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19 juillet, 2011

De la musique avant toute chose

Revue de livre : « La musique éveille le temps » par Louise V Labrecque

Barenboim, Daniel, La musique éveille le temps, Éditions Fayard, 208 pages.

La musique, comme la politique, requiert de la spontanéité, un sens aigu de la flexibilité; de même, le musicien doit demeurer vigilent, et assez curieux, pour être et devenir vraiment libre. En effet, la structure d’une œuvre musicale se compare, au-delà des aspects techniques, au processus de la pensée intellectuelle permettant l’analyse, l’interprétation, et l’exécution d’une symphonie, non pas subversive, mais capable d’une réelle relation entres les êtres. Pour cela, il faut des musiciens réellement capables d’investir une œuvre, en plus de posséder des qualités techniques essentielles. En effet, la sempiternelle harmonie, ou zenitude à tout crin, est un leurre, une recherche de beauté plus que parfaite, illusoire, en musique comme dans la vie. La musique est harmonieuse lorsqu’elle est vraie, lorsqu’elle porte les plus nobles intentions de l’humanité ; elle est musique parce qu’elle sait s’abandonner, et ensuite s'engager, à ce qu’il y a de meilleur et de pire dans l’histoire humaine. Elle est complexe, elle est dysharmonie en même temps que mélodie, entretissée de conscience de soi et d’absence de pensée. Comme il n’existe rien de plus voluptueux que de demeurer chez soi, en refusant de répondre au téléphone, la musique, comme la politique, pratique le repli stratégique, sait se faire une armure de sa « distraction », pour contrebalancer son extrême sensibilité. Comme il m’arrive d’écouter le Requiem de Mozart, et d’avoir envie de pleurer, sans raison, simplement par tendresse.

De plus, la culture, lorsqu’elle devient le porte-voix des opprimés devient facilement, comme la politique, une force motrice. La culture a été, par exemple, dans les sociétés totalitaires ou débiles, un lieu unique de pensée indépendante. C’est l’unique manière que plusieurs personnes ont trouvé pour s’exprimer, se rencontrer d’égal à égal, et ainsi échanger librement, en vue de sortir de l’oppression. De cette manière, la culture prend un virage dynamique. Les poèmes de Goethe reflètent à merveille cet esprit de création artistique, capable de force motrice telle, qu’ils deviennent instruments, ou groupes d’instruments, faisant contrepoids et figures de changements dans les périodes de conflits ou régimes totalitaires. Les poèmes de Goethe ont réunis des musiciens arabes et israéliens, dans un concerto complexe, presque impossible à jouer, devenant parfois si fort qu’il enterre l’autre, puis tout à coup si doux qu’il en devient inaudible. Écouter ne suffit pas. Bien jouer ne suffit pas. L’art doit se faire à un niveau individuel et collectif, une voix devenant intensifié par celle de l’autre, un dialogue. Dans le « faire quelque chose ensemble », il doit coexister une même passion, une même volonté, un même désir d’être là, ensemble, à créer ce quelque chose communément appelé « musique ». La musique et l’indifférence ne peuvent coexister. Et le niveau d’aptitude pour cela est sans compromis. Alors, le dialogue ordinaire est impossible ? Tel était le point de départ.

