuisent à son bon fonctionnement, car plutôt que de répondre aux besoins des individus, elles cherchent à les faire consommer davantage.

Pour ma part, les banques centrales partagent la responsabilité des cycles économiques avec leur gouvernement respectif, mais ou bien ils et elles ne le réalisent pas, ou bien ils (et elles) ne l'admettent pas.  Ils se voient comme médecins de l'économie et ils considèrent celle-ci bipolaire.  Ils lui administrent des calmants ou des stimulants selon leurs diagnostiques.  Elle n'en a nul besoin, mais elle fait avec.  Elle n'a pas le choix, car elle n'est pas maître d'elle-même.  Elle doit digérer tout ce qu'on lui donne.  Elle compose avec les politiques monétaires des uns, les politiques fiscales des autres et une législation abondante et trop souvent tatillonne.   

Ce qui rend perplexe beaucoup de gens, y compris les autorités au pouvoir, économistes et professionnels de la finance, est de réaliser que ce n'est que lorsque les gouvernements et leur banque centrale relâchent l'accélérateur que la probabilité d'une récession augmente.  Malheureusement, plutôt que de tenir compte de ce doute, les autorités, pressées d'agir, continuent d'appuyer sur l'accélérateur, c'est-à-dire qu'elles poursuivent, voire augmentent leur plan de relance.  Ce faisant, elles aggravent la situation plutôt que de l'améliorer.  Elles repoussent le constat du mal, soit la récession, mais plus elles le repoussent, plus il sera grand lorsqu'il sera déclaré officiellement. 

On doit cesser de voir la récession comme étant un mal à éviter, car elle ne constitue pas la maladie.  La plupart des définitions de la récession sont erronées, car elles ne cherchent qu'à établir un constat, une ligne de démarcation où l'on se rend à l'évidence de la maladie.  On définit la récession par ses symptômes sans chercher à en trouver la source; on ne fait que la constater ou l'affirmer au moment où elle franchit des seuils prédéfinis.  Lorsque ces seuils sont atteints, ou sur la voie d'être atteint, les autorités administrent les mêmes remèdes qui ont rendu le patient malade en premier lieu.  Elles ne le réalisent pas, car après avoir reçu une nouvelle dose de médication, le patient, ici les marchés boursiers, est souvent euphorique.  Les autorités crient alors victoire, à tort. 

Il s'agit d'un cercle vicieux qui va en s'aggravant si on ne l'arrête pas.  La maladie dont on parle constitue en réalité une incompréhension économique qui se traduit à la fois par une injustice et un appauvrissement économique.  Introduire plus d'argent dans l'économie qu'elle est capable de produire de richesse ne permet pas d'en produire davantage.  Au contraire, cela appauvrit la majorité de la population à court terme et tout le monde à long terme. 

À court terme, ce nouvel argent se retrouve uniquement dans les mains de quelques individus qui en profitent pour consommer et investir.  Ces individus s'enrichissent sans qu'ils aient eu à produire quelque chose au préalable.  Il s'agit donc d'une redistribution de richesse qui, en sus d'être non voulue et non reconnue par la vaste majorité de la population, ne profite qu'à quelques individus au détriment de tous les autres. 

À moyen terme, ce nouvel argent se répand plus largement au sein de la population.  La redistribution des richesses se poursuit, mais à un moindre degré.  Ce n'est que lorsque l'inflation monétaire s'estompe qu'on réalise peu à peu que plusieurs investissements, effectués pendant son règne, se traduisent en pertes partielles ou totales.  Il en est ainsi, car la redistribution insidieuse des richesses, causée par l'inflation monétaire, crée des distorsions économiques qui, à leur tour, entraînent des pertes de capital.  Il est donc primordial de différencier la maladie de ses symptômes.