La moralité et la stratégie ne s’excluent pas l’une l’autre, mais vont plutôt de pair dans le conflit. En effet, même rempli d’optimisme, le conflit est nécessaire, car il oppose intellect et émotion et permet ainsi de tempérer une attitude dogmatique. Par exemple, dans les questions de religion, la lecture philosophique de la Bible, du Coran, ou de la Thora, sont tous sources infinies d’inspiration, permettant, à tout le moins, de comprendre l’histoire et les comportements humains. Cependant, ils ne peuvent fournir à eux seuls les lignes de conduite pour l’existence humaine, niant toutes les facettes de l’intelligence humaine, ou étant soumis à une lecture trop littérale. De la même manière, comme il est bien difficile de prendre des décisions sans l’aide de la raison, il faut dissocier les croyances religieuses et/ou morales du problème qui se pose. Curieusement, « l’homme pense », de Spinoza, et de qui l’auteur de ce livre ne cesse de se référer, demande à être, non pas transgressé, mais réellement dépassé. En effet, « aller au-delà », cela n’est pas toujours de l’ordre de « transgresser les choses », mais bien chercher à les comprendre, par un regard entièrement neuf ; comme la métaphysique exige de dépasser les notions physiques, pour laisser entrevoir « une autre manière dont le monde peut, doit fonctionner, et dont il fonctionne parfois en réalité », la musique nécessite de partir de soi, de nos racines, pour partir encore et toujours, au milieu des peuples, dans l’acceptation de l’ailleurs et de l’autre. Une nouvelle perspective, parfois étrange, énigmatique, essayant de se mobiliser pour comprendre, créant de nouvelles associations afin de résoudre les problèmes de ce monde.

Curieusement, et au risque de me tromper, à la lecture de ce livre : la musique éveille le temps, de Daniel Barenboim, je sens que personne n’est au rendez-vous. Cette expérience de lecture représente pour moi le noir le plus total que l’on puisse connaître. Couronné de prix ou pas, j’imagine que l’auteur demeure avant tout un cavalier seul. Même s’il est facile de deviner qu’il n’a plus peur des gens, il fuit les mondanités. Je dis cela avec un lointain dans le regard, dans le sourire. Comme il ne faut pas longtemps pour que le vernis de l’homme stable ne laisse paraître « la sérénité dans le désespoir », j’ai l’impression que l’auteur est condamné d’avance, qu’il est en train de vivre en sursis. On ne peut jamais ressentir deux fois la même chose. C’est une vision non pas tragique, mais presque comique. Tout comme l’humour sauve de la violence, il faut des artistes pour qui le goût du risque commence, pour constater qu’on l’on a cru à tant de vérités qui n’étaient que des mensonges. De la même manière, la musique s’organise progressivement autour du chaos, de la brutalité, des trahisons intérieures. Et aussi, elle se déploie réellement dans l’amour et l’inspiration, la paix, le calme et la beauté ; elle se constitue par les contacts humains. Elle n’est faite que de cela, au fond : la somme des humains musiciens jouant ensemble; comme si les personnages de nos romans étaient en train de vieillir en même temps que nous. Bref, la musique, c’est la vie ! Même en proie à la pire dysharmonie, elle est encore musique. Elle est encore la vie. La vie multiforme, absurde et passionnante.

Goethe a très bien exprimé les choses en disant : « la simple tolérance est une insulte; la vraie absence de préjugés est l’acceptation ». La polyphonie musicale est à l’image de cette acceptation de l’autre. Un projet appelé « Stage du West-Eastern Divan », rassemble de jeunes musiciens du Moyen-Orient, qui fraternisent, et cela parmi les plus hautes divergences des peuples, en mettant en commun des talents musicaux inhabituels. Après plusieurs années, tous ces étudiants, âgés de quatorze à vingt-cinq ans, peuvent aspirer à devenir des musiciens professionnels, eux qui n’avaient pas les ressources et la formation pour envisager cela avant le stage. L’aide de bourses étrangères rends possible la réunion de gens issus de sociétés diamétralement opposées, en conflit les unes aux autres. Bien que le West-Eastern Divan Orchestra soit incapable d’apporter la paix mondiale, il peut néanmoins créer des conditions propices à l’émergence de celle-ci, et mettre fin à la dépersonnalisation qui nous gruge peu à peu, et que l’on décrit sans joie.