Identifier la maladie et ses conséquences

L'inflation monétaire affecte tout ce qui est comptabilisable: coûts, revenus, profits, marchés boursiers, obligataires, etc.  Malheureusement, une chose  comptabilisée dans les livres comptables ne l'est pas nécessairement dans les indices d'inflation, soit des indices d'inflation des prix.  En effet, la plupart des éléments affectés par l'inflation monétaire ne sont pas comptabilisés dans les différents indices d'inflation (des prix).  Par conséquent, analyser uniquement ces indices sous le prétexte qu'ils représentent l'ensemble des conséquences de l'inflation monétaire constitue une erreur monumentale.    
Pour la plupart des experts, y compris les dirigeants des banques centrales, une émission de monnaie plus grande que la production de richesse n'a pas d'autre effet que celui mesuré par l'indice des prix à la consommation ou d'autres indices similaires.  Ils prétendent qu'une émission de monnaie, qui ne se traduit pas en inflation des prix à la consommation, produit de la richesse au même titre qu'une bonne huile fait mieux rouler le moteur.  Pour preuve, ils montrent les indices boursiers à la hausse et un indice des prix à la consommation sous contrôle.  Autrement dit, ils ne voient pas les conséquences néfastes de leurs gestes et recommandations.  
  
Je ne nie pas qu'il soit difficile de mesurer les impacts de l'inflation monétaire, d'autant plus qu'elle est introduite continuellement dans l'économie en quantité irrégulière.  Néanmoins, établir le taux d'inflation à partir uniquement de la hausse des prix des biens et des services de consommation est absurde.  Quelques investissements populaires peuvent absorber une grande partie de l'inflation monétaire sans avoir d'impact sur les différents indices d'inflation.  Cela en fait-il un remède miracle sans effet secondaire?  De même, si l'on admet que plus l'inflation monétaire est élevée, plus grande sera la volatilité des marchés, on ne peut pas conclure qu'elle soit sans danger sous le prétexte qu'elle n'ait pas d'effet sur les divers indices d'inflation.  Enfin, si l'inflation monétaire perdure et s'accélère, alors tout le monde en paie le prix, car dans ces circonstances la monnaie perd toute valeur d'échange. 

En somme, on peut créditer la Fed d'avoir mieux soutenu ses principaux marchés boursiers que la BCE a soutenu les siens ces dernières années.  Toutefois, à partir de ce constat on ne peut pas conclure que les banques centrales soient indispensables au bon fonctionnement de l'économie, ni d'exclure l'idée qu'elles soient à l'origine des cycles économiques.  Pour ma part, quand bien même l'Europe serait en plus grande difficulté financière que les États-Unis, elle ne doit pas s'en remettre à la BCE pour retrouver la prospérité.  La BCE, pour sa part, ne doit pas imiter la Fed sous prétexte que celle-ci a évité le mal grâce à sa perspicacité, car il s'agit là d'une vision à courte vue.  Tout ce que la Fed a réussi, à ce jour, est de repousser le constat du mal, mais non le mal lui-même. 

Les banques centrales et leur gouvernement respectif sont à l'origine des cycles économiques et de la détresse qu'ils occasionnent, mais ce verdict bouscule tellement l'ordre établi qu'on n'ose pas le croire.  On y voit plutôt une provocation, de sorte qu'on y répond  souvent par le dénigrement ou une tentative d'en ridiculiser ses auteurs, mais ces façons d'agir ne démontrent pas qu'il soit erroné. 

En économie, pour voir clair il faut voir loin.  S'en remettre à une banque centrale, ou plus généralement à l'État, pour la sauver, c'est ne pas voir plus loin que le bout de son nez.  Étant donné que les professionnels de la finance et de l'économie se présentent comme les experts du marché, on serait porté à croire qu'ils soient plus aptes que les autres individus à le défendre.  Malheureusement, on constate qu'ils sont aussi étatistes que les autres individus.  En effet, ils s'en remettent constamment à l'État sous de faux prétextes: pour sauver le monde en général, pour les sauver eux en particulier, etc.   


Lorsqu'on comprend l'économie de marché, on ne demande pas à l'État ou à l'une de ses institutions, nationales ou internationales, de faire mieux ou davantage.  On lui demande plutôt d'en faire moins, car c'est la seule façon, efficace et légitime, pour une collectivité de s'enrichir de façon durable.  

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