Ce gros plan sur le bout du monde, est, comme l’écrit l’ami et collaborateur de l’auteur, Edward Said : « une voie choisie pour des raisons humanistes plutôt que politiques, partant de l’idée que l’ignorance n’est pas une stratégie pour une survie à long terme ». En effet, il est facile d’imaginer que lorsque les Palestiniens et d’autres Arabes se joignent à des Israéliens, dans le but de faire de la musique, un monde sensible vibre, passant du noir à la vie, de la chair mutilée par les horreurs de la guerre à la limpidité de l’eau cristalline, pour dépasser le vaseux, l’animal montrant ses dents, révélant un nouveau savoir, l’égalité, comme une donne nouvelle marquant le point de départ d’une rencontre ouverte sur l’universel, un mini-monde en somme. Aussi, il est difficile de mesurer l’exacte latitude d’un râlement de peur dans le sang de la guerre, tant cela dépasse l’imagination du commun des mortels vivant en pays de paix. La musique fait chavirer l’horreur, passant de l’autre côté du miroir, pour ne pas mourir de froid, dans le souterrain des amis squelettiques, tirant sur la couverture, déçus d’être là, en plein milieu de rien.

C’est qu’entre deux mini-monde, la musique, la Magnifique, peut ouvrir ses yeux d’émeraudes, et rythmer sa démarche, soulever les peuples, se laisser couler, belle et grande, dans la rivière de nos lits, courant dans une sorte d’impressionnisme, sans ressac national, avec tous les tiraillements imaginables d’isolement et de groupement, car après avoir parcouru le monde, enfin, il existe un coup de barre contre l’immobilisme, la guerre et les conflits. Et c’est ainsi que la musique jaillit alors de partout. Les atrocités sont terminées. Tout comme la musique se débarrasse enfin de tous ses carcans idéologiques : Wagner n’appartient pas à Hitler ! Et dans ce même courant, ni Berlioz , ni Bruckner, ni Strauss, ni Mahler, ni Schoenberg, ni Liszt ou Mendelssohn, ne doivent être liés à quelques « mère patries » ou « poule d’eau », jusqu' à l’écoeurement, dans un climat d’envie et de prières. Imperceptiblement, la musique, surtout dans le projet West-Eastern Divan Orchestra, fait son chemin jusqu’au cœur de l’homme, elle rassemble, elle provoque des changements, elle renforce des manières de voir le monde et de penser. Cela est étonnant de songer que la goutte d’eau qui continue de couler et qui finit par faire un fleuve, est, avec les conditions climatiques et géographiques, ce qui a façonné les hommes. Un monde sans musique n’a pas su se constituer l’exceptionnelle solidarité. Un monde sans musique est la proie facile des dieux et demi-dieux, ces débiles mentaux de la collectivité, qui profitent de nos erreurs, sans redonner un seul merci en retour. Pour survivre ou devenir citoyens à part entière, l’exigence de l’esprit signifie l’égalité des droits entre les peuples. La fin de la guerre froide a bouleversé l’équilibre politique mondial permettant une unique superpuissance. Cette dépendance a changé la nature même du monde, en plus du poids psychologique de la Shoah et du logique : « plus jamais ». Les partis politiques sont devenus plus religieux que jamais et l’orthodoxie, sans la musique, aurait été un dialogue de sourds. La mentalité isolationniste, ou militariste, n’a plus besoin de définition lorsque le musicien joue avec une puissance naturelle, en accord avec la transparence de ce qu’il explore, à l’intérieur de lui.

En somme, l’idée de la musique, si humaine, si universelle, est flamboyante, spectaculaire, sans être superficielle. En fait, la musique est sur naturelle, extra naturelle. L’histoire est remplie de déchirures, et pourtant, elle ne possède aucune ambiguités. Si les anges existent, ils sont musiques. J’écris cela sans poésie, car le drame de tous les humains, c’est de savoir le détestable. La révolte, parfois, gronde en nous. Toutefois, il faut bien le dire, et heureusement, il existe d’extraordinaires dénouements, de l’émotion, de nobles sentiments ; tels Beethoven ou Mozart, être nourri de musique, c’est entendre la substance des choses et des êtres. C’est la nature sauvage, mais belle et douce, devenant enfin notre destin, pour de vrai, et pour longtemps. Pour toujours. C’est cette chance de pouvoir percevoir cette audibilité, qui nourrit toute théorie musicale, pour aider chaque homme à trouver sa propre voie. Et le chemin peut effectivement se révéler passionnant, à marcher ainsi, un pas devant l’autre, le cœur en chœur, une étoile dans la main.

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